Le 5 janvier une vague de contestation violente secoue l’Algérie et après trois jours, le gouvernement, prend des décisions, qui ne contiennent aucun signe montrant leur compréhension des émeutes, mais bien au contraire, ces mesures ne font que réduire la portée et les fondements de ces contestations.

D’abord le contexte : la Tunisie vivait en cette période précise une « révolte » qui se transformera, quelques jours plus tard en véritable révolution. Un brin d’intelligence aurait suffi de prendre en considération cette situation pour comprendre que cette lame de fond ne pouvait se satisfaire de « mesurettes », un véritable placébo au lieu d’un remède, pour calmer les « esprits » et espérer ramener à la raison les émeutiers.

Nos analystes et spécialistes en prospective ne peuvent ignorer que ces manifestations devaient être situées dans le contexte régional, spécifiquement dans le monde arabe dont les régimes se ressemblent au point de se confondre. Quelles différences existent entre le régime algérien, tunisien, égyptien ou libyen ? Aucune dans les objectifs, et même dans les méthodes.

Nous avons bien noté que, les seuls soucis qui sont partagés par ces régimes sont la succession et l’héritage du pouvoir :

• En Algérie, cela fait plus d’un an que les cercles occultes mais intéressés veulent à tout prix préparer le frère du Président à prendre le relai, quitte à lui créer un parti politique avec déjà deux millions de voix toutes faites ;

• En Egypte, c’est le fils qui d’ores et déjà, et nous avons été inondés d’informations au lendemain du fameux match d’Oum Dormane, relatant les intrigues et les plans mis en place pour permettre à l’hériter de succéder à son père ;

• En Lybie, les choses sont déjà entendues et rien n’est caché, puisque Seif El Islam est même accueilli en Algérie avec les égards dus à un Chef d’Etat et puisque également le Guide Suprême le dit officiellement dans ses discours.

Cas particulier de l’Algérie

Octobre 1988 : la révolte ne s’est pas transformée en révolution. L’état d’urgence, l’intervention de l’armée et les massacres commis par les rafales faisant plus de cinq cents victimes sans compter les mutilés et les disparus ont semé la terreur.

Le pouvoir a tenté de récupérer cette révolte en proclamant, par la bouche du Président, dans son discours du 10 octobre, la décision d’ouvrir le champ politique ce qui n’a pas plu au clan de l’opposition à l’intérieur du pouvoir lui-même : nous avons vu les événements qui ont succédé à Octobre. Nous n’avons eu droit qu’à peine deux à trois années d’ouverture dans un tintamarre et une cacophonie bien orchestrées.

Après donc cette période, et des promesses d’élections « propres et honnêtes », c’est le carnage et la massacre que subit le peuple avec ses lots de sang de larmes et de terreur, et démarre le terrorisme qui ne finit pas de « finir ».

A ce jour effectivement, nous ne cessons pas de recevoir des messages tantôt rassurants et tantôt inquiétants. De résiduel, le terrorisme redevient, selon les occasions une menace au point de constituer même un sujet de discussions et de polémiques transnationales à voir les tensions autour de l’AQMI.

Janvier 2011 : Tout le monde s’est accordé à qualifier cette révolte des jeunes à un Octobre Bis, voire même pire. Ce ne fut pas le cas : certains sont déçus, d’autres par contre rassurés.

L’élargissement aussi rapide à tout le territoire national, aurait dû plutôt inquiéter au lieu de qualifier ces soulèvements à de simples contestations des hausses de prix du sucre et de l’huile de table.

Quelques analystes attribuent la paternité de ce soulèvement aux « barons » de la distribution et des importations, dans le but difficilement avouable de disculper de toute responsabilité. Ceci est encore plus grave, car inconcevable qu’un groupe d’intérêts puisse se jouer de la République au point de la mettre en état de guerre.

Il faut admettre que les réactions de nos ministres (nous n’avons pas entendu le Président), démontrent, on ne peut plus clairement, cette vision étriquée des maux sociaux dont souffrent la société et le peuple.

