La mère du vendeur de rue qui s’est immolé par le feu, et a déclenché des manifestations en Afrique du Nord, parle à Kim Sengupta.

The Independent, 21 janvier 2011
Traduit par Hoggar Institute, www.hoggar.org

Le vendeur de rue qui s’est immolé, provoquant un soulèvement qui a balayé 23 ans de dictature en Tunisie et a déclenché des manifestations à travers l’Afrique du Nord, avait été abattu par des années de pauvreté et d’oppression par les autorités, selon sa famille qui s’est confiée à The Independent nuit dernière.

Mohamed Bouazizi – dont l’acte désespéré, copié dans plusieurs pays dont l’Algérie et l’Egypte, et qui est devenu un symbole d’injustice et d’oppression – avait perdu sa terre, son gagne-pain et avait été humilié par les fonctionnaires locaux.

Dans une interview hier à son domicile, sa mère Mannoubia a dit qu’elle était fière de son fils et de son rôle dans le changement de régime. Ses appels à l’aide avait été ignorés par les banques et les fonctionnaires, a indiqué sa famille. « Le gouvernement l’a poussé à faire ce qu’il a fait ; Ils ne lui ont jamais donné une chance. Nous sommes pauvres et ils pensaient qu’on n’a pas de pouvoir », dit sa mère. « Mon fils est perdu, mais regardez ce qui se passe, combien de personnes s’impliquent maintenant. »

Ce qui a rendu la déception de M. Bouazizi et son sentiment de désespoir si réels pour ceux qui se sont révoltés ensuite c’est que son épreuve reflétait leurs propres expériences. Cet homme de 26 ans vivait à Sidi Bouzid, dans la profondeur pauvre du pays, qui est économiquement et culturellement différente de la capitale Tunis et des zones côtières du nord où le président Zine al-Abidine Ben Ali, son épouse Leila Trabelsi et leurs courtisans vénaux jouissaient d’une vie d’opulence.

M. Bouazizi avait réussi son baccalauréat, mais n’avait pas trouvé d’emplois qualifiés dans cette région souffrant de sous-investissement chronique. La terre familiale avait été reprise par la banque, et son seul gagne-pain, la vente de fruits et légumes sur une charrette, était sur le point d’être perdu parce qu’il n’avait pas pu obtenir le permis requis par le conseil municipal.

Il a été dit que l’acte qui a poussé M. Bouazizi à l’extrême a été l’humiliation d’être giflé en public par un fonctionnaire de sexe féminin de la municipalité, Feyda Hamdi, au cours d’une altercation où elle a tenté de saisir sa charrette. Leila, 24 ans, l’une des six frères et sœurs de Mohamed, a reconnu que le coup d’un fonctionnaire, en particulier une femme, avait sans doute humilié son frère. Mais ce qui s’est passé n’a été que le point culminant d’une série d’événements qui lui avait fait ressentir ainsi qu’à sa famille qu’ils étaient les victimes d’un système cruel et insensible.

« Cela a toujours été difficile pour nous. Le pire, c’est ce qui s’est passé à la terre », dit-elle. « Nous possédions avec nos voisins une terre où on cultivait des olives et des amandes. On gagnait bien notre vie, mais les choses ont mal tourné pour un grand nombre de gens, nos ventes ont baissé et la banque a saisi notre terre. Je suis allé à la banque avec Mohamed, nous avons fait appel, nous avons fait appel au gouverneur, mais personne ne nous écoutait. D’autres familles avaient le même problème. Ces responsables nous ignoraient. »

Asma Gharbi, ingénieur hydraulicien qui vit à proximité, nous dit : « Il suffit de regarder cette ville, comment tout est en train de s’effondrer, il n’y a pas d’argent. J’ai vécu à Tunis et je peux vous dire que les responsables là-bas s’en foutent. Tout le monde ici en a marre, mais Mohamed a fait quelque chose qui a forcé les gens à découvrir ce que nous vivons. »

