S’est conclue la visite d’Etat du président français François Hollande en Algérie. Ont vu juste, ceux qui ont insisté sur le « symbole ». Ce dernier était présent de la plus forte de ses odeurs, agréables pour beaucoup (à en croire les images diffusées sur les stations satellitaires), très amères pour plusieurs à en croire les échos dans la rue algérienne. En tout cas, tout s’était passé comme si les Algériens, à travers une kermesse indigène, ne voulaient pas savoir que le « statut de l’indigénat » n’est plus de rigueur.

Mais entre ceux qui crient au scandale ubuesque et ceux qui fustigent les gloires à venir, il faut se méfier des symboles. Surtout lorsqu’ils sont provoqués consciemment et avec une telle abondance. Dans ce cas précis, les « gros » symboles sont à prendre avec une grande précaution, contrairement aux symboles qui semblent « mineurs ».

Pour le président du pays qui a anciennement colonisé l’Algérie, on a « jeté des fleurs », dans le sens de l’expression française consacrée, comme dans le sens littéral ; on a par exemple  embrassé sa main, ce qui est une pratique abandonnée depuis fort longtemps. Ce qui est intéressant, c’est de savoir que cette pratique était – dans tout le Maghreb, d’ailleurs – signe de vénération du disciple envers son maître spirituel. Présenté ainsi, on serait tenté de transposer l’ancien sur l’actuel et dire : le président français est le maitre spirituel des Algériens, ou mieux encore la France est le maitre spirituel de l’Algérie. Situation curieuse. Puis situation insolite quand on la place dans le cours de l’Histoire et des relations entre colonisés et colonisateurs. On connait la première configuration : les colonisés rejetant leurs colonisateurs ; on connait la deuxième configuration où les premiers sont fascinés par les seconds, au point d’adopter leur culture. Ce qu’on ne connait pas, et c’est là le cas de l’Algérie, c’est le colonisé qui rejette son colonisateur mais reste attaché à lui au point de la fascination. On adopte celui qu’on rejette. Paradoxe. A moins que l’on suppose que tout ceci est une dépravée prise de tête, et que la réalité est que l’Algérie est toujours sous occupation française (beaucoup le disent, d’ailleurs, et le croient).

Revenons à notre propos, le symbole fort n’est pas la remise des clés de la ville d’Alger par le président français. Tout simplement, parce que les portes d’Alger sont ruinées et, de nos jours, aucune pierre n’existe  pour les graver dans la mémoire culturelle, et s’il n’y a pas le patrimoine qui installe la valeur symbolique, cette dernière perd sa valeur représentative. Le symbole fort n’est pas, non plus, le cheval pur-sang offert par le président algérien : mis à part le fait numérique (deux chevaux) toutes les visites françaises en Algérie, se sont soldées sur cette pratique, et un  cadeau offert plusieurs fois n’est plus un symbole : il est un folklore.

Le symbole fort, semble-t-il, est d’abord le discours d’Alger. Il y a quelque chose à voir parce que, tradition diplomatique (protocole diront les organisateurs) oblige, le président ne s’adresse seul aux citoyens que lorsqu’il est sur ses terres. Quand il est en déplacement, il y a un temps de parole pour le président du pays hôte et un autre pour son homologue. Or, on a vu bel et bien le président français lire son allocution (sur l’Algérie et en Algérie) seul sur l’estrade d’honneur. Si on considère que le président français était comme chez lui, il ne faut alors surtout pas blâmer ceux qui soutiennent la thèse néocolonialiste, affirmant que l’Algérie est encore française (à la différence actuelle que la France est représenée par des auxiliaires algériens). Si on pensait à une quelconque modestie de la part du président algérien, on serait enclins à s’interroger d’où vient cette soudaine hospitalité et quelles sont ses motivations (si jamais il y en a quelques unes).

Mais loin des « gouverneurs », le mieux serait de placer la discussion du côté de monsieur-tout-le-monde : que signifient ces postures pour les Algériens ? Aussi bien pour les révoltés d’entre eux que pour les acquis. Qu’est ce que cela signifie pour eux, qui se voient les uns les autres à travers le chassé-croisé des  justes (mais démunis) et des larbins écervelés (ou « lécheurs » : le mot se doit d’être  accordé, parce qu’il revient souvent dans les quartiers algériens) ?

Tout d’abord, il faut reconnaitre, dans la société algérienne, deux traits caractéristiques, de surcroit facilement apparents : la frustration et l’infantilité. Ces deux traits traversent toute la composante sociale. Ils ne sont pas l’apanage d’un hasard ou d’une circonstance, mais ils résultent bel et bien d’un processus historique qui se situe à son tour dans le court terme (mais ceci est une autre question).

C’est cela qui fait qu’on est souvent dans cette situation étrange où le sujet algérien frustré s’étonne de l’infantilité de l’autre sujet algérien (l’infantile) qui s’étonne lui aussi de l’étonnement et de la frustration du premier. Depuis peu, cette dynamique, devenue pesante, a pris une forme encore plus perverse : refusant de se voir mutuellement, le frustré et l’infantile se sont rabattus sur ce qui efface leur apparence, et la solution est venue des dirigeants (en parfaits tuteurs de consciences) qui ont favorisé un climat de course acharnée derrière le gain matériel et pécuniaire. La mutation des expressions populaires figées est amplement illustrative : l’argent, qu’on appelait autrefois « saleté de l’ici-bas » (الدراهم وسخ الدنيا), a cédée la place à un nouvel adage : « ta valeur [humaine] suit la valeur de ta poche [pécuniaire] » (تسوا واش يسوا جيبك) . C’est quand l’humain se résume au pécuniaire qu’il est assujetti et qu’il ne faut plus s’étonner ni de sa frustration ni de son infantilité.

On voit finalement que cette apparence d’une société à communication hyper politisée (souvent déduite à travers la centralité des injures contre le pouvoir politique ainsi que toute autre représentation d’autorité) est un trompe-l’œil, et l’Algérien n’est pas si politisé qu’il y apparait.

Mais, cet état avéré dans la société algérienne d’aujourd’hui, ne serait-il pas traduisible en termes de symbolique (la symbolique étant un condensé de plusieurs symboles) ? N’est-il pas un état premier, quelque chose qui s’apparente à l’enfant qui n’est pas encore sevré ? C’est cet état d’immaturité qui peut être ici qualifié de « virginité politique ». Malgré leur apparence politisée, que cela soit dans les discussions de cafétérias, de quartiers ou pendant le travail, en tenant un journal ou en fumant une cigarette, les Algériens sont politiquement vierges. Et ce, malgré les viols qu’ils subissent (ce sont même ces viols qui y contribuent).  Comme tels, le grand pas reste donc à franchir. Le grand pas est de sortir d’un état populeux (de surcroit, pesant) à celui de citoyen. De se décider à avoir une voix et de la faire entendre. Bref, pour ne faire ni long ni populiste, de s’émanciper.

En attendant, on observera les fruits de la coopération entre le loup de Chaperon rouge et son homologue le magicien d’Oz. Référence fantastique pour une réalité fantasque sur une scène sans décor.

 

Moussaab Hammoudi
30 décembre 2012

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