A presque un mois de l’abrogation de la loi sur l’état d’urgence, la situation politique, et c’est le moins que l’on puisse dire, n’évolue pas d’un iota. Pour l’observateur de la scène politique algérienne, rien de concret n’est à constater. Bien que cette mesure intervienne dans une situation de branle-bas en l’Afrique du nord, le régime algérien, en vue de calmer la grogne sociale, tente de désamorcer la crise en adoptant quelques mesures. En effet, en dépit de la faiblesse de la mouvance islamiste dans tout le monde arabe, comme l’ont montré les révolutions tunisienne et égyptienne, force est de constater que le régime algérien ne cesse, jusqu’à nos jours, d’agiter cette menace. Le maintien de la loi sur l’état d’urgence, d’après ses promoteurs, servait ni plus ni moins qu’à prévenir les actes terroristes et par ricochet à contenir la mouvance islamiste. Or, cette manœuvre ne fait plus recette dans les pays arabes. En tout cas, la nouvelle donne a incité les dirigeants à lâcher du lest. Toutefois, de cette vente concomitante, le gouvernement jouerait toutes ses cartes pour mettre en œuvre une loi d’exception afin de lutter contre le terrorisme, qu’eux-mêmes qualifient de résiduel. Bien que, selon eux, la loi sur l’état d’urgence n’ait pas entravé l’activité politique, il n’en reste pas moins qu’il est interdit actuellement avec sa levée de manifester contre la politique officielle et de créer des nouveaux partis politiques.

Cependant, lors du conseil des ministres, du 3 février 2011, le discours présidentiel nous a montré la réelle dichotomie entre les dirigeants et le peuple. Qu’on juge le propos du président: «Nul ne peut contester le respect et la protection des droits civiques et politiques, ainsi que les libertés fondamentales dans notre pays. En témoigne la pluralité des obédiences de nos nombreux partis politiques…» Mais, monsieur le Président, nous ne vivons pas dans le même pays. Quand un flic, en abusant de la loi, renvoie de la maison familiale, frères et sœurs, au vu et au su de tout le monde, en vue réunir sa petite famille, vous ne pouvez pas nous endormir avec ces discours sur l’égalité. La loi d’exception, faut-il le dire, a ouvert, de façon inexorable, la voie à tous les abus. Par ailleurs, si cette vitalité de la société était réelle, pourquoi maintiendrait-il l’état d’urgence depuis son accession au pouvoir en avril 1999? Aujourd’hui, bien que l’abrogation de la loi mette tout le monde d’accord, à condition que sa suppression soit suivie d’effet, sa promulgation en 1992 était injustifiable et discutable sur le fond. Il faut rappeler que les organisateurs des élections législatives du 26 décembre 1991 ont annulé les résultats du scrutin en empêchant la tenue du second tour, prévu le 16 janvier 1992. Or, dans une démocratie qui se respecte, le vainqueur assume la direction du pays pendant la durée de la législature. Si le vainqueur refusait de céder le pouvoir, lors de la future échéance, et ce en cas de défaite électorale, l’armée et toutes les forces vives de la nation devraient se rassembler pour le détrôner. Et dans ce cas précis, les Algériens seraient du côté des légalistes. Mais, en 1992, au milieu du processus électoral, le président fut déposé et le parlement dissous en foulant au sol les textes fondamentaux de la nation. Dans la foulée, un décret présidentiel 9244 du 9 février 1992 fut promulgué par le HCE (Haut comité d’État), une instance créée à cet effet. Et sa prorogation, en mars 1993, fut en contradiction avec la constitution algérienne, élaborée lors du règne du parti unique, notamment dans son article 91 exigeant la consultation du parlement et la détermination de la durée de son application. Du coup, durant près de vingt ans, l’Algérie a été soumise à une fermeture hermétique de la vie politique. En effet, le ministre de l’intérieur, en s’appuyant sur l’article 6, pouvait prendre n’importe quelle décision qu’il aurait jugée utile. Voici les situations dans lesquelles le ministre pouvait exercer ses nouvelles attributions: « La mise en vigueur de l’état d’urgence donne au ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales pour tout le territoire national et au wali, pour l’étendue de sa wilaya, le pouvoir, dans le respect des directives gouvernementales, de :

1) restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules sur des lieux et selon des horaires déterminés ;

2) réglementer la circulation et la distribution de denrées alimentaires et des biens de première nécessité ;

3) instituer des zones à régime de séjour réglementé pour les non-résidents ;

4) interdire de séjour ou assigner à résidence toute personne majeure dont l’activité s’avère nuisible à l’ordre public et au fonctionnement des services publics ;

5) réquisitionner les travailleurs pour accomplir leurs activités professionnelles habituelles, en cas de grève non autorisée ou illégale. Ce pouvoir de réquisition s’étend aux entreprises publiques ou privées à l’effet d’obtenir les prestations de service d’intérêt public ;

6) ordonner exceptionnellement des perquisitions de jour et de nuit.» Plus grave encore, dans l’article 8, le pouvoir exécutif pouvait suspendre toute assemblée locale obstruant la politique officielle.

Cependant, si la légalité, après presque vingt ans de régime exceptionnel, est rétablie, les Algériens seront ravis de récupérer le droit d’exercer leur droit politique constitutionnel. En attendant que la nouvelle loi, remplaçant l’état d’urgence, soit connue, les Algériens peuvent espérer, bien que ce soit plus une chimère qu’une réalité, le retour à la normale. En revanche, on ne doit pas mésestimer les intentions des dirigeants de maintenir le statu quo. Selon Lahouari Addi, la préoccupation du régime n’est pas l’instauration de la démocratie: «Ce régime, en place depuis l’indépendance, qui a mené le pays à une sanglante guerre civile puis à l’impasse, est dans la totale incapacité de comprendre les enjeux démocratiques. Pour Bouteflika et ses généraux, la démocratie ne signifie pas la participation des algériens, dans leur ensemble, aux destinées de leur nation. Elle ne signifie pas l’épanouissement des citoyens à la possibilité de vivre, enfin, dignes et libres dans leur propre pays. Elle ne signifie pas la libération des énergies, que seul un environnement libre, en permet l’éclosion.»

Cependant, pour que cette mesure devienne effective, il faudrait que le citoyen ait le droit de manifester pacifiquement, de s’opposer légalement à la politique gouvernementale, de créer son parti politique, de constituer un syndicat autonome, étant donné que l’UGTA est la courroie de transmission du gouvernement, etc. Tout compte fait, avec le vent de liberté qui souffle sur le Maghreb, le régime devrait tenir compte de la colère populaire. Ainsi, la condition sine qua none de l’apaisement serait de lâcher la bride. Car une politique de replâtrage sera vite dénoncée par l’opinion publique. Car, jusque-là, le régime s’est moqué du citoyen comme l’écrit si bien le chroniqueur du Quotidien d’Oran, K.Selim, le 5 mars 2011: «Le président Abdelaziz Bouteflika a totalement raison : l’état d’urgence n’empêche rien. Les opposants ont focalisé sur le sujet uniquement car il est l’illustration légale d’une situation totalement verrouillée sous un décor de pluralisme. La levée de l’état d’urgence ne permettra rien si la manière du pouvoir de concevoir son rapport à la société reste la même.» En effet, bien qu’aucune loi n’interdise, pour reprendre le journaliste cité plus haut, la création de partis politiques, le ministre de l’intérieur refuse d’en agréer les nouveaux. On peut dire de même des médias lourds. Dans les textes, il n’y a aucune loi qui prohibe la création de nouvelles chaînes, mais, dans les faits, les dirigeants ne les tolèrent pas. L’activité politique n’est pas interdite, mais l’opposition réelle ne peut pas s’adresser aux Algériens, via la télévision ou la radio, pour exposer son point de vue.

En somme, si la loi prochaine est la suite de celle abrogée, la déception sera abyssale. Sera-t-il alors question de continuer le combat contre le terrorisme? Dans ce cas, le régime aura prouvé son incapacité à comprendre les Algériens. Car la jeunesse ne cherche qu’à vivre dignement dans son pays. En tout cas, si tel est le cas, le but sous-jacent sera le musellement de la société. Et là, le peuple devra accepter ou refuser les mesures qu’on lui impose à son grand dam.

Boubekeur Ait Benali
13 mars 2011

Comments are closed.

Exit mobile version