Six ans d’exil forcé dans un payé où leur séjour a été fortement monnayé par les autorités burkinabé, six ans d’injustice criarde, Ahmed Simozrag et ses camarades n’en peuvent plus. Ils veulent partir loin d’ici pour être près de leurs familles restées en France ; ils veulent être libres comme tout le monde. Dans l’interview que nous a accordée celui qui s’est retrouvé au Burkina contre son gré pour avoir commis (l’erreur ?) d’être l’avocat du Front Islamique du Salut (FIS), Ahmed Simozrag veut comprendre l’attitude des autorités burkinabé.

L’Indépendant : Cela fait six ans que vous êtes exilés malgré vous au Burkina faso, décrivez-nous un peu votre vie au quotidien.

Ahmed Simozrag : Effectivement, le 31 août 2000, cela fait six ans jour pour jour que nous sommes en exil forcé au Burkina. Nous vivons dans une situation illégale, confuse, sans statut, sans papiers, éloignés de nos familles, privés de nos droits les plus élémentaires, privés de liberté. Cet exil a engendré des situations catastrophiques. Sur tous les plans. A notre niveau en tant qu’exilés et surtout au niveau de nos familles restées en France. Nos enfants souffrent énormément de notre absence. Il y a des échecs partout. Du point de vue scolaire, nos enfants n’ont pas réussi ; sur le plan de la santé, leur situation laisse à désirer. Il y a des frères dont les pouses ont demandé le divorce, et le divorce est consommé. Nos enfants ont grandi sans nous, loin de notre contrôle.

C’est lamentable, c’est indescriptible même. On est presqu’ignoré de nos familles, de nos enfants. Moi, mes enfants ne me reconnaissent plus et je ne suis pas le seul. Parce qu’ils ont grandi, parce qu’ils ne m’ont pas vu, parce qu’ils ne savent pas pourquoi je suis là ; qu’est-ce que j’ai fait pour être exilé, pour être éloigné, pour être séparé loin d’eux. C’est une situation extrêmement préjudiciable ; indescriptible et irréparable. Un exemple : ma fille a tenté de se suicider ; elle s’est jetée du 4e étage. Cela fait trois ans qu’elle se trouve dans un hôpital psychiatrique. Elle est défigurée ; le mental ne va pas, psychiquement, elle est déséquilibrée.

C’est une situation inhumaine parce que le bannissement est synonyme de mort. Bannir quelqu’un, c’est une condamnation à mort ; même si nous sommes en vie. Etre en vie, sans liberté, sans droit, loin de nos enfants, c’est une vie qui n’a pas de sens.

Notre situation ici est connue. A notre arrivée, vous êtes venue nous voir et vous êtes revenus aujourd’hui, la situation est la même : toujours en résidence surveillée ; toujours sans liberté, toujours dans la confusion la plus totale ; nous n’avons pas de perspectives. Un prisonnier sait combien d’années il passera en prison. Il sait quand est-ce qu’il va être libéré ; nous, nous ignorons totalement notre avenir. Nous ne savons pas pour combien de temps nous sommes là. Nous ne savons pas de quel droit on dépend, quelle est la loi qui nous régit ? Est-ce la loi du Burkina ? Est-ce le droit international ? Est-ce la loi française ? Est-ce la loi algérienne puisque nous sommes Algériens ? Nous ne savons rien de cela. Notre situation est une première au monde. Elle ne peut même pas être examinée au regard du droit international. Il faut nous considérer comme des morts-vivants. Parce que nous n’avons pas de liberté ; nous n’avons pas de statut comme tout un chacun.

L’Indépendant : Il était prévu au début de votre arrivée ici au Burkina que la justice se penche sur vos dossiers en France. Qu’en est-il exactement ?

Ahmed Simozrag : Ecoutez, quand il s’agit d’une affaire politique, et que la raison d’Etat s’en mêle, la justice ne peut pas fonctionner normalement. C’est la raison d’Etat qui prévaut, donc le droit n’a pas son mot à dire. C’est pourquoi nos dossiers ont été rejetés à la justice. Notre situation doit être examinée d’un point de vue politique.

L’Indépendant : Les changements politiques intervenus en France n’ont-ils pas joué en votre faveur ?

