I. « Capacité possible pour tous ceux qui le décident »

Les postulats qui déterminent le rapport du musulman à la politique ont des implications tellement importantes sur les débats de pouvoir qui agitent notre génération que je crains fort de ne pas être à la hauteur des questionnements sur un sujet dont je n’ai mesuré le caractère spectaculaire et profondément passionnel aujourd’hui qu’après avoir pris l’engagement d’y réfléchir en tant que tel. Mais comment aussi prendre trop de précautions à se livrer, au risque de me tromper, dans un environnement marqué par tant d’affrontements et de menaces sur la paix.

La thèse soumise à réflexion est la suivante : Le champ de la pensée et de l’acte politique du soumis à l’Un ne peut être réduit à la convocation des référents objectivistes définissant les catégories de l’Etat, de l’appareil, du parti ou du particulier. Son enjeu n’est pas réductible à la réflexion sur l’occupation de l’espace du pouvoir et/ou de l’organisation. Il les rencontre fatalement sans les convoquer à priori.

Il en découle que:

– le débat entre tenants de la politique s’exerçant dans un champ autonome par rapport au comportement de croyant, et les tenants de la pensée du champ du pouvoir déterminant l’action politique du croyant apparaît comme fondamentalement décalé. Je dis donc qu’il se donne en définitive comme un débat dans un système de pensée du pouvoir objet, système de pensée, nécessairement temporel et dans un champ limité et par conséquent non universel, non approprié à la vocation de l’Islam et je pense au monothéisme non abrahmanique..

– dit sous forme prescriptive, le champ de la politique du point de vue du musulman n’est pas le champ du résultat et de l’efficacité mais celui des processus de vérité (pensée en subjectivité), rencontrant ou non et incidemment l’efficacité, le résultat, les lois et l’organisation. Si l’enjeu devenait par distraction d’abord le champ de l’Etat et/ou de l’organisation, le soumis à l’Un serait alors dominé par les logiques étatiques ou idéologiques. Alors la politique ne s’offrirait plus de l’ordre de la pensée. Le musulman, responsable individuel le jour des comptes aurait besoin, non de sa conscience uniquement mais des catégories du droit, de la science, de l’économie pour accéder à la pensée du politique. Or les musulmans partent du principe que les gens pensent. Ils savent qu’ils sont doués de capacité de distinction depuis Adam.

II. Sur quoi les humains exercent-ils leur pensée ?

1. En démarche de conscience (fitra) sur eux-mêmes. En position de croyants, ils vérifient (dhikra’) en permanence et formellement par la prière (cinq fois par jour), par la zakat, le jeune et le pèlerinage, la cohérence de leur pensée avec la soumission (islam) à l’unique Immanence. Ils vérifient se faisant à la fois l’exclusion de toute forme d’association et le fait que leur existence sur terre n’est qu’un passage vers un au-delà qui se mérite le Jour du compte à l’aune du choix du bon chemin le temps du passage sur terre.

2. En démarche de pensée de l’action sur le monde réel dont ils se considèrent les gérants (ra’i). Ils sont donc tenus d’agir. La pensée de l’action de gestion du monde, c’est la politique. Il s’en suit d’une part que la politique est de l’ordre de la pensée, ce qui implique que c’est une démarche en subjectivité et qu’elle est nécessaire pour le musulman se pensant et pensant.

1 est condition de 2. Hors l’unité de la foi, de la pensée et de l’action, il n’y a pas de pensée active, qui, comme nous le pensons, est la définition de la politique.

De là découle que pour le musulman, la politique est singulière :

– Penser la politique en musulman se déroule en intériorité dans le champ propre de l’individu, champ de l’universel. La singularité à vocation universelle est nécessairement antinomique avec les identifications catégorielles. S’il en était ainsi, la politique n’engloberait plus ces catégories et serait alors réservée à l’élite et non à tous. La médiation serait incontournable. C’est contradictoire, car la pensée de la politique ne serait plus cohérente avec la qualité de chaque musulman guidant la gestion du monde, s’identifiant à tout autre en égalité dans le « saf », agissant dans le sens de l’universel à l’épreuve du réel, se dévouant, à la suite de Paul, apôtre des Gentils, pour ce qui vaut pour tous, s’opposant aux dévalorisations particularistes (fitna et chik’ak’). Ces dévalorisations, aujourd’hui partout prégnantes, sinon dominantes, menacent de toute part la paix (salam).

