Etymologiquement, la corruption vient du mot verbe corrompre, venant du latin corrumpere (1), qui signifie briser complètement, détériorer physiquement ou moralement. Elle peut prendre différentes formes : « dessous de table », « pot de vin », « bakchich », « fraude » (falsification de données de factures), « malversation » (obtention d’argent par la coercition ou la force), « concussion » (recevoir ou exiger des sommes non dues dans l’exercice d’une fonction publique, en les présentant comme légalement exigible), « népotisme » (favoriser des proches), « détournement » (vol des ressources publiques par des fonctionnaires et distorsion de la concurrence dans les marchés publics).

Le phénomène de la corruption peut être traité selon différentes formes ; ici nous essayons de le voir d’un point vue moral et sociétal. Et puisque le but est de mesurer l’ampleur de ce phénomène dans la société algérienne en particulier ; la corruption est due à deux facteurs : l’absence de la culture du travail et la non reconnaissance de la loi dans le chimérique social.

Avant de nous introduire au traitement de cette question épineuse, nous préférons motionner trois citations. La première est celle d’un journaliste éminent de par ses contributions et sa connaissance des mécanismes de l’évolution des mœurs de la société algérienne. La deuxième concerne un moraliste, voire un réformateur qui a mis l’accent sur ce phénomène épineux. Et enfin, la dernière, qui semble frappante par l’analyse de son auteur. Nous estimons à travers ces trois citations avoir circonscris où se trouve le problème pour proposer par la suite notre propre analyse.

D’abord, Abed Charef qui voit que : « Les intellectuels algériens s’inquiètent de la dévalorisation du travail. Les jeunes se rendent comptes chaque jour que la combine rapporte plus que l’effort. Ils n’ont pas de modèle de réussite par le travail, c’est le problème N° : 1. » (2)

La deuxième citation que nous avons préféré insérer dans ce contexte date de l’époque de la Nahdah, elle se réfère en effet à une conception de développement qui se veut essentiellement culturel, religieux et moral, considéré comme le fondement de la source de tout progrès matériel. « Il n’y a pas de différence entre les Arabes en particulier écrit Abderrahmane El Kawakibi, et les grandes nations vivantes et contemporaines, que celle qui découle du différent degré du progrès scientifique et moral. Or, l’assimilation de la science ne demande pas plus de vingt ans, alors que la rénovation de la morale en exigerait quarante. » (3)

Et la dernière citation est remarquable par la pertinence de l’analyse de son auteur, de sa description de la réalité des sociétés arabes. Le travail, écrit Ahmed Amin, « est un moyen fondamental pour réaliser le développement et la prospérité des nations. C’est un effort indispensable pour le riche comme pour le pauvre, la femme et l’homme, sans lui, la vie devient un fardeau insupportable. La grandeur des nations se mesure par son respect du temps et du travail. Je suis passé le matin, écrit le même auteur, par un café plein à craquer, le nombre des personnes dedans n’est pas moins de cent personnes. Le café est plein toute la journée et une partie de la nuit. Le nombre des passants dépasse les milles, la moyenne du temps que passe chaque individu est de deux heures en moyenne, voila donc des milliers d’heures passées sans travailler. Multiplier le nombre d’heures perdues par le nombre de cafés dans nos villes et vous voyez combien de centaines de milliers d’heures sont partis sans travail matériel, ni spirituel, ni dans l’effort du corps, ni dans l’effort de l’esprit. Regardez les millions d’agriculteurs combien de mois passent-ils au travail et combien de mois passent-ils au chômage ? Le temps du travail tout entier, ne dépasse pas les cinq mois et, les sept qui restent, sont une oisiveté et un chômage. Et si on fait rentrer chez-nous les moyens modernes de l’agriculture, le temps de travail va baisser encore, calculez alors les millions d’heures perdues sans travail. Calculez le nombre des femmes au foyer, combien d’heures travaillent-elles ? Et combien de femmes ne travaillent pas du tout. Regardez aussi les fonctionnaires dans leurs bureaux, vous allez trouver peu de gens qui font leur travail correctement ; ils passent leur temps en plein lieu de travail autour d’un café ou d’un thé, à la réception d’un proche, dans une conversation téléphonique ou dans une discussion inutile avec un collègue. Regardez également le sommet de l’Etat, les ministres, les barons et les hommes d’influence, ils n’ont pas de travail sauf attendre la rente.

