Après un silence de cimetière, M. Zéroual fait une sortie-surprise criarde. Les médias l’ont diffusée en mettant l’accent sur le changement, le vote et l’armée. Il parle de changement, comme tout le monde d’ailleurs. Même ceux qui ont aidé le pouvoir à se maintenir en 1991 se sont sentis lésés de nos jours et, 20 ans après ils appellent au changement. Car il s’impose. Il est là. Il frappe à notre porte. C’est son temps. Il souffle déjà. Monsieur s’intéresse au vote, il l’approuve et l’encourage. Cela, après une absence appréciable de la scène politique.

Son appel au vote massif étonne. D’un côté, il théorise sur les conditions requises à la fonction de président. De l’autre, il incite au scrutin. Toutes les chaines mettent devant nos yeux l’image poignante du Président candidat et tous les médiats parlent de sa maladie. Seulement, M. Zéroual n’y voit rien d’anormal. Ça y est, le conseil constitutionnel a approuvé. Le vote est réglementaire. Il ne manque que l’adhésion massive.

Pour quelqu’un de « sensible », comme lui, « aux pulsations de la société algérienne », comment n’a-t-il pas pu remarquer que l’Etat algérien est totalement réquisitionné par le candidat sortant et que tout verse dans sa case ? Il n’y voit pas, il ne veut pas, il ne peut pas y voir que le vote est pipé au départ. Son issue est claire. Elle a été jouée. Je ne peux croire que cela peut lui échapper. L’ « éthique républicaine » qui cautionne un vote pipé au grand jour tue la république et écrase l’éthique. Et celui qui s’en réclame ne peut prétendre à aucune crédibilité.

Ne voit-il pas qu’il va dans le mauvais sens ? Comme en 1994. Alors que tous espéraient de lui l’apaisement. Il avait préféré l’éradication. Il avait fait rater au peuple son choix. Il avait quitté la présidence sans avoir apporté la moindre solution. Il avait lézardé le peuple et laissé l’Etat et la Nation dans un état plus déplorable que celui où il les avait trouvés.

Il faut le dire, mis à part son appel au vote massif, que sa lettre arrive trop tard. Trop tard par son contenu. Son discours n’a pas changé. D’ailleurs des fragments nous reportent aux années noires de son règne. Il est décevant qu’un combattant de la liberté de sa trempe ait encore recours à la langue de bois après tout ce que ce pays a souffert et enduré. Surenchère nationaliste et stigmatisation du peuple. Il dédaigne le peuple qui, sans son soutien, l’indépendance n’aurait pas été réalisée. Rappelons-nous les années 60, ce peuple était au devant de la scène politique. Il faisait la une des journaux. Il a précipité la fin de l’occupation. M. Zéroual parle de l’armée comme une classe à part.

C’est avec cet état d’esprit que Monsieur et ses semblables avaient créé la dichotomie peuple-armée et c’est décevant qu’en 2014 une personnalité politique de son importance tente de cristalliser et perpétuer cette idée vielle de plus de 50 ans.

Avant de louer l’armée à sa manière, s’est-il posé, au moins, cette question ? Quel est le degré de crédibilité de notre armée en ce début du XXl ième siècle ? Point n’est besoin de disserter là-dessus. Un simple survol de notre demi-siècle passé suffit à s’en faire une idée appropriée :

– En 1962, ce que l’on nomme « le clan de Oujda » s’est servi de l’armée pour écraser la légalité et la légitimité. Aucune dénonciation. Tout le personnel armé s’en est vite accommodé. C’est la brisure peuple-armée. Les Algériens morts sont vite oubliés et celui qui en parle et mis aux oubliettes sur/sous terre. C’est selon.