Au siège de la municipalité, un fonctionnaire subalterne, Hassan Raidi, a admis les lacunes du passé. « Mais nous avions tous peur de Ben Ali et ses gens. Personne ne pouvait donc faire aucune critique. Maintenant les choses vont changer. »

Après sa dispute avec Mme Hamdi, Mohamed Bouazizi est parti puis est revenu avec un jerrycan d’essence et s’est mis le feu en face de la résidence du gouverneur régional. C’était le 17 décembre. Il y avait des manifestations au niveau local, ainsi que des appels, sans suite, pour une enquête et la sanction des responsables. Mais il y avait très peu d’échos dans les médias censurés et soumis de la Tunisie.

« Les syndicats se sont impliqués, les enseignants, les avocats, les médecins, toutes les sections de la société civile, et ils ont mis en place un Comité de résistance populaire pour soutenir la population de Sidi Bouzid et soutenir sa révolte. Le soulèvement a continué pendant 10 jours à Sidi Bouzid, mais sans soutien de l’extérieur », a déclaré Lazhar Gharbi, un professeur principal.

Mais c’est alors que les nouvelles de l’auto-immolation par le vendeur de fruits ont commencé à se répandre à travers le réseau social en ligne – Facebook, Twitter et les blogs, ce qui a soulevé un tollé d’une grandeur inattendue pour quelque chose qui s’était passé dans une petite ville. M. Bouazizi a été transféré à un hôpital de Tunis. Il y a reçu plusieurs visiteurs dont le président qui a déclaré qu’une enquête serait tenue. Il a promis que Sidi Bouzid et les régions avoisinantes obtiendraient des subventions et des emplois. Mais la région était en colère, une colère exacerbée par les actions agressives de la police. Après le décès M. Bouazizi le 4 janvier, son enterrement a été suivi par plusieurs centaines de personnes qui scandaient : « Adieu Mohamed, nous te vengerons. Nous pleurons pour toi aujourd’hui, d’autres pleureront demain pour ce qu’ils t’ont fait. »

Depuis lors, la Tunisie a changé, Ben Ali a été contraint à l’exil par les manifestants dont beaucoup criaient le nom de Mohamed Bouazizi. Il a été mentionné dans certains blogs que d’autres personnes se sont brûlés à mort en Algérie, en Egypte et en Mauritanie. Les affrontements de rue continuent en Tunisie entre les manifestants et la police, alors que le pays est confronté à un avenir incertain.

Assise à la maison familiale, une maison de trois pièces, entourée de ses enfants, Mannoubia, 48 ans, nous explique comment la mort de son fils l’a politisée : « Je sais maintenant comment Ben Ali avait volé le pays, comment les relations de Leila Trabelsi volaient. Nous n’en voulons plus. Mais la situation n’est pas seulement mauvaise en Tunisie. Je me souviens de ce que me disait mon mari sur la Lybie, les gens pauvres y souffraient aussi. »

Elle continue : « J’ai beaucoup de gens qui viennent maintenant à moi pour me dire que je ne suis pas la seule qui a perdu un fils, mais c’est tout le village qui a perdu un fils. Je suis fier de ce qu’il a fait. Je voudrais aller jusqu’à Tunis et voir ces manifestations. C’est bon de savoir que mon fils a joué un rôle dans le changement de la situation. »

Il reste à voir si la « Révolution des Jasmins » apportera de véritables changements en Tunisie. Dans la place centrale de Sidi Bouzid, il y a un groupe de jeunes chômeurs assis sur un mur.

Oualid Ben Sanai, ingénieur de formation, ne voit pas de changement à l’horizon. « Ben Ali est parti, mais les ministres du gouvernement sont toujours les mêmes. On ne voit pas une réelle amélioration, et s’il n’y a pas d’amélioration réelle il y aura du vrai grabuge. »

« Mais nous pensons à Mohamed Bouazizi. J’espère qu’il ne sera pas oublié. »

© Hoggar Institute www.hoggar.org

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