Vous ne voyez pas que nous vivons sur une partie infime de notre effort et notre énergie. Le reste est dilapidé sans utilité pour le corps, l’esprit ou la raison. Je comprends tout cela si nous n’avions pas de possibilités, de matières premières ou de richesses ; ce que je ne comprends pas, est que tout est en friche. Et je ne comprends pas également, quand je vois les étrangers venir chez nous et trouvent du travail, de la richesse et de la belle vie. Les gent du pays rêvent dans les cafés, et les instruits parmi eux, trainent dans les rues et, la plupart, acceptent de vivre avec les miettes » (4).

Le non respect de la loi

La description de cette réalité décadente s’applique parfaitement à la société algérienne. A la place du travail, il y a donc la corruption, car celui qui suit l’évolution de l’Etat algérien après l’indépendance, sera surtout frappé par l’ampleur qu’avait pris ce phénomène dans la société jusqu’à devenir une réalité implacable. Il s’agit de cette propagation endémique qui coule dans les artères de l’économie, ou plutôt dans l’espace social où la corruption a trouvé toute sa raison d’être. Du sommet jusqu’à la base, elle est devenue une coutume, une tradition non-écrite régulant les rapports sociaux ; elle est indubitablement due à certains facteurs, tels le manque de la culture du travail et l’absence de Etat de droit.

Nous pourrons situer la corruption entre deux remparts qui la protègent, ou bien, deux raisons qui alimentent sa survie. L’une est historique, elle concerne l’absence de la culture du travail dans certaines périodes de l’histoire de la société algérienne, notamment l’époque coloniale où elle était spectatrice dans son camp, presque effacée, n’ayant pas la liberté d’entreprendre. L’autre raison est sociétale, due au non respect de la loi dans l’espace social. Les deux raisons sont imbriquées de manière bouleversante et envahissante. Le dénigrement de la loi, ne représentant pas forcement l’intérêt de tous, se traduit par un désengagement général de tout ce qui a trait à l’aspect public. A la base, le respect de la loi implique à ce qu’elle soit inclue dans le contrat social, c’est-à-dire sa capacité de représenter les individus. La faiblesse de la loi découle surtout du manque de sa représentativité. Si elle n’est pas représentative, la loi ne peut absorber la volonté générale ; il y aurait toujours une partie d’individus qui se rebellera contre l’autre. Les sources de la corruption sont donc l’anarchie et l’absence des règles, c’est-à-dire l’absence d’un espace politique qui permet à la société de se construire en adoptant un système politique adéquat à ses conditions sociales. Le citoyen sujet de droit, sur lequel doit s’exercer l’autorité, n’a pas d’existence dans la hiérarchie des normes politiques ; lui permettre le droit naturel de travailler, de s’approprier, de s’émanciper est escamoté.

A l’indépendance, l’exclusion légale se décrétait par des lois en deçà des aspirations sociales ; l’ensemble des sensibilités politiques n’était pas impliqué dans la prise de décisions jusqu’à présent monopolisée par l’élite dirigeante. Le rapport de dépendance était plus ou moins commode, puisque ses ingrédients étaient présents, notamment la tradition distributive de la rente, souvent aléatoire, paralysant l’activité économique dans son ensemble. La force du travail, les forces vives se contentaient d’attendre la survie au compte-gouttes et demeuraient sans réaction. Il s’agissait de conditionner une masse à l’aliénation et de fabriquer une opinion publique docile. Tout le travail des gouvernements successifs, et l’intérêt de l’élite au pouvoir, se contentait du souci de garantir une paix sociale au détriment d’un mouvement créatif et une vivacité. La paix sociale élimine tout genre de contestation ou de revendication politique possible. Cela se faisait à travers la distribution de la rente, bien qu’avec trop d’injustice entre celui qui possède et dilapide les biens publics sans aucun esprit économique, sans vergogne, et sans avoir recouru à l’apport du consentement général de la société. En contrepartie se trouvait une populace, un reste délaissé pour compte.