Monsieur le ministre de l’Intérieur, dans une intervention télévisée, nous a abreuvés de statistiques dont on peut souligner deux principales :

• La plupart des jeunes émeutiers sont âgés entre 18 et 20 ans, pour probablement mettre en apparence leur inconséquence et leur irrespect de l’ordre établi, des biens publics et, le comble, comme il s’est plus à le rappeler par son, « même privés », pour dire que ce n’est pas seulement l’Etat qui est visé, une manière d’inquiéter le citoyen ;

• Une grande partie de ces jeunes, sont des repris de justices ou ayant eu des antécédents judiciaires. Ceci, même avéré, aurait du plutôt l’inquiéter au lieu de le récupérer et d’en faire un élément servant à rassurer, ou à préparer leurs jugements.

Un élément, conséquence de cette identification de la tranche d’âge incriminée, aurait du amener notre ministre à revoir son analyse : ces jeunes, âgés de 18-20 ans sont donc nés en 1990-1991.

Cela suffit pour comprendre que ces jeunes n’ont connus que les affres du terrorisme, de la peur, de la mal-vie avec toutes les dérivées qui sont le chômage, la harga, la hogra, la drogue et tous les fléaux sociaux. A contrario, et pour les narguer, un climat délétère dans lequel foisonnent les « réussites ostensibles », les cas de corruption à haut niveau et les détournements. Le pire avec l’impunité ou des traitements en justice qui tournent au ridicule, sachant qu’aucun dossier n’a abouti à des décisions à la hauteur des dommages causés à la collectivité nationale : que des lampistes sanctionnés.

Que peuvent et doivent penser ces jeunes révoltés, même si leur révolte est qualifiée de légitime et bien comprise sans oublier de condamner la méthode violente de la casse.

Il y a fort à parier que ces jeunes ignorent tout de l’Histoire du pays, jusqu’aux dates qu’on essaye d’effacer, y compris le 1er Novembre et le 5 Juillet. Aller jusqu’à leur demander de se ressourcer dans le passé, un passé que personne n’a essayé de leur léguer c’est prêcher par ignorance ou, pire, faire dans la provocation.

L’Histoire récente de notre pays a été offerte à la polémique, mettant même en doute les fondements de la Révolution de Novembre.

L’Histoire a été soumise à des débats et des déballages dont les conclusions permettent de poser des questions pertinentes : la Révolution a-t-elle été confisquée (pour reprendre un terme de Mr Ferhat Abbas) au profit de clans : c’est ce qu’il y a lieu de croire.

Le peuple, et particulièrement sa jeunesse, a été pris à témoin de tous ces coups fourrés qui ont secoué la Guerre de libération, dévoilant ces assassinats et les putschs qui ont eu lieu.

Du livre de Mr Ali Kafi, à celui de Said Saadi, que n’avons nous pas entendu, sans compter les pamphlets publiés sur la presse sous les déclarations même des thuriféraires du pouvoir et du parti FLN et nous ne rappellerons que les déclarations de ce fameux secrétaire général de l’organisation des enfants de chouhadas, vite tues.

Comment veut-on, dans cette situation, exiger de ces jeunes le respect des biens publics ou de l’Etat ? Que peut-on leur avancer et comment leur démontrer que cette liberté est due aux sacrifices de leurs ainés pour l’indépendance lorsque ces jeunes vous déclarent tous qu’ils veulent partir n’importe où plutôt que de vivre chez eux ? Est-ce que nos ministres ont des enfants et les écoutent-ils ? Que ressentent nos ministres lorsqu’ils apprennent qu’un citoyen s’est immolé par le feu, ou s’est suicidé ou pris une barque de fortune pour partir affronter la mort pour des motifs de chômage, de mal-vie ? Non, nos jeunes ne partent pas à l’étranger dans l’espoir d’épouser des blondes ! Non nos jeunes ne veulent pas tous des emplois dans des bureaux !

Après les réactions sur le vif où nos ministres, particulièrement celui des Sports et de la Jeunesse et le ministre de l’Intérieur qui se sont lancés dans des qualifications saugrenues des jeunes et des mouvements à la limite du brigandage, examinons les mesures arrêtées pour soi-disant apporter des solutions.

