126 dollars le baril! La flambée observée depuis 1999, alors que la consommation réelle est pratiquement stable, s’expliquait jusqu’à maintenant par la dévaluation du dollar. (*)

Or depuis quelques jours, et pour la première fois depuis des années, la courbe du pétrole et celle de la parité euro-dollar ont cessé d’être parallèles. Alors que le dollar se stabilise, le baril ne prend aucun répit et continue de monter de plus en plus vite.

L’analyse des statistiques révèle une hausse des achats énergétiques plus rapide par rapport au PIB, qu’au cours des années 90, en dépit de la flambée des prix.

Cette équation est suspecte. La chute du dollar n’explique pas tout. Elle s’est au contraire accélérée par les ventes massives de dollars non sur les marchés boursiers mais sur le marché pétrolier. On peut donc conclure qu’on assiste à une frénésie d’achat de pétrole de la part des pays riches dans le but d’augmenter leurs stocks stratégiques, en plus des stocks commerciaux, du fait qu’on annonce constamment l’épuisement des réserves dans 30 à 60 ans. Même la Chine s’y met, puisqu’elle représente près de la moitié de la croissance des achats énergétiques mondiaux au cours des 5 dernières années. En parallèle, la reprise de l’exploitation du charbon, devenue rentable, sert à remplacer le pétrole et le gaz soustrait à la consommation pour être stockés.

En résumé, les régions importatrices d’énergie en importent davantage, et les régions exportatrices en exportent davantage. Alors que les taux de croissance économique ne justifient pas une telle boulimie de pétrole et de gaz.

Si on suit de près les liens entre le marché pétrolier et l’actualité, on se rend compte que le double mouvement récent de stabilisation du dollar et d’envolée du baril coïncide avec les déclarations des deux candidats démocrates sur l’Iran. Jusqu’à présent, on savait que le républicain Mac Cain partirait en guerre contre l’Iran s’il succédait à Bush. Mais Hillary Clinton et Barak Obama ont clairement laissé entendre qu’ils n’entraveraient pas la volonté du Pentagone. Clinton a même parlé de rayer l’Iran de la carte et de mater le cartel de l’OPEP. Il n’en fallait pas plus pour affoler les opérateurs des marchés pétroliers.

La menace affichée de guerre contre l’Iran quelque soit le nouveau président américain en novembre 2008 accélère le processus de stockage. On imagine aisément l’ampleur de la crise qui s’annonce, du fait de l’importance de l’Iran dans le marché mondial, deuxième producteur après l’Arabie saoudite avec plus de 4 millions de barils/jour. Sans oublier la hantise de fermeture du détroit d’Ormuz.

Le stockage est donc devenu un nouveau moyen de transfert de la rente pétrolière dans des proportions qu’on ose à peine imaginer. A qui profite réellement la manne pétrolière? Les avis divergent, mais les lois du marché et les chiffres parlent d’eux-mêmes.

A titre d’exemple, le prix du baril a doublé de 25$ en 2002 à plus de 50$ en 2004. Dans la même période, les grosses compagnies pétrolières (Exxon, BP, Chevron, Royal Deutsh Shell, Total,…) ont aussi vu leurs résultats nets doubler. Pour BP et Exxon Mobil, ils sont passés de plus de 10 milliards $ en 2002 à plus de 20 milliards $ en 2004… chacun !

Le transfert de la rente pétrolière ne se limite pas seulement à l’envolée des profits et des stocks des multinationales, mais aussi à un transfert d’une plus-value fiscale totalement injustifiée. L’instauration de la fameuse taxe sur les profits exceptionnels (TPE) ne suffit plus. Il faut aussi penser à mettre un terme à l’aberration de l’incroyable cadeau fiscal concédé aux sociétés pétrolières qui ne sont pas considérées comme «un sujet fiscal algérien». Elles sont de fait exonérées, ainsi que leurs sous-traitants, de la TVA, des droits de douane et en partie des charges sociales.

Ce nouveau contexte doit appeler aussi une nouvelle politique de l’OPEP: le rationnement de la production. Le cartel ne doit pas agir seulement sur les prix, mais également devenir le régulateur de la consommation mondiale en intégrant la donnée stock dans ses décisions de niveau de production. Les producteurs n’ont aucun intérêt à voir se déplacer le lieu de stockage de leur pétrole.

Saâd Lounès
10 mai 2008
 
(*) Voir article : La flambée du baril anticipe la dévaluation du dollar
http://saadlounes.unblog.fr/files/2007/09/20041113laflambedubarilanticipeladvaluationdudollar.pdf

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