– En 1965, l’armée a été utilisée pour imposer un coup d’Etat décoré par une étiquette portant Redressement Révolutionnaire ! Le nouveau locataire s’est attribué tous les titres et toutes les prérogatives qu’il reprochait au précédant et davantage. Et celui qui n’a pas hésité à plonger Annaba dans le deuil en tuant ses fils, de plein fouet et de sang-froid, bénéficie encore des privilèges que le système continue à octroyer à ses sbires, sans jamais penser à les céder. Les oubliettes, le système n’oublie pas d’y avoir recours. Il les active au besoin.

– En 1968, le coup d’Etat avorté, mais dont El Afroun se rappelle bien et n’est pas prêt d’oublier.

– En 1988, la moisson de morts à l’actif de l’armée attend que justice soit faite. M. Nézar, sans citer ses sources annonce le nombre douteux de 169. Ce qui donne pour M. Chadli, rahimahu Allah, qui a assuré 13 ans de gestion de l’Etat, une moyenne de 13 morts par an ; soit 1… par mois !

– En 1991, c’est le bouquet ! 200 000 morts ! C’est le chiffre rond officiel. Pour M. Nézar, – encore lui – c’était nécessaire ! Il a « sauvé » l’Algérie en la faisant prendre par un tourbillon qui tourne encore.

– On rapporte que M. Lamari rahimahu Allah a dit en 1991 : « Comment le peuple ose-t-il dresser la tête devant l’armée, il doit se prosterner ». Si ce n’est qu’une rumeur, M. Zéroual a devant lui une idée de l’image que se fait le citoyen de l’armée et qu’il devrait enregistrer. Si c’est vrai, c’est que l’armée est vulnérable, qu’elle n’est pas à l’abri des psychopathes et qu’elle a besoin d’être protégée comme toutes les institutions.

Après un tel bilan, je ne vois pas où la crédibilité puisse faire la sieste ?

Ceci met M. Zéroual immédiatement au piquet, lui qui ne cesse d’évoquer les éloges de l’armée. Ce bilan étalé sur plus de 50 ans, par sa négativité, ne qualifie pas l’armée de prendre la destinée du pays en main. Encore moins à jouer un quelconque rôle dans l’arène politique.

C’est normal qu’il évoque la glorieuse ALN – ça fait partie du style quand on veut caresser les sentiments. Mais il ne peut ne pas savoir que la coupure ALN-ANP a été consommée en 1962 lorsque le clan de Oujda s’est permis d’utiliser l’armée à des fins personnelles, au dépend de l’avenir du pays. Il n’y a pas eu continuité : la guerre fratricide a dressé des Algériens contre des Algériens les armes à la main. Visiblement, c’est à partir de cet événement, que le peuple, témoin oculaire du vol de son avenir, n’est plus qu’un spectateur dans l’expectative.

D’après ce que j’ai compris, moi, simple citoyen, des exposés de M. Zéroual, à la suite de sa sortie-surprise médiatisée, il est pour un changement certes, mais un changement dans le système, pas un changement du système. Et la différence est de taille.

Ignore-t-il que, depuis l’indépendance, les rênes du pouvoir n’ont pas quitté une seconde de temps les mains de l’armée. Les résultats sont devant ses yeux : la régression, de mal en pis, se généralise et s’approfondit. Si l’armée était capable de quelque chose, elle en a eu largement le temps : un demi-siècle de règne absolu. Peu d’habitants et de bonnes ressources, une prédisposition psychologique singulière, bénéfique des habitants et une conjoncture internationale des plus favorables.

Aujourd’hui, les choses se sont compliquées. Il est logiquement impossible, je le pense, que celui qui a conduit le pays dans l’état où il est, soit capable de l’en tirer. Il lui faut un état d’esprit autre. Un état d’esprit différent. Totalement.

