Le coup d’envoi de la célébration du 30eme anniversaire du printemps berbère, à Toulouse, est donné le 20 mars 2010. En effet, une conférence-débat sur la genèse et le déroulement des événements du printemps berbère a été animée par l’un des animateurs de ce mouvement, Gérard Lamari. D’emblée, le conférencier a tenu à rappeler le rôle dévastateur de la sécurité militaire (SM) pour empêcher la construction d’une République des droits. Pour le conférencier, les années 1970 représentaient indéniablement les plus belles années de la SM. Car le contrôle quasi-total de la société a provoqué la baisse du rideau sur le pays. Les méthodes employées sont de nature, par ailleurs, à dissuader les plus récalcitrants. Il y avait, selon Gérard, « un resserrement accru des libertés à tel point que l’étau devient insupportable pour les jeunes. » Il est un secret de polichinelle que la SM enlevait, à ce moment-là, des opposants. Les communistes, pour leur part, étaient chassés comme des sourcières, a-t-il argué.

Toutefois, bien que le black out et la chape de plomb aient entouré la vie nationale, il en reste pas moins que le mouvement berbère a connu un véritable frémissement. Contrairement aux baathistes qui bénéficiaient du soutien du régime, les militants du mouvement berbère ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Bien qu’il y ait des supports sur lesquels le mouvement comptait, telles que l’académie berbère, la revue itij (Le soleil), sur le terrain les militants affrontaient un arsenal répressif tenu par un régime cherchant à mater toute contestation populaire. Et les militants distribuaient la revue au risque de se faire arrêter. Par ailleurs, en dépit de la velléité du régime de régenter la société, d’autres formes de résistance ont fait leur apparition. Le théâtre a joué un rôle mobilisateur, notamment avec les textes pleins de sens de Kateb Yacine. La fameuse pièce de théâtre « la guerre de 2000 ans » est à ce titre explicite. La chanson engagée a également jouée un rôle prépondérant dans l’éveil des consciences. L’autre forme, plus radicale, est celle menée par les poseurs de bombes.

Cependant, c’est dans ce climat explosif que le centre universitaire de Tizi Ouzou a ouvert ses portes en 1977. Dés le départ, le syndicat estudiantin proche du régime, l’UNJA en l’occurrence, chapeautait la Fac. Mais, force est de constater que cette suprématie n’était pas admise par tous. Avant la prise en main de la fac par le syndicat autonome, plusieurs grèves avaient été lancées afin de remettre en cause l’influence de l’UNJA sur la fac de Tizi Ouzou. A ce titre, la mort de Boumediene en décembre 1978 a été une occasion de s’affirmer davantage. Les dissensions au sommet de l’Etat pour la succession ont libéré quand même des espaces. D’ailleurs, dés l’ouverture de l’année universitaire 1979-1980, la fac de Tizi Ouzou a observé une grève d’un mois pour dénoncer l’encadrement imposé par le haut. En fait, le but sous jacent des étudiants était indubitablement la création d’un comité autonome, débarrassé de toute mainmise du pouvoir. Pour le régime, ce mouvement ne pouvait être dirigé qu’en complaisance avec le roi du Maroc. Et pour intimider les animateurs, le régime a ressorti du placard l’accusation d’antan qualifiant les militants de la région de berbéro-matérialistes.