Ahmed Simozrag : Apparemment non. Nous avons écrit aux autorités françaises, celles qui sont venues au pouvoir après les Pasqua mais nous n’avons pas eu de réponse. A maintes reprises, nous avons saisi le ministre de l’intérieur, le chef du gouvernement, le président Chirac, mais sans suite. Pourtant, la loi française stipule qu’une expulsion au bout de 5 ans doit être reconsidérée ; nous avons attiré leur attention sur le fait que les cinq ans sont déjà écoulés et qu’il y a lieu de reconsidérer leur position par une levée de l’expulsion. Nous n’avons pas eu de réponse jusqu’à maintenant.

L’Indépendant : La situation politique s’est quelque peu améliorée en Algérie depuis l’arrivée de Bouteflika à la tête de l’Etat. Est-ce qu’il n’est pas possible d’envisager votre retour en Algérie ?

Ahmed Simozrag : Nous sommes venus d’un pays qui s’appelle la France, nous avons notre situation en France ; nos enfants et nos biens se trouvent en France, et c’est la France qui nous a expulsés. Il faut d’abord régler le problème avec la France. Nous n’avons pas de problème avec l’Algérie. C’est la France qui nous a envoyés ici, et c’est elle qui doit nous réintégrer, mettre fin à cet arbitraire.

Maintenant en ce qui concerne l’Algérie, je ne vois aucune amélioration. La situation est toujours est la même ; les militaires sont toujours aux commandes du pouvoir, le président Bouteflika n’a rien fait jusqu’à maintenant, il y a toujours des prisonniers, il y a toujours des assassinats, il y a toujours l’insécurité, il n’est pas question d’envisager notre retour en Algérie ; du moins pour le moment.

L’indépendant : N’est-il donc pas possible dans ce cas d’aller vivre ailleurs avec plus de liberté ?

Ahmed Simozrag : Cela dépend des Etats qui sont responsables de notre situation ; ça ne dépend pas de nous. Nous n’avons aucun papier, nous sommes privés de liberté. Si vous n’avez pas de passeport, comment pouvez-vous voyager ? Vous ne pouvez pas aller dans un autre pays, puisque vous n’avez pas de papiers. La France nous a tués, le Burkina nous a enterrés. Il a rendu facile l’exercice de cet arbitraire.

L’Indépendant : Avez-vous des contacts avec les autorités burkinabé ?

Ahmed Simozrag : Le contact devient de plus en plus difficile. Depuis un certain temps, il n’y a pratiquement pas de contact ouvert. Nos doléances ne sont pas écoutées, nous ne sommes pas facilement reçus par nos interlocuteurs, les choses deviennent de plus en plus difficiles. Nous sommes presqu’à l’état d’abandon.

L’Indépendant : Qui sont vos interlocuteurs au Burkina ?

Ahmed Simozrag : En principe notre interlocuteur est le colonel Diendéré, mais il est difficile de prendre contact avec lui. Il faut faire la queue, il faut réitérer la demande pour être reçu, ce n’est pas facile.

L’Indépendant : A quand date votre dernière rencontre ?

Ahmed Simozrag : La dernière fois date d’environ 6 mois. Quand ma famille est venue, j’ai demandé justement audience et je n’ai pas eu de suite.

L’Indépendant : Quel a été l’objet de votre dernier entretien si ce n’est pas indiscret ?

Ahmed Simozrag : C’était une rencontre concernant justement notre situation. Et la réponse est toujours pareille : « Ce sont les Français qui n’ont pas donné suite ; le Burkina n’a aucune compétence en ce qui vous concerne ».

L’Indépendant : Comment vivez-vous au Burkina ; avez-vous un travail ou bien recevez-vous de l’aide d’un tiers ?

Ahmed Simozrag : Nous percevons une indemnité d’asile politique qui devient de plus en plus insuffisante au regard du coût de la vie. La vie change et l’indemnité n’a pas changé depuis 5 ans ; C’est nettement insuffisant.

L’Indépendant : Il semblerait que le pouvoir vous aurait à un moment donné suggéré de partir du Burkina avec des faux documents. Confirmez-vous cela ?