Avec l’excessive sensibilité dont il est muni, M. Zéroual, sait indubitablement que le monde politique et la société civile sont d’accord pour, comme il le dit, « un consensus national autour d’une vision partagée sur l’avenir de l’Algérie ; une vision partagée par les principaux acteurs de la vie nationale et que doit nécessairement couronner, en dernière instance, l’assentiment souverain de l’ensemble du peuple algérien ». Seulement mettons-nous d’accord : on ne construit pas un Etat qui se respecte sur l’hypocrisie, le mensonge, l’imposture, la falsification, la duplicité et l’occultation. Tout changement, sans réconciliation nationale, ne peut recevoir l’appui, l’approbation et l’adhésion de la population. Une véritable réconciliation nationale où le bourreau sera désigné en termes clairs, nets et précis. Pour éviter d’être entraînés dans une guerre des mémoires qui encourage la discrimination dont sont victimes aujourd’hui bon nombre de citoyens, une commission neutre doit être formée. A elle reviendra le rôle de mettre les choses au clair et déterminer les mécanismes qui fixeraient les assises aussi bien nécessaires que solides pour construire une mémoire apaisée et instaurer des rapports nouveaux et meilleurs entre les antagonistes. Seules des relations où dominent le respect et la sincérité se dégage la vérité qui permet de débloquer les situations conflictuelles.

La confiance est un élément de taille, mais sur lequel M. Zéroual ne dit rien et qu’un passage de sa lettre rend suspect et objet de craintes ! Quelles sont les garanties qu’il peut avancer dans cette direction ? Il a cité l’armée 7 fois et il a défendu et loué les services de sécurité. Ce ne peut être qu’un message pas difficile à décoder. Oublie-t-il que les événements de 1991 sont encore vifs ? Il n’entend pas se délester de son jargon éradicateur. Pour lui, le coup d’état contre el marhum M. Chadli, est certainement un redressement révolutionnaire. De quel droit M. Nézar a-t-il arrêté le processus électoral ? Par paternalisme ? (C’est l’image que se donnent les avides de pouvoir). Par nationalisme ? (Oh ! La surenchère ! Plus nationaliste que le peuple !). Par légalité historique ? (justificatrice de tout déboire). Par la loi du plus fort ? (la réalité amère).

Le sang algérien répandu en Algérie par des algériens est une honte à l’Algérie. Il n’y a pas un algérien digne de ce nom qui en tire fierté.

Dans deux ans, un quart de siècle se serait écoulé, et on ne connaît pas le nombre exact des victimes. 25 ans après, l’Etat est encore en otage, les putschistes n’ont toujours pas reconnu leurs responsabilités dans ce crime d’État. Après un quart de siècle, M. Nezar, les instigateurs du complot et ceux qui ont été la cause des massacres, personne d’entre eux n’a été inquiété. La justice est toujours menottée vis-à-vis de cette affaire. Si les criminels du printemps berbère en 1980 avaient payé, les tueries de 1988 auraient pu être évitées. Et M. Zéroual n’aurait pas battu le record de « nos présidents » en perte de vies humaines.

A quel jeu joue au juste Monsieur Zéroual ? Veut-il refaire la même erreur ? Il veut que le changement soit sous l’égide de l’armée. Sous prétexte qu’elle est la mieux organisée. Mais il a été le mieux placé pour évaluer les limites et les séquelles de la pratique politique de l’armée. Son règne en est un échantillon éloquent. Il a un bilan des plus négatifs sur le demi-siècle écoulé. Cela ne lui suffit-il pas ? A quand sa descente de ce piédestal duquel les gens lui paraissent un simple « ghachi » qu’un médah réuni et qu’une casquette disperse.

M. Zéroual, président d’origine militaire comme tous les autres y compris l’actuel, c’est durant son mandat- acquis suite à un vote pipé au départ comme celui-ci et une fraude électorale à tous les niveaux et que ,d’ailleurs, il aurait dû dénoncer par « éthique républicaine »- que la torture, les exécutions sommaires avec expositions des corps sur les places publiques, les déplacements d’habitants, les dépassements de toutes sortes, du vol au viol par les forces de l’ordre tous corps confondus. En ces temps, il n’avait pas encore découvert le terme d’ « éthique républicaine », seul dominait le terme « éradiquer ». Tôt ou tard, il devrait répondre des crimes commis sous son règne. Si le chiffre officiel, d’ailleurs énergiquement contesté par les organisations des droits de l’Homme se limite à 200 000 morts en dix ans, pour ses cinq ans où le rouge a épousé le noir, il aurait par défaut 100 000 sur le dos. Soit 20 000 par an. 2 morts/heure. Joli bilan qui efface toute l’éloge que vous avez fait de l’armée et du militaire. Cette éloge coupé du réel amer, dénote peut-être, je ne suis pas psy, un cas de conscience que le long silence n’a pu calmer.