– Du point de comportement du musulman, qu’est ce que l’hétérogénéité de la politique au pouvoir? C’est la nécessité de liberté et de responsabilité qui aboutit au choix de la primauté des processus de vérité sur tout autre processus dans ce monde. Ce sont les processus de vérité qui sont universels et non les modalités de gestion sociale ; aucune vérité n’est solitaire ou particulière;

– Les processus légaux, dictant les lois ici et là, différemment, sont pour le musulman des arrangements particuliers et partiels. L’action se sépare de la pensée pour se réaliser. Le global peut rencontrer le contingent, et il le fait de différentes façons, en adhérant, en élaborant, en s’opposant, c’est secondaire et incident. Le contraire est impossible par construction.

III. Qu’est ce que cela signifie dans la pratique sociale ?

1. L’hétérogénéité de la politique au pouvoir, c’est aussi la cohérence avec la conviction d’« accountability » comme disent les anglophones contemporains, pour l’autre monde. C’est la conviction du primat de la faiblesse (moustadh’afine) sur la force. Cette conviction nourrit l’effort radical de déploiement des instruments du salam que sont le souci de la justice et l’exercice de la solidarité pour tous dans son environnement immédiat et lointain pour résister à la guerre.

2. Le musulman devrait être familier du monde dont il doit vérifier la cohérence avec sa foi, ses certitudes et ses espérances quotidiennes et immédiates. Très tôt, il a été en lien avec l’Abyssinie, La Perse, Constantinople et la Chine. Dans son champ restreint et dans le champ politique du monde, le musulman a appris de longue date à se réunir tranquillement et pacifiquement en assemblées du vendredi pour repenser en permanence le sens de ses principes en fonction de l’évolution du temps, saisir la portée de ses objectifs et ses tâches afin de construire le champ politique du point des gens et et dans le principe et selon la règle hors des contraintes des pièges de la compétition pour le pouvoir. C’est ce qu’il fait toujours spontanément quand il ne participe pas du pouvoir et le fait bien moins autrement. Dans les collectifs et les assemblées qu’il choisit de par sa volonté, il est nécessaire qu’il se sente libre, ce qui est le minimum, qu’il se sente digne, ce qui lui est souvent refusé et qu’il se sente juste, sinon comment tenir le rang ?. Chaque musulman a besoin de se sentir porteur de sens, compter pour les autres. et compter sur lui-même. Il ne délègue pas ses responsabilités en s’organisant. C’est tout ce qui fait l’importance de l’assemblée régulière. Il a l’obligation d’être acteur des processus de vérité.

3. La seule façon de connaître ces processus et d’être en mesure de les réfléchir est d’être soi-même pris dans les processus de leur construction. Il n’est pas possible de travailler sur la base de rapports, de médiations, de connaissance indirecte, etc. Faire de la politique, c’est d’abord se retrouver, se rencontrer, réfléchir et s’éduquer ensemble dans des modalités qui font que chacun compte effectivement. C’est ce rencontrer sur les questions décisives pour tout ce qui touche au destin sociétal en tant qu’individus égaux, partie de cités et de peuples. Avec ou sans moyens, tout le monde doit compter, musulmans et non musulmans, pour qu’existe concrètement le peuple. Ceci doit être à la portée de chacun. Où que nous nous trouvons, nous pouvons alors penser le rapport des réalités et nous agissons.

La forme de conscience est une forme d’organisation. Le travail et les exigences des assemblées doivent être sans grandes difficulté à la portée de chacun. Les collectifs constitués pour la paix dans la confiance réciproque et la convergence des convictions libèrent des peines et des inhibitions. Ils ouvrent la possibilité de créer une vraie capacité politique, hors du champ organisé pour la compétition pour le pouvoir.

4. Parce que chacun est responsable de son destin et de sa conduite, il n’a nul besoin de réfléchir et d’agir à partir du champ et de l’agenda définis par des appareils faisant fonctionner le pouvoir. Le musulman s’y réfère de façon contingente. L’Etat est inéluctable ; il peut être juste ou injuste. C’est plutôt la distance par rapport à l’entreprise particulière des appareils qui fait la force du musulman et son intérêt pour eux. Il peut les soutenir, les critiquer, les influencer, leur résister selon la conjoncture et les enjeux. Cependant, chaque musulman demeure guide et acteur du champ de tous les gens ; son champ est l’humanité et c’est à son service globalement qu’il s’organise en assemblées. Il voit alors l’acte politique comme une affirmation des gens eux-mêmes, musulmans ou non, sur eux-mêmes.