Par ailleurs, grâce à la persévérance des animateurs du comité autonome, le régime a perdu son emprise sur la fac de Tizi Ouzou. Auréolé de cette victoire, le comité autonome a programmé plusieurs activités. Profitant l’occasion de la sortie du livre sur « les poèmes kabyles anciens » de l’éminent écrivain, Mouloud Mammeri, le comité l’a invité à la fac de Tiz Ouzou pour présenter son œuvre. Ainsi, le 10 mars 1980, M. Mammeri a été attendu de pied ferme par la communauté estudiantine. L’amphithéâtre, où était prévue la rencontre, étant exigu pour accueillir la foule, les organisateurs ont dû opter pour une autre solution : organiser la conférence dans le restaurant universitaire. Malheureusement, le conférencier a été arrêté à l’entrée de la ville. Conduit au siège de la wilaya, le wali a expliqué les raisons du refus des autorités en expliquant que « les étudiants de Tizi Ouzou sont réactionnaires ». Dans la foulée, le régime a lancé un grand chantier : l’arabisation totale de l’administration. Cette réforme a provoqué l’ire des animateurs du comité autonome. Le rubican a été franchi par le régime en réprimant, le 7 avril 1980, la manifestation des étudiants venant de Tizi Ouzou. De retour d’Alger, les étudiants ont tout bonnement occupé la fac. Le mouvement s’est assigné deux axes de lutte, selon Gérard Lamari. Le premier était inhérent au problème culturel. Quant au second, il concernait les libertés démocratiques. Pour y parvenir, le comité autonome a inscrit le mouvement dans un cadre pacifique. Ensuite, il s’agissait d’affirmer haut et fort que la portée du mouvement était nationale. Pour étayer ces allégations, Gérard a cité le cas de la délégation catalogne qui s’est rendu à Tizi Ouzou pour savoir si le mouvement était autonomiste. Le comité a répondu sans ambages qu’il n’était nullement question de cela. Selon Gérard, les animateurs ont placé les constantes nationales au même pied d’égalité, à savoir la berbérité, l’arabité et l’islamité.

Toutefois, la force du mouvement résidait indubitablement dans sa nouvelle façon de s’organiser. En effet, depuis l’indépendance, Gérard préfère parler de la post-colonisation, la société qui tirait à hue et à dia a fait connaissance, pour la première fois, avec le comité autonome de la fac de Tizi Ouzou. Ce dernier puisait sa force dans sa faculté à être ouvert à la société. Ainsi, en un sens, ce mouvement pouvait être considéré comme fondateur d’une nouvelle ère de revendication. En cassant la barrière et la peur d’affronter le régime, plusieurs organisations ont vu le jour quelques années plus tard, telles que la création de la ligue des droits de l’homme (1985) et la légalisation des partis (1989).

Par ailleurs, trente ans plus tard, la situation politique, dans le pays en général et en Kabylie en particulier, est catastrophique. A la situation déjà alambiquée, les luttes intestines, en Kabylie notamment, ont provoqué un recul sur le plan revendicatif. Selon Gérard, les oppositions endémiques RCD-FFS et MCB commission-MCB coordination ont fait le jeu du pouvoir. La Kabylie est aujourd’hui à l’agonie, a-t-il poursuivi. Le comble, c’est que personne ne vient à son chevet. Pour remédier à cette souffrance, le conférencier a proposé une batterie de mesures. La première est inhérente à la nécessité de rompre avec le mythe du mouvement national et même du congrès de la Soummam. Il a proposé ensuite de cesser de revendiquer au régime des changements. Pour lui, la seule solution, pour la survie de la région, consiste à se prendre, elle-même, en charge. Autrement dit, mettre un terme, à ce que le conférencier appelle, le paradigme kabyle. C’est-à-dire, remettre en cause le modèle de revendication qui a prévalu jusque-là. Une fois ce tabou cassé, les mouvements kabyles cesseront d’être timorés. C’est à ce moment-là que la région sera véritablement souveraine. A la question de savoir comment peut-on y parvenir à cette souveraineté régionale, le conférencier a averti qu’il ne fallait pas basculer dans la violence. Pour lui, la solution idoine est la désobéissance civile. Après cette intervention d’une demi-heure environ, un débat a été ouvert pour que le conférencier explique davantage ces propos. La question qui revient tel un leitmotiv est la stratégie à mettre en place pour que la région ne souffre pas en adoptant une telle démarche.

Boubekeur Ait Benali
22 mars 2010

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