Premièrement, de par la nature des décisions, les manifestations sont réduites à de simples réclamations den baisse des prix. Et l’Algérie n’est pas le seul pays à le croire puisque, nombreux sont les pays arabes à prendre des mesures d’urgence en baissant les prix des produits de large consommation : Soudan, Yémen, Jordanie, Egypte, Mauritanie ont suivi, réduisant leurs citoyens à de simples tubes digestifs.

Mesures prises par le conseil interministériel

Les décisions de suspension provisoire des droits de douane et des taxes sur la valeur ajoutée appliquées à l’importation sur le sucre roux et l’huile brute destinés au raffinage ne produiront que des dégâts collatéraux, après une baisse effective des prix de l’huile de table et du sucre blanc.

Les mesures d’accompagnement notamment celle consistant à ne pas exiger les documents clients requis par la loi sur la concurrence et les prix, ouvrira encore plus grande la brèche, déjà béante, où s’engouffreront davantage de maffieux de l’importation et de la distribution.

Le gouvernement dénonce certains monopoles, qui en principe n’existent pas, où s’ils existent ce n’est que par la force des lois de l’économie de marché longtemps chantée et galvaudée par le même gouvernement.

Il est dit que ces mesures sont provisoires en attendant que soient promulguée les textes de lois par lesquels l’Etat entend imposer une réglementation des marges bénéficiaires.

Sauf erreur, en tout état de cause, ces mesures ne devraient avoir aucune incidence sur les prix, à l’exception de la suspension des droits de douane qui, eux, impactent directement le coût de revient. La TVA, elle est une question de simple trésorerie ; la suspension allégera certainement les plans de financement de l’exploitation des industriels et des importateurs, la suspension ne concernant pas la vente des huiles de table raffinées.

Ajoutant à cela l’exonération de l’IBS, nous pouvons conclure très vite sans risque de faire une grossière erreur, que ces mesures n’arrangent que les importateurs de ces produits.

Nous constatons effectivement cela en nous référant aux entretiens et aux déclarations du patron du groupe CEVITAL : Le pouvoir a cédé devant les pressions des lobbys de l’importation qui veulent une part du marché de l’huile et du sucre, alors que la production nationale dégage des excédents exportés.

Le marché national a connu bien des crises sans aucune réaction à la mesure des problèmes : inondation des places financières par de la fausse monnaie, assèchement des banques en billets, vieilles coupures usagées à la limite de la décence.

Aucune réaction ni aucune décision malgré l’importance des problèmes : la fausse monnaie dans ces proportions est une arme de destruction massive déjà utilisée.

De plus nous attendrons les conséquences de la mise en œuvre du décret obligeant les règlements par chèque de toute transaction atteignant et/ou dépassant les cinq cent mille dinars. La mise en œuvre sera très probablement décalée, pour permettre aux opérateurs de se mettre en conformité, conformité remise en cause par les mesures décidées en janvier.

En conclusion, il apparait évident que le problème n’est pas perçu correctement, à l’instar de tous les pays arabes. Cette lame de fond qui secoue les régimes gagnera en force en raison directe de son traitement la réduisant en revendication de pain, alors que les peuples des pays arabes demandent clairement la liberté, toutes les libertés.

La terre étant une planète, la mondialisation concerne toute les formes de gestion et non pas seulement les échanges commerciaux. Elle concerne également les idées, la culture, les formes de gouvernance, etc.

Malgré les censures, la répression, la jeunesse des pays arabes appartient à la jeunesse du monde entier et fait partie de ce l’on appelle la « digitale native » et les réseaux sociaux par internet ainsi les télévisions satellitaires ont fait le reste de leur formation, quels que soient les efforts des écoles dans leur œuvre de formatage.

En réalité ces réactions du gouvernement revêtent toute la logique du système et sa manière de gérer et sa méthode de gouvernance. Ce système s’est érigé depuis longtemps en système paternaliste considérant le peuple comme un enfant gâté incapable de produire la moindre idée ou le pire, collaborer à la gestion de la cité. Nous avons entendu maintes fois des insinuations parfois très claires sur notre incapacité et notre impréparation à la démocratie, bien que notre histoire récente soit parsemée de luttes et de belles épopées de la résistance au colonialisme jusqu’au mouvement national par la politique puis par la lutte armée.

