L’Algérie va fêter cette semaine le 51eme anniversaire de son accession à l’indépendance. Sans chauvinisme, il s’agit peut-être de l’une des grandes réalisations à laquelle l’humanité ait assisté. Cela dit, la question qui vient tout de suite à l’esprit est la suivante : comment se fait-il qu’un pays qui a affronté l’une des plus grandes puissances mondiales, en l’occurrence la France, ait du mal à se développer ? En d’autres termes, pourquoi la dynamique qui a prévalu pendant la révolution s’est nettement arrêtée au moment où le pays reprenait le contrôle de son destin ? Bien évidemment, il ne s’agit pas ici d’épiloguer sur les réalisations matérielles.

En tout cas, s’il faut les évoquer succinctement, on peut dire que le compte n’y est pas. En fait, bien que personne ne puisse renier quelques réalisations, force est d’admettre tout de même que les résultats sont en deçà des attentes. Et dans les moments difficiles, faut-il rappeler que le pays dépende quasiment de la vente de l’or noir pour survivre. Mais, quand la période est propice au développement –l’Algérie a engrangé près de 600 milliards de dollars lors de la première décennie de ce nouveau siècle –, la gestion opaque génère des pertes colossales consécutives à la corruption généralisée. Résultats des courses : des sommes faramineuses sont dépensées sans que le niveau de vie de la majorité des Algériens soit amélioré. Ceci est dû, pour reprendre Akram Belkaid, à la faillite du système politique algérien et à l’indiscutable incapacité du pouvoir en place depuis 1962 à tenir les belles promesses de l’indépendance.

De toute évidence, la responsabilité incombe à ceux qui ont empêché le peuple de contrôler le pouvoir politique. Et pourtant, s’il y a un peuple qui mérite de jouir de sa pleine liberté, c’est bien le peuple algérien. En effet, après sept longues et pénibles années, les Algériens arrachent, malgré l’acharnement de l’ancienne puissance coloniale, le droit de vivre sans carcan. Cette victoire, comme le rappellera plus tard Ben Khedda, n’est pas celle d’un groupe, mais celle de tout le peuple algérien. Car, sans l’adhésion du peuple, la révolution algérienne aurait connu le même sort que les révoltes précédentes. Pour corroborer cette idée, voilà ce qu’écrit l’ancien président du GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne), Ben Youcef Ben Khedda : « Ce sont les manifestations populaires d’Alger et des grandes villes sous le drapeau du FLN, en décembre 1960, qui pousseront les Français à s’asseoir de nouveau autour d’une table pour les discussions avec le FLN. »

Quoi qu’il en soit, bien que les mauvaises langues qualifient les accords d’Evian de « cheval de Troie » du néocolonialisme, il n’en reste pas moins que, grâce à ces accords, l’Algérie récupère sa souveraineté bafouée depuis 132 ans. Débarrassée d’une armée d’un demi-million de soldats, les conditions de bâtir un État juste et irréprochable sont désormais réunies. Par ailleurs, bien que la tâche ne soit pas une sinécure, grâce au rassemblement réalisé pendant la révolution, la mission parait moins alambiquée que celle de mettre fin à la tutelle coloniale. Dans son discours du 4 juillet 1962, le président du GPRA énumère les tâches à accomplir. « Il faut rebâtir le pays, créer une économie nationale au service du peuple, réduire la misère et l’analphabétisme, recaser les regroupés et les réfugiés. Il faut donner à l’Algérienne et à l’Algérien les moyens de vivre décemment et d’épanouir leur personnalité dans le cadre de notre culture nationale », met-il en exergue les priorités. Et si l’état-major général (EMG) ne s’était pas rebellé contre le GPRA, la conjugaison des efforts aurait permis de transcender toutes les embûches. Hélas, au lieu d’œuvrer ensemble pour le développement du pays, le nouveau pouvoir s’ingénie plus à surveiller les éventuels prétendants au poste qu’à œuvrer pour l’épanouissement du pays. Que de temps perdu pour l’Algérie, pourrait-on dire !

Toutefois, bien qu’on  puisse assister à une telle ou telle avancée [dans une certaine mesure, des nostalgiques évoquent, avec insistance, les années 1970], force est de reconnaitre que les énergies ne sont pas libérées. Or, pour construire un pays, il faudrait au préalable qu’il y ait une relation de confiance entre le mandant et le mandaté. Et pourtant, des dirigeants ont en rêvé. « Nos institutions étatiques seront le reflet fidèle du peuple algérien qui aspire profondément à l’ordre intérieur… L’État sera le serviteur du peuple, et non son gendarme. Il doit s’appuyer sur le peuple, sans lequel il n’est rien. Nul gouvernement ne pourra opérer la reconstruction s’il n’est pas aidé par la discipline des citoyens », énonce le président du GPRA dans son discours à la veille de la célébration de l’indépendance. Malheureusement, les grenouillages politiques vont avoir le dessus sur l’intérêt national. Encore une fois, il ne s’agit pas de dénier à tel ou tel dirigeant le droit de gouverner. En revanche, ce qui est répréhensible, c’est la façon dont le pouvoir est pris et ensuite son maintien à la tête de l’État, et ce, sans se soumettre au contrôle du peuple.

En somme, il va de soi que les antagonistes du GPRA ont emprunté une voie diamétralement opposée à celle rêvée par Ben Khedda. Cette voie consiste à décider de tout à la place du peuple, probablement de peur que celui-ci commette des erreurs. Or, après plus d’un demi-siècle d’indépendance, le blocage vient immanquablement de cette façon de gérer le pays dans l’opacité. En tout cas, étant éloigné de la gestion de ses Affaires, le peuple ne remplit plus sa mission. D’ailleurs, a-t-on assisté à un mouvement grandiose exigeant des dirigeants de rendre des comptes ? Et si cela devait arriver, le mouvement serait sporadique et limité géographiquement. En tout état de cause, on est loin du rassemblement de nos aînés défendant l’honneur du pays. Enfin, au jour d’aujourd’hui, le constat ne peut-être qu’affligeant. D’un côté, les dirigeants sont incapables de gérer le pays dans la transparence. Quant à la génération postindépendance, celle-ci ne sait pas à quel saint se vouer. Tout compte fait, la seule consolation qu’on puisse retenir de ces 51 ans d’indépendance, c’est indubitablement la mise à mort du joug colonial. Tout le reste est à recommencer.    

Boubekeur Ait Benali
3 juillet 2013

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