A travers la politique de la rente, le pouvoir a su comment confirmer sa tutelle. Il était contraint de trouver d’autres moyens pour subsister dans la mesure où il n’était pas mandaté par le peuple. L’individu représenté comme citoyen, censé être sujet de droit, c’est-à-dire reconnu en tant que tel, n’a pas été présent ou n’a pas eu lieu d’être ; la loi outil de l’exercice du pouvoir n’est pas représentative de tous, elle contient une lacune considérable. Elle n’absorbe pas la volonté générale, elle n’est pas l’alfa et l’oméga de Rousseau, ni la puissance souveraine de Hobbes, parce qu’elle n’est pas le fruit d’un compromis ou d’un consensus social.

L’Algérie stagne dans une période pré-politique. Il y a eu une bifurcation dans la représentation mentale des uns et des autres, c’est-à-dire le pouvoir et la société. L’un pense que la loi trace des frontières à ne pas franchir en limitant tout débordement, qu’elle est aussi une compensation d’une lacune, que le consensus national doit compenser la faiblesse individuelle par une volonté générale puissante et souveraine. De ce fait, il s’adhère à un compromis collectif, protecteur de ses intérêts et garant de sa survie, il intègre la loi dans ses mœurs politiques faisant d’elle un principe, un élément culturel indispensable à sa survie. Cela n’est pas le cas de l’Algérie, ni des méthodes qu’avait exercées le gouvernant sur le gouverné, considérant la loi comme un moyen de se protéger contre le soulèvement du camp opposé, soutenant l’idée d’un conflit permanent (l’Etat nature).

Et puisque la loi n’est pas le fruit du consensus, elle se privatise et devient l’outil qui décrète une exclusion réglementée. La loi considérée comme moyen efficace d’absorber les contestations et les malentendus entravant la paix sociale, se transforme en une mesure de distorsion entre le pouvoir de l’Etat et ses sujets. Et par conséquent, elle perd sa substance, ne représentant aucun symbole dans le chimérique social. La loi se définit par cette proportionnalité qu’elle a avec le monde matériel qui l’entoure, elle peut être la seule cause qui l’explique, qui dégage ses mécanismes propres. Toute la quête humaine depuis la nuit des temps, servit à découvrir les lois de l’univers et les comprendre pour en tirer profit de la bonne application. La loi se définit par le principe de causalité qui prend naissance dans ses mécanismes et ses rapports avec les phénomènes naturels, physiques, moraux et sociaux ; elle est une tendance, un principe et un motif. C’est de cette façon que Montesquieu, étudiant son esprit, a préféré nous la présenter.

La loi est également le fruit des circonstances sociales ; sinon comment expliquer l’utilité d’une loi dans une époque et pas dans une autre, dans des temps et des espaces différents ? Que signifient les lois fondamentales algériennes, le sujet en question ? Que signifie par exemple la Constitution de 1963, si ce n’est la confirmation d’une frange de la société sur une autre, le FLN contre le reste, tentant d’absorber les tendances antagoniques en son sein, décrétant une loi unique mettant sa supériorité au dessus de toute considération et toute critique ? Que signifie la Constitution de 1976, si ce n’est la régulation de la vie politique devenue incontrôlable, ou celle de 1989 répondant aux pressions sociales prenantes et circonstancielles ?

Presque toutes, sont des constitutions de crises. Y a-t-il dans tous ces rendez-vous historiques une réelle prise de conscience ? Y a-t-il un compromis politique préalable pour une telle démarche ou telles décisions prises ? La société a-t-elle pu se regrouper autour d’une tendance considérée par tous, comme la meilleure façon de se confirmer politiquement ? Le pouvoir au sommet de l’Etat précipite toujours l’accouchement pour finalement décréter des lois devenant vite obsolètes. Le législateur doit écouter la nature et écrire de ce qu’elle lui dicte ; ses propositions doivent découler de la réalité même, des phénomènes sociaux. Les lois devraient suivre le chemin de l’évolution des sociétés, aider à ce que ce dernier soit plus clair et plus facile à emprunter ; elles représentent normalement des repères qui protègent l’individu de ses propres caprices et débordements. Qu’en est-il des lois qui encouragent les débordements ou d’autres qui répriment les libertés ?