L’Algérie n’a-t-elle pas été un exemple dans les mouvements de libération des peuples, pour oser, aujourd’hui traiter son peuple d’un amas de citoyens lambda, qui se battent juste pour la bouche.

Quelques aspects de la relation Etat-citoyen

Depuis l’indépendance, nous avons connu le populisme de Ben Bella qui profite de la joie du peuple pour se faire valoir comme le guide et qui a voulu nous arrimer à toute forme de régime, du yougoslave au panarabisme baathiste.

L’aventure s’achève par un coup d’Etat, appelé redressement révolutionnaire, pour voir s’installer l’autoritarisme « éclairé » de Boumediene où toute forme de liberté disparait au profit de l’édification de l’économie – là au moins le rêve fut partagé et le peuple a supporté, son train de vie enregistrant des améliorations continues.

Sa mort mit fin à tous ces rêves.

Chadli est installé Président de la République et engage sa politique d’infitah dont les conséquences sont Octobre 1988.

La décennie rouge, soumise à toutes les analyses est le prolongement de l’ouverture démocratique opérée par le pouvoir, et dérangeant les intérêts des puissant lobbys. Le résultat est catastrophique : des milliers de morts et des dégâts sur l’économie incommensurable.

Cette dernière décennie a enfanté la corruption à grande échelle, les détournements, la fermeture de tous les canaux d’expression, le musellement de toutes les organisations sociales, partis et syndicats.

Le pouvoir pousse le citoyen à se retrancher et reprendre les formes d’organisation ancestrales : famille, tribu, aarch, n’étant plus considéré comme citoyen détenant des droits créances sur l’Etat.

Le colonialisme français a fait différemment, mais dans le même objectif : casser tous les ressorts de la société en détruisant toutes les formes d’organisation n’ayant aucune considération pour l’indigène, destiné de toute manière à l’extinction, logique d’une colonisation de peuplement.

L’Etat n’est perçu alors que comme une force qui réprime, tue, spolie et une administration qui n’existe que lorsqu’il faut lever l’impôt.

L’époque ottomane a vu la même perception de l’Etat : il n’existe pour les citoyens qu’au moment ou le Makhzen envoie son armée pour la perception des impôts au profit des seuls citadins.

Cette forme de relation est reconduite par les gouvernements des pays qui sortent de la colonisation : calquer les méthodes, les formes et même les objectifs.

Comme l’a cité un écrivain algérien, le colon n’a changé que de nom : au lieu de s’appeler Pierre, il s’appelle Mohammed.

Conclusion

Depuis l’indépendance à ce jour, les pouvoirs qui se sont succédés se sont tous considérés, au nom de la légitimité révolutionnaire, comme les tuteurs naturels du peuple. En conséquence ce pouvoir s’est arrogé le « devoir », de réfléchir pour le peuple et le bien-être de la société. La plus grossière des erreurs est de ne pas le consulter pour savoir ce dont a besoin ce peuple.

Par un système de démocratie à l’intérieur des institutions et des organisations qui lui sont inféodés, la participation du peuple se limite à la contribution aux opérations qui sont destinées à l’encenser. Aux yeux du monde le peuple participe à la vie politique.

Ceci restera valable jusqu’aux années quatre-vingt.

Les changements et les mutations qui ont eu lieu, à l’exemple de l’éclatement du bloc de Varsovie, la chute du mur de Berlin et l’avènement de la mondialisation n’ont pas inquiété outre mesure tous les pouvoirs des pays arabes qui ont continué à renforcer leur autorité sans se soucier des risques de rupture.

A chaque grincement c’est la main étrangère, les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur. Ces arguments fallacieux, balayés littéralement par les soulèvements de Tunisie et ceux de l’Algérie, avec la fuite du potentat tunisien, c’est l’affolement généralisé. Les réponses apportées par tous les gouvernements ne feront qu’exacerber la colère.

Cette colère ira en grandissant, car ces jeunes émeutiers dont on tourne à la dérision le manque de slogans seront renforcés par d’autres jeunes dont les horizons ne semblent pas s’éclaircir, et qui seront cette fois des universitaires. Dans quelques années, tout au plus trois, sortiront sur le marché du travail, les jeunes nés en 1990/1991.

Arezki Maouche
21 janvier 2011

Comments are closed.

Exit mobile version