Les syndicats autonomes viennent de donner un bel exemple d’espérance démocratique. Ils viennent de nous montrer que tout est possible en Algérie, qu’il reste une force vive, que la révolution n’est plus similaire à celle d’antan : ne pas faire couler du sang pour la liberté, mais épargner les familles qui sont de plus en plus désabusées et désorientées par le pouvoir politique. J’inscris ces mouvements de protestations dans un processus de maturité de notre peuple et de nos forces vives pour rappeler à nos gouverneurs que nous sommes toujours dans une république. Et que nous avons un droit fondamental, celui de réclamer nos droits.

Ce mouvement de protestations qui se répand aux quatre coins du pays montre que les algériens ne sont plus dupes de ces réalisations inachevées, de ces discours creux et de ce nationalisme vieillot. C’est tout la population qui se réveille pour exprimer son mécontentement face à la gestion du pays, la stagnation politique, la corruption, le refus de distribuer les richesses et la défaillance du système éducatif. Le chômage étouffe nos villages et nos villes. La jeunesse de notre pays est perçue par les décideurs comme une entrave alors qu’elle devrait être, comme ailleurs, signe de richesse et de bonne santé économique du pays. Le taux de suicide des jeunes est alarmant. Certains vont même jusqu’à se mutiler devant les mairies (APC) pour exprimer leur malaise. Il s’agit là d’appels de détresse et l’expression du désir de vivre comme tous les jeunes du monde. Ces revendications montrent que notre société en mutation revendique un changement réel nécessitant un changement des mentalités de ceux qui gèrent le pays. Ces derniers ne cessent de nous rabâcher les mêmes analyses, le même projet de société, les mêmes leçons de morale. En outre, certains politiques sont tellement imbus de leur personne qu’ils considèrent toute critique pour une insulte personnelle. Ces mêmes individus, lorsqu’ils occupent des postes clé au sein de l’Etat, se comportent comme des pachas « Ya si ! ». Certains de nos politiques ont toujours pensé le monde à partir de secteurs immuables : l’Etat, la famille, l’identité. Si l’on veut penser le monde moderne, il faut le faire en termes de flux : flux de marchandises, d’idées, lesquels ne font qu’accélérer le bouleversement des divers secteurs.

La gestion actuelle des médias lourds prouve l’usure et le conservatisme de la mentalité de certains de nos politiques. Depuis les derniers événements, aucune information n’a été diffusée par la télévision algérienne et les radios nationales alors que ce sujet a fait la une dans toute la presse privée. Désormais, dès qu’un événement secoue le pays, les algériens ont le réflex de se tourner vers les chaînes étrangères. Nous contribuons, par le paiement de l’impôt, au fonctionnement de la télévision nationale. Nous sommes ainsi en droit d’exiger des chaînes algériennes qu’elles nous informent régulièrement sur ce qui nous concerne. C’est un droit et non une faveur ! Chacun sait que les médias sont une source privilégiée d’informations, mais ils permettent également de refléter l’image de la société. Ce n’est malheureusement pas le cas chez nous. Bien au contraire ! Au lieu d’être les garants de la confiance du peuple envers son gouvernement, les médias lourds sont des machines de propagande idéologique et politique. Cette lenteur abusive caractéristique de la gestion de l’information en Algérie pousse les gens à ne pas se reconnaître dans la télévision algérienne, ni de ce gouvernement actuel. Cette méfiance entre administrés et décideurs créée un abime entre eux. Ce fossé s’exprime d’une part, par le fait que les politiques s’éloignent des préoccupations quotidiennes du peuples en se lançant dans des projets irréalisables où la population est peu ou pas impliquée et d’autre part, par le fait que le peuple ne fait plus confiance en tout ce qui vient d’en-haut ! Il faut du temps, mais aussi des hommes et des femmes de bonne volonté pour rétablir un lien de confiance et de fidélité. Dans cette perspective, l’ouverture médiatique est urgente pour empêcher les détenteurs de l’information et les dogmatismes religieux de manipuler les esprits désorientés et nourrir de faux espoirs des gens désespérés. Il est de notre droit d’avoir des médias fidèles à l’image de notre réalité sociale, libres de critiquer nos institutions, nos gestionnaires et nos politiques dans le but d’améliorer, de renforcer et de stabiliser les institutions étatiques, tout en inculquant les valeurs démocratiques, républicaines et citoyennes.