Nous sommes très frappés par cette idée du dualisme manichéen quand on jette un regard, même bref, sur la réalité algérienne ; de ce dédoublement presque unique dans son genre ; un peuple et un pouvoir séparés dans le fait. La loi se connote entre les deux camps différemment, entre l’un qui l’instrumentalise à son profit et, selon la conjoncture, et l’autre qui refuse quasiment de la reconnaître. S’il y avait un consensus préalable, il n’y aurait pas eu cette affliction ; si chacun des deux parties avait un intérêt, un rapport intime avec la loi, il l’aurait respectée. La loi devient un moyen de servir les plus forts ; sinon comment pourrions-nous expliquer ce déséquilibre entre des rentiers riches et des travailleurs (salariés) pauvres ? Les principes des gouvernements ont maintenant changé, ils ne se connotent pas de la même façon, le peuple et ses élus n’ont pas le même centre d’intérêts, les rôles se sont renversés, les âmes commencent à se corrompre, l’ambition guette les esprits, ainsi que l’avarice et le désir d’avoir. Montesquieu a bien précisé cet état de bouleversement : « On était libre avec la loi écrit-il, on veut être libre contre elle ; chaque citoyen est comme un esclave échappé de la maison de son maître ; ce que qui était maxime, on l’appelle rigueur ; ce qui était règle, on l’appelle gêne ; ce qui était attention on l’appelle crainte. C’est la frugalité qui y est l’avarice, et non pas le désir d’avoir. » (5)

L’absence de la culture du travail

Ainsi, il n’y a pas eu un rapport naturel avec le travail ; les individus ne voyant pas le fruit de leur effort ou le voyant partir à d’autres sans récompense, perdent la motivation d’entreprendre. Ils se voient dans une dépendance permanente sans voir le moindre appendice d’émancipation ; ils réalisent que l’infime récompense de leur travail ne les libère pas de la dépendance vis-à-vis de l’Etat et de la rente qu’il distribue. Ils se désengagent par conséquent de travailler. La rente a aplati le rapport avec le travail ; il est devenu inutile puisque la richesse découle de la rente et non de l’effort fourni. La valeur du travail a pris une autre connotation, elle est sortie de son contexte propre. La corruption se trouve dans ce renversement des rôles, cette crise morale où les valeurs sont perdues ; elle baigne dans l’anarchie et l’absence des règles. Le mérite et la compétence n’ont pas leur vraie valeur dans un Etat cacophonique ; elles sont forcément dévalorisées. Le travail, émanant de la motivation propre de chaque individu, s’est transformé en une contrainte imposée par la conjoncture. Considéré comme moyen d’émancipation, il n’est qu’un gâché et temps perdu, la récompense ne découle pas des énergies déployées, du savoir-faire ou de la compétence, mais du gain facile que la corruption peut apporter. L’absence de la culture du travail et le non respect de la loi, ont empêché de forger une conscience politique susceptible de construire un Etat démocratique basé sur le mérite et la compétence. A la place se trouve un malaise profond, un dysfonctionnement, une forme de bouleversement des mœurs, le compte à rebours a commencé, les principes se sont déplacés pour se connoter différemment, l’épidémie s’est propagée et tout le corps « social » est atteint d’une fièvre bizarre, difficile à y remédier.