5. L’enjeu de l’action politique du musulman n’est nullement l’Etat, dont l’existence est inéluctable, mais les gens, dans leur capacité politique propre. L’argument de la fermeture du champ politique n’est pas recevable dans le principe ni au sens de la justice, de la dignité humaine et de la liberté. L’affirmation se fait sur la base de principes universels clairs pour toutes et tous. Il faut compter tout le monde et chacun doit être compté et reconnu dans les processus de vérité. Il nous paraît essentiel de prendre position sur le fait que des principes positifs doivent toujours exister dans les lois. On y parvient ou non. Mais pour faire ce qu’il faut pour avoir des chances d’y parvenir, il est nécessaire de demeurer à distance en tant que musulman. Ce qui est plus important, c’est la garantie de la liberté et de la justice qui respectent la réalité de la vie des gens; c’est la volonté d’une politique qui travaille à la paix et à l’amitié entre tous les gens.

Si nous voulons que ces principes vivent, nous devons imaginer des dispositifs accessibles d’exercice de la politique entre gens partageant ces principes. En premier lieu, nous devons réfléchir sur les questions de fond, en partage. Les Assemblées du vendredi –dans ce contexte – sont les noms de la capacité politique des musulmans, les noms du « se mettre ensemble » pour accorder du poids, aux principes, aux paroles, à l’intérêt de tous et distinguer comment influer sur la gestion de ce monde.

La paix entre les gens (salam) est le vecteur de ces assemblées. La paix est l’axe de la politique du point de vue des gens ; elle n’est pas toujours nécessairement l’axe de la conquête du pouvoir. La paix s’oppose à la persécution comme la justice aux lois d’exception. Il faut alors veiller à envisager de nouveau des formes d’organisation politique des gens qui les encouragent à une politique propre à eux, qui les renforce et les serve.

IV. Qu’est ce que cela ne signifie pas dans la pratique sociale ?

1. Le déploiement d’Etats exerçant le pouvoir de la prescription religieuse est une confiscation par la loi issue de la négociation sociale, en un lieu déterminé, dans une situation particulière, du rapport de soumission, directe et individuelle du musulman à Dieu. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une situation où l’Etat inscrit le peuple dans son espace, à une situation où l’Etat se construit comme machine de guerre contre le peuple. Le contrôle des convictions ne peut donner son modèle à la politique. Le modèle de la résistance libanaise, victorieuse en 2006 hors dus champ étatique, appuyé sur les collectifs populaires sans exclusive ni particularisme religieux, tout en affirmant principes universels et diversité, a non seulement montré, et montre encore, la qualité de l’exercice de la politique hors du champ d’Etat, mais a de plus dévoilé l’échec des tentatives d’Etats religieux dans la région. Cette situation dans le monde arabe est certes connue, mais pas reconnue.

2. La thématique de la paix (salam) n’est aucunement d’une position pacifiste ; elle est agissante sur les terrains imposés. C’est en elle que doivent être fondés les espoirs d’organisation des gens. La figure de paix, centrale en Islam, dit que chacun compte et que la politique est en partage, Le principe de paix se propose comme une condition de la politique, et non comme un pacifisme. Cela signifie qu’il faut toujours veiller sur la base des principes de vérité, à savoir si réellement nous sommes en paix où s’il s’agit de propagande, car notre conscience est interpellée par la réponse positive ou négative à cette question.

3. Le musulman ne peut survivre dans la solitude, la crainte et l’exploitation. Il doit sortir de son isolement sur la base de principes fondamentaux justes et universels, compatibles avec la liberté et la dignité humaine, cohérents dans toutes leurs conséquences. Il doit s’impliquer dans la vie sociale et y apporter ses convictions et ses comportements. Il doit être capable de s’organiser pour définir les principes justes et universels dont il a besoin dans son monde et faire de bonnes prescriptions ancrées sur les problèmes réels du peuple qui puissent interpeller efficacement les consciences. Les assemblées doivent toujours rappeler qu’il est vital pour la vérité d’opposer à la séparation entre les gens, l’amitié et la solidarité entre tous ceux qui vivent ensemble, d’opposer à la politique de conflits internes et externes, la politique de paix interne et externe.

4. La politique de paix doit considérer que les gens, quels qu’ils soient, lorsqu’ils sont impliqués par des drames, doivent proposer des solutions politiques pacifiques à leurs problèmes plutôt que des solutions basées sur les rapports de force. Elle doit développer des pratiques à la portée de chacun en évitant d’appliquer les lois d’exceptions et en agissant pour un droit commun généralisé. La position politique juste doit viser à réunir celles et ceux qu’on sépare dévoiler aux yeux des gens, autant que possible, les hypocrisies et l’agressivité. Il est aussi nécessaire de travailler à rétablir la capacité des gens de définir les conditions concrètes de leur vie en commun et de les mettre en œuvre pacifiquement, sans démissionner de leurs devoirs politiques en les transférant à des intermédiaires.