Dans la conjoncture actuelle, nos intellectuels ne peuvent pas à s’imposer sur la scène médiatique. Certes, ceci est dû au verrouillage des médias lourds et à la politique de marginalisation. Mais si les intellectuels ne parviennent pas à s’imposer, c’est aussi parce qu’ils manquent d’organisation, de conviction, de perspective d’avenir, et parce qu’ils ne font pas confiance au peuple. C’est pourquoi, ils adoptent souvent un discours bien soigné afin ne pas heurter le pouvoir décisionnel. On se souvient de Kateb Yacine qui sillonnait les villages et les villes algériennes pour présenter des pièces théâtrales dans le but de bousculer les mentalités. Depuis, aucun intellectuel n’a eu l’audace ni la conviction d’aller à la rencontre du peuple pour débattre des problèmes algériens. Ce manque de débat sur les vrais problèmes représente effectivement un obstacle de communication entre nous. « Au fond, jamais nous n’avons eu l’occasion de nous parler, je veux dire entre nous, les Algériens, librement, sérieusement, avec méthode, sans a priori, face à face, autour d’une table, d’un verre. Nous avions tant à nous dire, sur notre pays, son histoire falsifiée, son présent émietté, ravagé, ses lendemains hypothéqués, sur nous-mêmes, pris dans les filets de dictature et du matraquage idéologique et religieux, désabusés jusqu’à l’écœurement, et sur nos enfants menacés en premier sous pareil régime », écrivait Boualem Sansal dans « Poste restante Alger ».

Est-il possible alors de parler d’union entre les Algériens ? Est-il possible que tous les Algériens se réunissent autour d’une table pour exposer, écouter, analyser leurs problèmes sans évoquer un passé et ses blessures qui nous enlisent davantage au lieu d’être facteur d’union et de réconciliation ?

L’histoire nous le dira… 

Yazid Haddar
27 juillet 2007

A lire :
« Après le colonialisme » d’Arjun Appadurai, philosophe indien, 2001 ;
« Poste restante Alger » de Boualem Sansal.

2 commentaires

  1. Salam

    je suis fidèle lecteur et assidu de Hoggar. Je ne sais pas qui est Yazid Haddar. Son intervention me parait plus ou moins correcte. Mais ses références bibliographiques uniques (Kateb et Sensal) ne me rassurent pas. je pense que ces personnages sont foncièrement contre la ligne éditoriale de Hoggar. Cet auteur, s’il n’est de la même trempe que ses références,n’aurait eu aucun effort à illustrer ses propos par des références beaucoup plus « correctes » !

    • Pour un hoggar ouvert à tous
      Cher Zouaoui,

      Moi aussi je suis un fidèle lecteur de Hoggar. J’apprécie justement sa ligne éditoriale qui est celle de l’ouverture et le débat contradictoire, même si je peux être en désaccord avec telle ou telle position exprimée dans la Tribune libre.

      Mais le plus important, c’est qu’on y trouve des textes exprimant le point de vue de la plupart des tendances idéologiques représentatives de la société algérienne.

      J’estime alors qui si l’on n’est contre un point de vue, on doit alors réagir par un texte exposant l’autre point de vue.

      Je vous conseille, comme je me conseille moi-même, d’ouvrir une rubrique chez Hoggar pour y contribuer. Je ne l’ai pas encore fait, par manque de temps, j’allais dire, mais nous savons que c’est seulement un prétexte. En réalité, dans mon cas c’est une appréhension en face de la page blanche. Est-ce notre culture de l’oralité qui est la cause ? Peut-être…

      Fraternellement,

      Hocine

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