Evoquer la question de l’absence de la culture du travail au sein de la société algérienne implique un retour, même bref, aux étapes historiques que l’Algérie avait connues au préalable. Nous apercevons que durant longtemps, les Algériens ne se sont pas appropriés d’eux-mêmes. Ils étaient souvent marginalisés de la prise de décision et de prendre leur devenir en main. A la période turque, on parlait du « Beylek », les autochtones avaient surtout subis une hiérarchisation de la société imposée par l’extérieur, tout à fait contraire à leur structure sociale. Il y avait certes une sorte d’homogénéisation de la société sur le plan culturel ; ce qui avait amené à un compromis dualiste amenant les Algériens à accepter la présence ottomane et demeurer sans réaction. Or, la marginalisation alternée de la masse, son éloignement de la sphère de l’Etat et de la prise de décisions, ont tué un sentiment commun, susceptible de créer un consensus politique et social. Deux entités politiques séparées dans les faits ont été créées, mais dans le même temps, cohabitaient sous la mainmise des pressions historiques inévitables. Malgré la différence de la structure sociale, politique et parfois culturelle, il y a eu une sorte de cohabitation en trompe-l’œil imposée par la conjoncture avec un intrus, un pouvoir arrivant de l’extérieur et décidant seul, loin d’impliquer la société dans la prise de décisions. Cette marginalisation historique a fortement contribué à obscurcir le destin de l’Algérie indépendante. Pendant la période française, nous avons assisté aux mêmes aléas historiques subis au préalable, encore cette fois, ils étaient plus néfastes. Il n’y avait pas de cohabitation ou de compromis avec les nouveaux arrivants, au contraire, c’était une invasion et une destruction préméditée, une tentative d’effacement de l’identité auquel le peuple algérien a pu résister. Dépossédée de ses biens, exclue dans les campagnes, marginalisée et exploitée, la population n’avait pas le sentiment de s’approprier d’elle-même, ni de ses biens. Il y avait par contre des biens qui allaient êtres vacants au sortir du colonialisme.

Ce cumul historique a pesé lourdement, notamment dans la période de l’Algérie algérienne et a eu de graves conséquences. Le « baylek turc », « les biens vacants français » et finalement « l’Etat algérien », celui du FLN et ses acolytes, l’apanage d’une minorité qui fait émerger une croyance quasi religieuse dans la même société en la séparant en deux catégories, des citoyens actifs et d’autres passifs ; ceux qui détiennent le pouvoir, la rente et les privilèges et un reste délaissé pour compte. Une minorité exploitant un solde historique commun à son profit, détenant le pouvoir en hermétique, séparant l’Etat et ses institutions du reste du corps social. Puis une majorité passive, inerte et non impliquée dans la vie politique. C’est là où la faiblesse du caractère public de l’Etat s’est prononcée, c’est là où la distance entre le gouvernant et le gouverné s’est élargie. C’est après l’indépendance que les séquelles historiques se sont manifestées au grand jour. Elles étaient fatales pour un pays qui arrive à peine à se révéler sur scène. Deux entités séparées dans le fait, un pouvoir politique d’une part et une société civile de l’autre, entre l’un qui accapare l’Etat et ses institutions à sont profit considérant le pouvoir comme un don gracieux, et l’autre qui subit, voit et laisse faire. Parfois, il répond par l’émeute et la violence, par la désobéissance civile, considérant le désengagement de travailler comme une réponse à la marginalisation et l’extradition du champ politique et économique qui endure.

Conclusion

La corruption est née dans la société parce que le régime politique l’a portée dans ses entrailles, elle représente les passages clientélistes et les réseaux qui consolident le pouvoir et le renforcent. La tentation du gain facile a dominé l’imaginaire social, devenant une norme et une tradition, elle a tué le travail et paralysé l’économie. La corruption se trouve en parallèle de la loi et tente de temps à autre à la renverser, elle évolue dans les labyrinthes et en marge de la loi votée. Elle se loge dans l’économie souterraine, alimentée par des clans et des groupes de pressions larvés ; la nature du régime a évolué ainsi, l’économie distributive a aidé à la propagation endémique de la corruption. En l’absence d’un Etat de droit et, puisque la corruption est mue par l’idée du gain facile dans laquelle le travail est absent, elle intervient pour remplacer le travail et réguler l’économie. La corruption surévalue le travail et dans le même temps le sous-évalue. Quand elle le dévalorise, elle défait le rapport naturel le reliant aux individus, cela diffère d’une société à l’autre, d’une culture à l’autre et au sein même d’une société. Elle crée un désengagement, c’est-à-dire un sentiment où le travail ne représente aucune utilité dans l’inconscient collectif, aucun intérêt au sein du même groupe social, il y a davantage d’orientation vers autres méthodes.

