La France a réagi avec une extrême prudence à la réélection du président algérien Abdelaziz Bouteflika. Dans un bref communiqué, diffusé vendredi 18 avril dans la soirée, l’Elysée s’est contenté de « prendre acte » du résultat, décrypte sobrement un influent haut fonctionnaire. Le texte se garde bien de féliciter le chef de l’Etat algérien et se contente de lui souhaiter « le plein succès dans l’accomplissement de sa haute mission ».

On peut difficilement faire plus lénifiant. Malgré l’embarras suscité par le score soviétique de M. Bouteflika, la retenue française est dictée par la volonté de ne pas jeter de l’huile sur le feu d’une relation toujours empreinte d’émotion et de susceptibilité. « Quoi qu’on dise, on prend toujours des coups : ou bien on nous accuse d’ingérence, ou bien on fustige notre indifférence », relève avec résignation un diplomate.

Une boutade qui a suscité un tollé

A l’Elysée comme au Quai d’Orsay, tout le monde a encore en mémoire le récent tollé suscité en Algérie par une boutade de François Hollande. Le chef de l’Etat avait déclaré, le 16 décembre 2013, sur le ton de la plaisanterie que Manuel Valls, à l’époque ministre de l’intérieur, était rentré d’Algérie « sain et sauf », faisant allusion à l’état de santé déclinant du président algérien. « C’est déjà beaucoup », avait-il ajouté. Le propos avait provoqué une minicrise diplomatique et M. Hollande s’était ensuite empressé d’exprimer ses « sincères regrets ».

Pourtant, le président, qui ne manque jamais de rappeler qu’il a effectué son stage de l’ENA à Alger, s’est efforcé de donner un nouvel élan aux relations franco-algériennes, passablement tendues sous Nicolas Sarkozy. Sept mois après son arrivée à l’Elysée, il s’est rendu en Algérie, en décembre 2012, pour une visite d’Etat placée sous le signe de la « normalisation » des relations franco-algériennes.

A Paris comme ailleurs, nul ne se faisait d’illusions sur l’issue du scrutin algérien. John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, avait déjà quasiment adoubé le président Bouteflika, en se rendant à Alger, début avril, sans rencontrer le principal candidat de l’opposition, Ali Benflis. L’enlisement des « printemps arabes » est passé par là. Désormais, « la priorité des Occidentaux dans la région, c’est la stabilité », note Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Un évident manque d’enthousiasme

L’Union européenne n’a pas marqué davantage d’intérêt pour le résultat de vendredi. Bruxelles a d’ailleurs manifesté un évident manque d’enthousiasme pour cette étrange élection, et avait refusé d’y jouer les observateurs afin de ne pas cautionner de manière trop visible ce scrutin. La demande d’Alger pour obtenir une mission d’observation serait parvenue trop tard, à en croire les services de la haute représentante de la diplomatie européenne, Catherine Ashton.

La discrétion bruxelloise s’explique par d’autres raisons. Engagé sur de nombreux fronts – l’Ukraine, le nucléaire iranien ou encore la négociation entre la Serbie et le Kosovo –, le Service pour l’action extérieure (SEAE) tente aussi d’affronter les dossiers syrien et égyptien, sans évoquer les missions au Mali et en Centrafrique… « Autant dire qu’avec tout cela on peut aisément oublier l’Algérie », ironise un haut fonctionnaire.

Les rapports avec le régime algérien sont surtout empreints de realpolitik : troisième fournisseur énergétique de l’Union – une donnée fondamentale alors que les rapports avec la Russie se compliquent –, l’Algérie vend aux Européens un tiers du gaz qu’ils consomment.

Elle joue aussi, aux yeux de Bruxelles, un rôle-clé dans la stabilisation de la région, ainsi que dans la lutte contre le terrorisme islamiste au Sahel. Elle peut, enfin, aider au contrôle des flux migratoires vers le sud de l’Union.

Washington s’en est tenu au même silence gêné que Bruxelles après l’annonce, vendredi, de la réélection de M. Bouteflika dès le premier tour.

Le Monde | 19.04.2014
Par Yves-Michel Riols et Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)

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