Pour éclairer davantage, je fais part d’une appréciation populaire des 50 années passées sous la gouvernance militaire :

* Celui qui n’a pas étudié du temps de Boumédienne, n’étudiera jamais.

* Celui qui ne s’est pas enrichi du temps de Chadli, ne s’enrichira jamais.

* Celui qui n’est pas mort du temps de Zéroual, ne mourra jamais.

* Celui qui n’a pas été corrompu du temps de Bouteflika ne sera jamais corrompu.

La sensibilité populaire est déroutante par sa simplicité et sa précision.

De grâce ! Que M. Zéroual cesse de théoriser pour le futur. Le futur lui échappe à lui et à ceux de la légitimité historique. Le futur appartient au sens de l’histoire. Le sang des enfants du peuple imprègne encore ses méninges plus qu’il ne dégouline ses mains. Et ce n’est pas à lui de rappeler aux autres les charges du président. Je ne pourrais oublier la sentence de M. Baladur premier ministre français à l’époque : « J’ai exigé. J’ai obtenu ». En effet, l’avion otage avait pris ipso facto son envol d’Alger pour Marseille. Lui, premier ministre, exiger de M. Zéroual, président ! Cela mérite et nécessite éclaircissement. Pauvre Algérie. Armé et sauvage contre ses frères aux mains nues, la seule voix rauque de l’étranger le désarme ! Il a dû sans doute se rappeler que sa faiblesse venait du fait qu’il ne représentait que les bonhommes qui l’ont mis sur orbite. S’il avait été réellement élu et s’il représentait vraiment le peuple, il aurait eu toute la force nécessaire pour que « le colon » aurait modéré et le ton et le langage. Telle est l’amertume du vote pipé ! Seul le vote responsable assure la liberté et renforce la fierté !

Une personnalité aussi importante que M.Zéroual ne quitte pas la scène politique aussi facilement. Son retour inattendu doit sans doute être motivé. La durée également mérite explication rationnelle. Surtout qu’en cette période se sont déroulés deux événements d’importance capitale : la révision de la constitution qui a permis la présidence à vie et l’utilisation de l’espace algérien par l’armée coloniale.

Monsieur s’est exilé par « obligation de réserve » et par « éthique républicaine ». Mais il n’a pas osé le dire : obligation envers qui ? Qui lui a dicté cette réserve ? Si c’est sa posture personnelle, c’est qu’il est sans réflexes adéquats ; alors il est bon pour la réforme politique. Si elle lui a été imposée, qu’il nous dise qui la imposée ? Et qui en a levé l’interdiction ? Peut-être cela nous aidera-t-il à comprendre l’effet Saidani ?

La vie politique algérienne a versé dans un irrationnel. La chose vaut son contraire. Les problèmes y sont imprévisibles. Ils nécessitent partant des solutions pertinentes.

Un demi-siècle d’échecs consécutifs, l’armée ne doit en aucun cas avoir accès au politique. Il est temps que la démocratie de façade prenne fin.

Je n’ai aucun compte à régler avec M. Zéroual, c’est le déroulement des événements qui l’a propulsé en premières lignes. Il a soulevé le changement. Le changement intéresse tous les algériens. Nous voulons que les choses soient claires dès le départ. Un problème bien posé est à moitié résolu.

J’aurai bien voulu siroter ma retraite mais on nous oblige à parler, par « éthique républicaine ».

Yagubi Haj Kadur
6 avril 2014

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