À chaque fois que le doute subsiste, il suffit d’une interview pour que les pendules soient remises à l’heure. Cette fois-ci, hasard de calendrier ou volonté délibérée, la presse nationale accorde deux interviews concomitantes aux responsables du FFS. L’une est accordée à Ahmed Betatche sur El Kabbar et l’autre à Mostefa Bouchachi sur El Watan. Pour étayer la thèse de la cohérence de la ligne politique du FFS, la teneur du propos est quasiment la même, et ce, bien qu’ils se soient adressés à deux titres différents. Et si la presse veut désormais jouer un tant soit peu son rôle d’information, en parlant du FFS, elle devra donner la parole à ses vrais dirigeants et non pas à ceux qui mettent le feu aux poudres tout en trompant l’opinion sur leur attachement au FFS. Ainsi, entre le FFS dont a parlé Salim Mesbah, il y a de cela deux semaines, et le FFS que défend Mostefa Bouchachi, la différence est incommensurable.  

Toutefois, pour aller au vif du sujet, l’enjeu du moment – que tout le monde ressasse à satiété – est la vacance du pouvoir. Contrairement à d’autres partis politiques qui imputent le blocage des institutions à l’hospitalisation du chef de l’État, il n’en reste pas moins que celui-ci remonte, selon le député d’Alger, à plus longtemps. « Faut-il rappeler qu’il n’a pas procédé à l’ouverture de l’année judiciaire ni présidé le Conseil supérieur de la magistrature, et encore moins réuni le Conseil des ministres », explique Mostefa Bouchachi l’antériorité du blocage. Et pour situer véritablement le verrouillage, celui-ci, pourrait-on dire, est né avec l’accaparement du pouvoir en 1962 par l’armée des frontières. Pour rafraichir la mémoire des amnésiques, Ahmed Betatache rappelle que la seule élection libre remonte au référendum pour l’autodétermination du 1er juillet 1962.

En tout état de cause, la prise du pouvoir par la force va annihiler tous les espoirs de voir le peuple contrôler l’exécutif. À ce titre, pour ceux qui font semblant d’ignorer le combat du FFS, eh bien, depuis 50 ans, le parti fondé par Hocine Ait Ahmed ne cesse de dénoncer cette usurpation du pouvoir. Et ce n’est pas la presse aux ordres, qui travaille également sous la férule du pouvoir, qui va le déformer. De la même façon, si certains découvrent que le pays est mal géré, le FFS le claironne depuis 1963. Ainsi, aux mesures partielles et partiales, le FFS a toujours prôné et prône la rupture avec ce régime. Cela se matérialise, d’après Ahmed Betatache, par l’élection de l’Assemblée constituante. Malgré un combat sans répit du FFS, force est d’admettre que le régime a toujours réussi à se maintenir. Bien entendu, il l’a fait en usant en permanence de la violence, d’un côté, et en entretenant une clientèle diverse et variée, de l’autre côté.

Ainsi, bien que le bal des partisans de l’application de l’article 88 continue, son recours va servir au mieux un clan du régime et au pire le recours à un coup d’État. Dans les deux cas, le peuple algérien ne tirera aucun profit. En plus, estime Ahmed Betatache, quand est-ce que la constitution a été respectée pour qu’aujourd’hui on fasse appel à son application ? Que vaut-elle lorsque l’on sait que la séparation des pouvoirs n’a jamais été effective. En tout cas, cette agitation ne sert qu’à se faire une place sur la scène médiatique. « Pour appliquer cet article [88], il faut impérativement que le président du Conseil constitutionnel œuvre à le faire et que les membres de ce Conseil l’approuvent à l’unanimité. Ce qui est peu probable, car on a fait en sorte que l’application de cet article soit impossible. La constitution a été faite, comme les précédentes d’ailleurs, pour servir l’intérêt du président et non pas l’intérêt du pays ou pour garantir un équilibre des institutions », souligne Mostefa Bouchachi. En plus, d’après le juriste, bien que le texte fondamental puisse énoncer un principe, en parcourant la constitution, on trouve des prérogatives, accordées au président, qui l’annulent. C’est le cas de l’article 88, affirme-t-il.

Quoi qu’il en soit, bien que ce régime parvienne à déjouer toutes les manœuvres, l’espoir n’est pas mort pour autant. En effet, il suffit que la société algérienne se mobilise pour que ce pouvoir soit acculé. Pour corroborer son propos, Mostefa Bouchachi cite l’exemple des élections législatives de l’année dernière. « Si le pouvoir mobilise un million de militaires et de policiers pour voter au profit d’un parti donné, qu’est-ce que ça aurait représenté devant le vote de 19 millions d’Algériens contre les candidats du pouvoir ? Le système n’aurait tout simplement pas pu réussir son plan de créer une Assemblée décor », dit-il. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette vision est valable pour toutes les joutes. D’ailleurs, existe-t-il une autre voie ? En dehors d’un combat pacifique, qui désoriente parfois le régime, les autres solutions le confortent et lui permettent, par ricochet, de se pérenniser par la force.

Cependant, bien que le rendez-vous de 2014, comme le soutient Ahmed Betatche, ne représente pas dans l’état actuel des choses une panacée, les Algériens sont condamnés à réaliser le changement par la voie pacifique, où le choix des urnes est le moins couteux. « La violence donne de la légitimité à la répression du pouvoir, mais ce dernier ne peut rien contre le combat pacifique. Pour cela je pense, et c’est mon avis, qu’il ne faut pas déserter les bureaux de vote en 2014 et que les Algériens défient le candidat du système », préconise Mostefa Bouchachi. Cela dit, sans vouloir anticiper les choses, il va de soi le parti apportera tous les éclaircissements sur ce sujet. En outre, il est normal, en tenant compte de la nature du régime et de la désaffection du peuple, que le parti soit réticent. Car le changement en Algérie dépasse amplement le cadre partisan. Désormais, la balle est dans le camp du peuple. En plus, il n’est pas demandé à ce peuple de risquer sa vie. Son action se borne à déposer un bulletin de vote contre le candidat du système.

En somme, à la fin de l’interview, Mostefa Bouchachi répond de façon élégante et avec une hauteur d’esprit aux attaques [parions d’emblée que celles-ci soient infondées] d’Ali Yahia Abdenour. Ce qui est regrettable dans les propos de ce dernier, c’est que maitre Bouchachi n’a pas changé et ne change pas de fusil d’épaule. En sollicitant le suffrage des Algérois, il ne déserte pas un mouvement en difficulté pour vendre son âme au pouvoir. En Algérie, on connait des personnes qui ont fait le chemin inverse. Enfin, la réaction du doyen des militants des droits de l’homme [quelle que soit sa critique, ce grand monsieur mérite un grand respect] est incompréhensible dans la mesure où la défense des droits de l’homme n’est pas l’apanage d’un seul syndicat, d’un seul parti ou d’une seule ligue. Quant à l’action du FFS, seuls les citoyens peuvent la sanctionner en ne votant pas pour son candidat ou ses candidats. Cela dit, à moins que l’opinion soit atteinte de cécité, le FFS n’est pas responsable de la crise algérienne. Et s’il faut chercher les coupables, il faudra lorgner du côté des dirigeants inamovibles.       

Boubekeur Ait Benali
4 juillet 2013

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