Et quand elle surévalue le travail, c’est ce que nous avons remarqué concernant la gestion des marchés publics, les transactions sont régulées par les pots-de-vin, et au lieu de donner au travail son juste prix, on intervient par le biais des commissions corruptives pour le dérégler. Une procédure d’ailleurs non économique. La différence de cette modification arbitraire des prix, va être empochée par les dirigeants politiques, ceux qui ont négocié les opérations. La surévaluation du marché public est l’argent du contribuable qui sert les intérêts des particuliers, l’essence même du néo-patrimonialisme. Autrefois, écrit Montesquieu : « Le bien des particuliers faisait le trésor public, mais pour lors, le trésor public devient le patrimoine des particuliers. La république est un dépouille ; et sa force n’est plus que le pouvoir de quelques citoyens et la licence de tous ». (6)

Conçue dans un Etat cacophonique et sans esprit économique, cette dérégulation arbitraire des prix a eu une influence néfaste sur la politique des salaires ; elle a escamoté la protection du marché du travail, faisant du salaire une récompense infime par rapport à l’effort fourni, ce qui a créé l’engouement vers le gain facile et par conséquent la corruption. La dévalorisation monétaire appauvrissante et la part des salaires en baisse, ont amplifié le phénomène. Selon les enquête disponibles, la salarisation en Algérie est en nette baisse, étant passée, en 20 ans d’environ 50% à moins de 20% en 2088/2009 dans la structure du produit intérieur brut contre une moyenne supérieure à 50/60% dans les pays développés et émergents. La baisse de la salarisation dans la structure du revenu en Algérie, s’étant faite au profit des indépendants et des couches rentières avec une concentration excessive, fonction du mode d’accumulation reposant sur la captation de la rente pétrolière.

La corruption tue le travail et paralyse l’économie, car elle fait tout simplement abstraction de la compétence et du mérite, le travail n’est pas à sa juste valeur, n’est pas accompli par les personnes qualifiées, ce qui le dévalorise notamment dans l’imaginaire social où le refus des lois du marché assure l’inertie et élimine la compétition pour le pouvoir. De cette manière, l’Algérie évolue contre nature, nous avions vu le résultat d’un travail en vain, il n’est pas à la mesure des efforts déployés, ni aux gâchés des énergies, ni à la mesure même du sentiment d’échec qui a vaincu tout l’ensemble de la société hésitante sur son propre essor, n’ayant plus l’envie de reprendre l’expérience à moins de prendre la fuite de son destin, de s’évader, de prendre le risque jusqu’à perdre sa vie la (hargas). Qu’en est-il du rêve commun, des motivations de naguère, de cet idéal évaporé chaque jour dans les brumes du matin, enfoui dans les entrailles du passé ? Voila à quoi aura finalement abouti le fraternalisme, le populisme et l’embarras d’être franc avec soi et devant son histoire.

Hammou Boudaoud
15 novembre 2010

Références :

(1) Larousse 2010.
(2) Beaugé Florence, l’Algérie des années 2000, vie politique et sociale et droit de l’homme, préface de Mohammed Harbi, Paris 2008, Edition du Cygne p. 91.
(3) Cité par Ghalion Burhan, Le malaise arabe, l’Etat contre la nation, 1991, Edition, La Découverte, p. 95.
(4) Ahmed Amin, traduit de l’arabe par l’auteur, « une nation qui vit sur un dixième de sont effort », texte choisis programme d’enseignement secondaire. Algérie.
(5) Chevalier Jean Jacques, Les grandes œuvres politiques de Machiavel à nos jours, Ed Armon Colin Paris, 1968. p. 132.
(6) Chevalier Jean Jacques, Les grandes œuvres politique de Machiavel à nos jours,op.cit.

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