Ces derniers jours, plusieurs media ont relayé une déclaration de l’ancien attaché de défense français en Algérie (entre 1995 et 1998), le général à la retraite François Buchwalter, attestant que, selon des informations obtenues à l’époque d’un « gradé » algérien, les sept moines trappistes du monastère de Tibéhirine (Médéa, Algérie) auraient été tués par « erreur » lors d’un raid aérien de l’armée algérienne sur un bivouac en mai 1996.

Le général dit avoir informé le ministère de la Défense français de l’époque. Le pouvoir putschiste d’Alger ainsi que le gouvernement français avaient imputé ce crime horrible à l’opposition armée contre le coup d’Etat militaire du 11 janvier 1992.
 
Il est à rappeler que dans une lettre ouverte adressée au Pape Jean-Paul II le 24 mai 1996, au nom des parlementaires élus du peuple algérien lors des seules élections libres et pluralistes qu’a connu l’Algérie le 26 décembre 1991, nous avons condamné cet acte horrible et barbare qui a couté la vie à des hommes de religion jouissant du respect de la communauté de Tibéhirine.

Dans cette lettre nous avons déjà à l’époque écris que « nous voyons dans cette acte abominable l’empreinte, qui nous est, hélas, bien familière, des services spéciaux de la junte et des groupuscules extrémistes qu’elle manipule ».
 
Ce crime horrible a fortement fait basculer l’opinion publique française et internationale contre les représentants légitimes du peuple algérien en faveur des putschistes, et a fait perdurer la crise algérienne.

Si le gouvernement français de l’époque avait accompli son devoir de vérité sur ce crime barbare, l’aventure des putschistes aurait pris fin, le peuple aurait recouvré sa souveraineté, et des centaines de milliers de vies humaines auraient été épargnées.
 
Il est grand temps de rétablir la vérité sur tous les crimes commis en Algérie. Nous sommes certains que les services secrets français ont des informations cruciales qui aideraient à rétablir la vérité, toute la vérité, sur tous les crimes commis par les putschistes de janvier 1992, y compris celui de l’enlèvement et l’assassinat délibéré des moines du monastère de Tibéhirine.
 
Le silence du gouvernement français de l’époque, face à ce crime horrible, a rendu l’Etat français complice de la junte militaire dans ses atrocités commises en Algérie. C’était la conclusion à laquelle ont abouti plusieurs observateurs, y compris la délégation islamo-chrétienne de Lyon lors de son séjour à Tibéhirine du 17 au 21 février 2007.
 
Nous accueillons favorablement la déclaration du président français Nicolas Sarkozy concernant la levée du secret-défense autour de cette affaire. Les membres du gouvernement français de l’époque devraient répondre de leur silence complice face à des instances juridiques qualifiées afin de savoir qui a ordonné de passer sous silence un tel acte horrible et odieux, et pourquoi.

Nous souhaitons aussi que l’Etat français ne cède pas aux pressions diverses des uns et des autres, afin que cette mesure soit entreprise effectivement, et cela non seulement pour cette affaire, mais aussi au sujet de tous les crimes commis par la junte militaire d’Alger.
 
De notre part, nous réitérons notre engagement pour la paix, la sécurité, et une coopération fructueuse entre les peuples des deux rives de la Méditerranée.
 
Anwar N Haddam
Député-élu au Parlement algérien (Décembre 1991)
Président, Délégation Parlementaire du Front Islamique du Salut (1992-2002)
Washington DC, le 13 juillet 2009

Lettre au Pape Jean-Paul II

Eminence,

En ce moment difficile où l’Église et la communauté chrétienne sont en deuil suite à l’annonce de l’assassinat lâche des Pères Christian de Chergé, Luc Dochier, Célestin Ringeard, Michel Fleury, Bruno Lemarchand, Christophe Lebreton et Paul Favre-Miville, moines trappistes du monastère de Tibehrine dans la région de Médéa, Algérie, au nom du Front Islamique du Salut et de sa direction, au nom des moudjahidine et au nom du peuple algérien, nous voudrions vous faire part de notre profonde peine et vous présenter, ainsi qu’aux familles et à toute la communauté chrétienne, nos condoléances les plus attristées et notre sincère sympathie.

Les Pères vivaient leur témoignage dans le silence, l’humilité et en paix avec la communauté de Tibehrine dont ils ont acquis res-pect et considération. Ce respect, dont ont joui ces hommes dé-voués à l’amour de Dieu et au partage, est fidèle à cet enseigne-ment du Saint Coran :

Et tu trouveras certes que les plus disposés à aimer les croyants sont ceux qui disent : « Nous sommes chrétiens. » C’est qu’il y a parmi eux des prêtres et des moines, et qu’ils ne s’enflent pas d’orgueil. (Coran, 5:82)

En plus de cette perte douloureuse que nous partageons avec vous, l’assassinat de ces moines est, à nos yeux, une offense à Dieu, à nos valeurs spirituelles et morales et à notre tradition d’œcuménisme et d’hospitalité.