Ahmed Simozrag : Il y a eu cette proposition, et on a délivré de faux documents à quelques-uns de nos frères, ils ont essayé de partir mais ont été refoulés par certains pays limitrophes ; donc ils se sont retrouvés au Burkina sans indemnités, et leur situation est vraiment lamentable. Ceux qui ont réussi à partir tant mieux pour eux, ils ont réussi à s’installer dans certains pays d’Europe, en particulier à Londres, en Suisse. Mais les autres qui n’ont pas pu décoller parce que les papiers ne correspondaient pas à leur identité se sont vu réexpulsés au Burkina et vivent maintenant sans ressources au motif qu’ils ne font plus partie du groupe, par conséquent, ils sont en train de végéter dans la misère et le Burkina refuse de venir à leur secours.

L’Indépendant : Quel est votre plus grand souhait aujourd’hui ?

Ahmed Simozrag : Que l’Algérie retrouve la paix, la prospérité et le bien-être ; que notre situation s’améliore ; que nous puissions retourner dans nos familles. Nous ne demandons pas la lune, mais notre réintégration au sein de nos familles et que cet arbitraire cesse. Nos enfants souffrent de notre absence. C’est dur pour des enfants d’avoir un papa qui vit en exil et dont ils ignorent les raisons de cette sanction. C’est un cas caractéristique d’une violation flagrante des droits humains. Nous n’avons rien fait pour être ici. Et si nous avions fait quoi que ce soit, il y a des tribunaux en France. On nous accuse d’appartenir à un mouvement, ils faisaient allusion au FIS : Le FIS est un parti politique qui a été démocratiquement élu, reconnu par la loi et plébiscité par le peuple. ; C’est un parti politique qui a existé légalement. Est-ce une infraction le fait d’appartenir à un parti politique légal ?

L’Indépendant : le FIS a été dissous…

Ahmed Simozrag : Une raison de plus. Il a été dissous. Faut-il s’en prendre à tous ceux qui y ont adhéré, c’est-à-dire à la moitié du peuple algérien ? S’il a été dissous, cette sanction suffit. Ses militants ne sont plus du FIS, qu’on les laisse en paix. Pourquoi devraient-ils subir les conséquences de cette dissolution ?

D’ailleurs les poseurs de bombes sont sortis des prisons, pourquoi des gens comme nous sont-ils toujours soumis à cette sanction illégale ?

L’Indépendant : Les autorités françaises craignent sans doute que vous ne réveillez le mouvement dissous, si vous retournez en France…

Ahmed Simozrag : Le FIS est né en 1989 en Algérie et il a été dissous en 1992 pendant que nous, nous vivions en France depuis 15, voire 20 ans. Qu’est ce que nous avons à voir avec un mouvement qui venait de naître pour mourir peu de temps après ? Nous sommes victimes des ambitions électoralistes de Pasqua. Aussi, qui doit craindre un mouvement dissous ? Et même s’il était en activité, l’Etat de droit ne doit en aucune façon craindre ce qui est légal et démocratique.

L’Indépendant : Vous, vous êtes l’avocat du FIS ?

Ahmed Simozrag : Mais le FIS n’existe plus. Où est le problème ? Est-ce que le fait d’être l’avocat du FIS, ça fait mal quelque part et à qui ? Il y a des avocats qui défendent des Nazis, des tueurs, des violeurs, des criminels de tous poils, et on me reproche de défendre des hommes de principes, de foi et de vertus. Qui plus est, cela s’inscrit dans le cadre des droits de la défense reconnus à toute personne mise en cause dans une procédure. C’est tout à fait légal. C’est le droit de tout un chacun d’être défendu, compte tenu de la présomption d’innocence. Il s’agit seulement d’un excès de zèle de la part de l’ancien ministre de l’intérieur Charles Pasqua qui voulait montrer par cette décision arbitraire qu’il est là, espérant gagner des voix de l’extrême droite. Un coup d’éclat médiatique qu’il a voulu utiliser comme moyen de gagner quelques voix.

On nous accuse de terroristes. Soit…Quand on sait que des anciens terroristes sont devenus des chefs d’Etat et des prix Nobels de la paix comme Nelson Mandela et Yasser Arafat, l’on se demande si on mérite un tel qualificatif trop honorable pour des gens dont le seul souci est de retrouver leurs familles et vivre en Europe.

