Ces derniers jours, la violence en Égypte prend des proportions alarmantes. Pour l’instant, ce sont les partisans de Morsi, le président déchu, qui morflent. Et si les militaires décident de mettre à exécution leurs menaces, les dégâts seront encore plus importants. Ainsi, bien que la rue s’en tienne au combat pacifique, force est de reconnaitre que l’armée égyptienne s’ingénie à déplacer le combat vers le terrain des affrontements. Cette situation commence en effet à s’empirer depuis l’appel du général Al Sissi à des manifestations de rue en vue d’étouffer la voix de ceux qui réclament le retour à la légalité. « J’appelle tous les Égyptiens honnêtes à descendre dans la rue vendredi [26 juillet 2013] pour me donner mandat pour en finir avec la violence et le terrorisme », interpelle-t-il ses partisans.

Dans cette déclaration, on constate que le général Al Sissi, à travers son appel, scinde les Égyptiens en deux catégories : les honnêtes et les terroristes. En qualifiant les pro-Morsi de terroristes, le général se donne bonne conscience en anticipant d’éventuels dérapages. Quant au mandat que « les honnêtes » vont lui donner, il va de soi que cette voie n’est ni légale ni démocratique. Bien que le coup d’État du 3 juillet soit maquillé en « acte II » de la révolution, les militaires, avec la complicité de la gauche molle, a déjà mis en sourdine le processus démocratique. Pour rappel, celui-ci est survenu au forceps après les événements du 25 janvier 2011. Dans l’esprit des Égyptiens, le règne autoritaire n’était qu’un mauvais souvenir.  En portant au pouvoir le président civil, Mohamed Morsi, l’Égypte a rompu avec la dictature militaire.

Toutefois, malgré la légitimité des urnes, les vrais décideurs n’ont pas voulu céder les rênes du pouvoir. Dans une interview à El Watan, Alain Gresh rappelle l’emprise de l’armée sur le processus démocratique. « Il faut garder à l’esprit le rôle du Conseil suprême des forces armées dirigées par le maréchal Tantaoui durant la période post Moubarak. C’est lui qui a fixé les conditions de la transition ainsi que sa gestion avec la terrible répression et son lot d’arrestations et de torture des activistes que ces derniers semblent oublier maintenant. La gestion de l’armée a été catastrophique », explique-t-il.

Quoi qu’il en soit, bien que les règles soient fixées par le commandement militaire, le peuple égyptien a sanctionné sévèrement, dans les urnes, les dirigeants de la période de transition allant de février 2011 à juin 2012. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat de l’élection présidentielle de juin 2012 étaie, si besoin est, la volonté du peuple égyptien de tourner la page de 60 ans de règne militaire. Cela dit, le pouvoir réel a-t-il accepté sa défaite ? Bien qu’il ait accepté le verdict des urnes, dans la réalité, le pouvoir militaire guettait la moindre occasion pour revenir aux Affaires. Profitant de l’incompétence des Frères musulmans de gérer le pays, une fois ceux-ci sont confrontés à la réalité du pouvoir, les militaires manœuvraient, depuis des mois, en sous-main pour reprendre le pouvoir. Avec quelle manière ? « L’armée s’efforce de déplacer la confrontation avec les Frères musulmans sur le terrain sécuritaire parce qu’elle sait très bien qu’elle aurait du mal à gagner sur le terrain électoral », estime François Burgat, le grand spécialiste du monde arabe.

En tout cas, à défaut de bénéficier d’un mandat électoral, le général Al Sissi se contente d’un bain de foule, assimilé, selon lui, à un mandat électoral. Or, sur le terrain, les places publiques sont déjà occupées par les pro-Morsi, au lendemain du coup d’État, réclamant le retour à la légalité. Dans ces conditions, l’affrontement, entre les partisans et les adversaires de Morsi, est inéluctable.  Ainsi, le vendredi 26 juillet 2013, plus de 100 morts sont enregistrées dans les rangs des Frères musulmans. « Mais malgré l’atmosphère inquiétante et les morts, les pro-Morsi se disaient déterminés à rester, en dépit de la répression de l’armée », écrit la correspondante d’El Watan au Caire.

En somme, il va de soi que l’armée va tout faire pour éteindre la voix des légalistes. Et si la répression devenait intenable, les radicaux risqueraient de passer, eux-aussi, à l’action. Ce qui risque de compromettre davantage l’avenir de l’Égypte. Pour le moment, les Frères musulmans agissent intelligemment. Selon Ahmed Arif, le porte-parole des Frères musulmans, leur mouvement ne s’attaquera à aucune institution. Pour prouver sa bonne foi, il invite les télévisions du monde entier à venir en Égypte couvrir leurs manifestations. De leur côté, les putschistes  sont-ils prêts à gérer cette période dans la transparence ? Le coup d’État est en soi un acte de violence. Par conséquent, l’avenir démocratique de l’Égypte ne peut être sauvé que par les légalistes, à condition qu’ils ne rentrent pas dans le jeu des putschistes.    

Boubekeur Ait Benali
31 juillet 2013

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