Le FIS et les moudjahidine qui condamnent cet acte sadique et immoral, contraire à tous les enseignements divins, se sont tou-jours indignés contre les assassinats d’innocents non impliqués dans la gestion et l’implémentation de la répression de la junte, qu’ils soient nationaux ou étrangers, hommes ou femmes, civils ou militaires. Notre lutte en Algérie n’est pas, comme voudraient le suggérer certaines propagandes, contre les innocents. La guerre qui nous est imposée est dirigée contre le pouvoir dictatorial et corrompu qui a confisqué le choix du peuple algérien et qui cherche désespérément à s’imposer par la terreur et la répression sanglantes, par l’entretien sans relâche des réflexes de la peur et la désorientation, ainsi que par la dilapidation des richesses nationales, bradées à l’intérieur et à l’extérieur, pour acheter les silences et les complicités nationales et internationales.

Le Saint Coran dit expressément :

Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) – parce que vraiment ils sont lésés ; et Dieu est certes Capable de les secourir – ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, – contre toute justice, simplement parce qu’il disaient : “Dieu est notre Seigneur”. – Si Dieu ne repoussait pas les gens les uns par les autres, les ermitages seraient démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom de Dieu est beaucoup invoqué. Dieu soutient, certes, ceux qui soutiennent (Sa Religion). Dieu est assurément Fort et Puissant. (22:39-40)

Comme nous l’avons fait au sujet de tous les crimes perpétrés en Algérie contre des innocents, nous appelons à ce que toute la lumière soit faite sur ce crime odieux. Nous sollicitons votre Émi-nence de bien vouloir nous soutenir dans notre demande à ce qu’une commission indépendante soit nommée pour éclaircir les circonstances du crime et déterminer les responsabilités.

Quant à nous, nous voyons dans cet acte abominable l’em-preinte, qui nous est, hélas, bien familière, des services spéciaux de la junte et des groupuscules qu’elle manipule.

En effet, les sept Pères entretenaient des relations d’entente non seulement avec la population locale, mais également avec les moudjahidine de la région, au point de les appeler « les frères de la montagne ». Le Commandant des moudjahidine de la région leur a donné personnellement des garanties sur leur sécurité, comme l’atteste les communiqués émis par les moudjahidine de cette région.

Ce commandant, comme beaucoup de nos cadres religieux, po-litiques et militaires qui ont veillé au respect et à l’application des principes islamiques qui ordonnent la protection de la vie des in-nocents, ont été aussi lâchement liquidés par ces mêmes groupus-cules extrémistes.

Nous voyons dans ce crime, qui ne sert ni la cause ni les intérêts moraux, politiques et civilisationnels de notre peuple, la signature de la même culture de sadisme politique qui caractérise les gestionnaires et les officines de la terreur au pouvoir. L’humiliation et le meurtre d’hommes sans défense, comme l’institutionnalisation de la torture, des exécutions collectives, des disparitions, des massacres de prisonniers sans défense, etc., le refus du choix populaire et le rejet d’une solution au drame algérien autre que celle de la répression, est le propre du sadisme politique normalisé et intronisé aujourd’hui en Algérie.

Aussi et enfin, à l’heure ou certains voudraient récupérer ce crime odieux pour perpétuer certains réflexes ataviques et présen-ter le conflit algérien comme une guerre de religion, nous souhaiterions rappeler la nature de cette junte même qui s’est insurgée lorsque l’opposition algérienne légitime s’est rendue à Rome, sous les auspices de la Communauté Sant’Egidio, pour signer ce qui sera connu par la plate-forme de Rome ou le Contrat national. Cette junte qui a réagi à ce contrat de manière hystérique, traitant ses signataires de traîtres à la nation, travaillant pour le compte de la Croix, aux ordres de l’Eglise.

Nous souhaitons que ce tragique et douloureux événement ne soit pas une entrave au développement de relations de compréhension et de bon voisinage entre nos deux communautés de croyants.

« Ensuite vous serez ramenés à Celui qui connaît parfaitement le monde Invisible et le monde visible et qui vous informera alors de ce que vous faisiez. » (Coran, 62:8)

« Certes nous sommes à Dieu, et c’est à Lui que nous retourne-rons. » (Coran, 2:165)

Veuillez agréer, Eminence, mes respects les plus sincères.

Anwar Haddam
Chef de la Délégation Parlementaire du Front Islamique du Salut
Washington DC, le 24 mai 1996

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