La preuve : cela fait six ans que nous sommes au Burkina, cela fait six ans que vous nous connaissez, personne ne peut nous reprocher quoi que ce soit dans ce pays et vous le savez parfaitement. Vous pouvez en témoigner en tant que journaliste. Si nous étions des terroristes, on aurait pu faire quelque chose ici. Ce ne sont pas les ambassades qui manquent ni les cibles qui manquent.

Entretien avec Ahmed Simozrag, avocat du FIS

Réalisé par Michel Zoungrana
L’Indépendant n° 366 du 12-26 septembre 2000

3 commentaires

  1. L’eradication à l’oeuvre.
    Ja suis effondré par tant de malheurs injustifiés et tant d’archarnements mis à anéantir un mouvement politique vainqueur d’élections éléctorales les plus démocratiques et reconnues par la communauté internationale!

    Cela me rappelle le cas de l’Egyptien Naba(pas sûr du nom),condamné par …l’ONU, dépouillé de ses biens,en résidence surveillé,enterré vivant lui aussi.C’est effrayant et montre bien la determination féroce,de certains groupes d’intérêts à réduire à néant,à vitrifier toute volonté politique légale aux couleurs d’un Islam politique.

    Que devient Maitre Simozrag?Sa famille éclatée, sa fille…etc? Ses amis politiques du Burkina? Pouvez-vous nous le dire, Mr l’administrateur? Merci.

    • réponse au commentaire
      Je vous remercie d’avoir demandé de mes nouvelles. Je me porte bien, Dieu merci (al-hamdulilleh). Je suis toujours assigné à résidence au Burkina Faso. Ma famille va bien, elle me rend visite de temps en temps ; ma fille s’est remise de sa maladie grâce à Allah. Nous sommes encore six expulsés au Burkina, cinq Algériens et un Marocain. Certains parmi nous ont obtenu gain de cause : la justice française a annulé leurs arrêtés d’expulsion, mais ils n’ont pas pu obtenir le visa pour retourner en France. Le visa leur a été refusé, alors que l’un d’eux avait résidé en France pendant plus de 30 ans et ayant 7 enfants français et l’autre avait rejoint la France à l’âge de 3 ans, ses parents, ses frères et sœurs sont tous de nationalité française. Quand les décisions de justice ne s’appliquent pas, la situation est très grave, on ne peut plus parler de démocratie ! Or, la Justice en Islam est non seulement indépendante mais ses décisions s’imposent, primant toute autre autorité. Sauf si l’Islam finit, lui aussi, par subir le même sort que la démocratie, c’est-à-dire il sera vidé de sa substance. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pendant des siècles. Que Dieu nous préserve de ces monstres sous forme humaine, Barak Allah fikum !

      • @Maitre SIMOZRAG bonjour.

        Je suis vraiment heureux d’apprendre que vos liens avec votre famille se sont améliorés et que votre fille s’est remise quelque peu de son malheur.

        Mais,je reste consterné(c’est peu dire!)de constater que,malgré les années écoulées,vos droits sont toujours bafoués et foulés aux pieds.Et ce silence assourdissant des médias serves,l’insoutenable légèreté de nos intellectuels maghrébins,me plongent dans un grand désarroi.Que voulez-vous,je reste un « indécrottable » idéaliste et un homme de principes:on n’abondonne pas un homme dans le malheur!

        Par ailleurs,il faut croire que le Système qui vous broit, vous et vos compagnons d’infortunes,vous craint par dessus tout et que vous lui procurez,à ne pas en douter,des sueurs glacées,pour faire montre d’un tel acharnement monstrueux! Ainsi,l’Iran est sincère de clamer à qui veut l’entendre que,l’arme nucléaire ne lui est pas utile et qu’il ne songe nullement à l’acquérir!

        Je vous renouvelle toute ma compassion à vous, aux votres et à vos compagnons.

        Mes respects,mon cher Maitre.

        PS: Admi: pourquoi ne pas relayer cet interview ci-dessus,vers certains sites suceptibles de le publier? Par exemple,celui de Djamel Benchenouf et d’autres.

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