5. Les tâches qui interpellent la politique hors du champ des appareils de pouvoir sont complexes seulement si et les convictions et la capacité individuelle et collective de penser le politique et le pratiquer sainement sont faibles. Les assemblées doivent être destinées à former et montrer la voie pour que les musulmans demeurent des êtres libres et responsables. Ils sont source d’énergie et de bonne santé morale et intellectuelle et rendez-vous pour l’action. Ils sont l’école de la pensée autonome, de l’exercice des bonnes volontés et l’expression de la dignité. Chacun doit se préparer, sur la base des principes de liberté, de justice et de dignité, à s’engager dans les processus universels de vérité, à comprendre et analyser la situation interne et externe, à discerner les dangers sur le chemin de la paix et à choisir la bonne conduite pour sa propre conscience et pour l’action. Ainsi chacun participera à l’écriture collective, vivante ouverte en permanence, non achevée, de l’amitié et de la paix sans craindre la récupération et l’arbitraire.

6. L’action politique doit agir dans le réel et la conjoncture du point de vue vision du monde de celle et celui que les systèmes d’arbitraire et de domination particularistes considèrent comme un ennemi parce qu’il résiste appuyé sur des valorisations universelles à ces systèmes et combat pour concrétiser des rapports respectant la dignité et l’égalité et agissant pour des rapports de paix. C’est ce que je ressens comme étant « la figure de l’agressé » dont le prolétaire discriminé par l’argent est central.

7. Cette politique doit dire le réel et non le souhaitable et posséder absolument une cohérence vérifiable à tout moment et compréhensible immédiatement. Elle pense et agit dans son champ propre, sans se préoccuper de l’accès au contrôle étatique et à ses instruments. C’est la condition pour voir juste et loin.

8 Cette figure résiste ainsi effectivement au déploiement de l’arbitraire sous la forme de l’agression contre les libertés, à l’injustice, le mensonge et l’hypocrisie. Elle agit pour l’établissement de la paix entre les gens avec, sans se préoccuper de résultat. Le seul objet est la construction de la capacité politique digne, lucide et exigeante pour elle-même, sans passions et en toute humilité.

8. Sans qu’elle soit celle de la justice pour celles et ceux à qui on la refuse, l’action politique n’a pas de sens. Elle n’est pas possible spontanément. Elle ne devient possible que sous la condition que chaque figure compte effectivement, parce que les êtres sont différents et que chacun est l’unique moteur et l’artisan de son propre engagement. Sans instruments d’organisation sous veille de la sagesse, de l’intégrité, de l’exemplarité, concrétisées dans le comportement et l’action, seule la pensée individuelle de la politique est possible. Le rassemblement sous ces conditions est la voie possible.

9. La décision, libre et individuelle, est de faire se rencontrer les gens sur la base d’un accord sur les moyens de rechercher la paix dans la conjoncture, en cquestionnant en vérité ces qui la met en péril. Nous arrivons à un accord loyal et pleinement assumé à partir du moment ou nous comptons préserver le droits des gens et établir des liens d’amitié avec tous ceux qui ont pris conscience que la tyrannie sous toutes ses formes est l’association.

Il faut assurer et garantir la volonté générale par l’écoute des autres, celles et ceux qui souffrent et ont besoin de notre soutien et notre solidarité. La paix et la sérénité entre nous d’abord est un puissant instrument de lutte contre l’orgueil et la passion du pouvoir. C’es est un puissant moteur pour l’amitié et la concorde avec les autres. Il faut partager nos doutes et nos inquiétudes qui ne manquent pas, éviter les querelles et les inimités pour mériter de parler à partir des positions des gens qui refusent la tyrannie et des positions de la libération.

Ghazi Hidouci
Janvier 2008

Un commentaire

  1. Causeries religieuses.
    Hé! Mr Hidouci !

    Vos écrits sont aussi sopoforiques que les chiffres et autres statistiques d’ordre économiques que vous pratiquez en professionnel!A vous lire, on décroche rapidement!

    De grâce, confinez vous à vos chiffres et laissez votre plume à d’autres plus compétents et

    plus accessibles au commun des Musulmans.

    Il y a le feu à la maison et il y a donc péril en la demeure.Les nations,les peuples du monde entier et les Musulmans en particulier, sont menacés de mort.

    Le FMI,la BM,l’OMC,l’OTAN,l’ONU,l’UNESCO,la LIGUE ARABE ainsi que la quasi-totalité des institutions internationales relevant de l’ONU sont des instruments créés de toute pièce par la SUBVERSION MONDIALISTE et à son seul intérêt!L’ISLAM est le dernier obstacle (et de taille!)à

    l’accomplissement de leur hégémonie planétaire!Tout le reste n’est que de la littérature.

    .Masmar dja.

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