Repères : L’Algérie a signé la convention internationale pour la protection contre les disparitions forcées. Est-ce une avancée ?

Salah-Eddine Sidhoum : Non. C’est une BLAGUE !

Repères : Quels sont les mécanismes à mettre en place pour aboutir à un dénouement juste et équitable de la question des disparus ?

Salah-Eddine Sidhoum : Il est vrai que la question des disparitions forcées est une question très sensible. Le régime semble avoir tranché dans sa charte de l’impunité et de la supercherie nationale en les considérant comme morts. J’avais évoqué ce triste sort lors d’une interview à un quotidien il y a deux années de cela, ce qui avait provoqué une réaction chez certaines mères de disparus, réaction entretenue par certaines personnes qui ont fait de ce douloureux problème un fonds de commerce très juteux, plus particulièrement Outre Méditerranée. Je ne suis pas un adepte en politique de l’entretien des illusions, du nifaq et du mensonge. Il faut avoir l’honnêteté et le courage de dire la vérité à son peuple, même si cela vous fait perdre des plumes politiquement. Car notre modeste conception de la politique est d’être franc et servir son peuple et non lui plaire et le desservir.

Je considère en mon âme et conscience que les planificateurs de cette éradication d’une partie de la population ont commis, concernant les victimes de disparitions forcées, un DOUBLE CRIME CONTRE L’HUMANITE. En les enlevant puis en les exécutant sommairement, probablement après d’horribles tortures.

Tôt ou tard, les langues de délieront et la vérité éclatera.

C’est le droit absolu non seulement pour les familles mais aussi pour toute la Nation de savoir qui a planifié et commandité ces enlèvements d’Algériens puis leur exécution sommaire et connaître les lieux secrets où ils ont été ensevelis.

Donc je crois que même si la question des disparitions est délicate, nous ne devons pas la dissocier des autres crimes contre l’Humanité commis durant cette guerre. Et c’est le rôle de la Commission Vérité et Justice d’enquêter sur tout cela et d’éclairer l’opinion publique et la Justice.

Mais encore une fois tout cela ne pourra être réalisé en toute liberté et équité, que lorsque les Algériens se seront définitivement débarrassés de ce régime et posé les jalons de l’Etat de Droit.

Repères : Des militants des droits de l’Homme se plaignent de l’absence d’un cadre de lutte. Votre avis ?

Salah-Eddine Sidhoum : Là aussi il faudrait clarifier les choses. De quels militants des Droits de l’Homme parlez-vous ? De salons ou de terrain ?

Je sais une chose (car j’étais et je suis toujours sur le terrain) : durant la guerre subie par notre peuple, lorsque des dizaines de citoyens étaient enlevés, torturés, exécutés sommairement ou tués dans les coins de rue et à l’époque où des dizaines de têtes sans corps et de corps sans têtes étaient jetés dans les rues, le nombre des militants des droits de l’Homme se comptaient à peine sur les doigts des deux mains. L’occasion se présente pour rappeler le travail admirable fourni par mon frère de lutte, Me Mahmoud Khelili, Rahimahou Allah durant la sale guerre et au prix de sa vie. Un travail qui a permis, en grande partie au monde de connaître la réelle et dramatique situation des droits de l’Homme. Comme cette poignée de militants impénitents, Mahmoud n’avait pas besoin d’un « cadre de lutte » pour déchirer le voile du mensonge et de la désinformation à l’époque de la terreur institutionnalisée. Je reviens là aussi à Vaclav Havel et au forum des 77. Ce forum qui fut initialement une association de défense des droits de l’Homme « non agréée » (pour reprendre la phraséologie officielle algérienne) n’avait comme « cadre de lutte » que la prison et les minuscules appartements de la poignée d’intellectuels tchèques, avant de se transformer en un vaste mouvement politique libérateur du joug communiste.

Il est vrai que maintenant, avec la condamnation par l’opinion publique et les ONG internationales du régime d’Alger pour ses atteintes massives à la Dignité Humaine, ce qui a tempéré un tant soit peu les ardeurs criminelles des exécutants du pouvoir, nous assistons à une prolifération de militants es-droits de l’homme se bousculant aux portillons de certaines officines étrangères plus que suspectes, installées en Algérie, venues leur « apprendre » les « droits de l’Homme » et comment « voter », dans les salons feutrés de certains hôtels algérois !

Le militantisme pour la Dignité Humaine n’est ni une fonction ni un service rendu. C’est un devoir pour tout citoyen d’une manière générale et de tout intellectuel et politique d’une manière particulière. Et il n’a besoin ni de « leçons » particulières ni de « cadre de lutte ». C’est un combat quotidien.

Nos convictions et les valeurs civilisationnelles auxquelles nous croyons, nous ont interpellés, à une période tragique que traversait notre pays, et nous avons pris nos responsabilités. Nous avons été les témoins acharnés des erreurs et des horreurs de ce régime. Et nous avons témoigné de la triste et dramatique réalité algérienne ! Et nous continuerons à témoigner aujourd’hui et demain pour faire éclater la Vérité, toute la vérité sur le drame vécu par notre peuple quel qu’en soit le prix, en faisant nôtre la citation de feu Robert Barrat : « La vérité et la justice ont aujourd’hui besoin de témoins. Des témoins qui sachent au besoin souffrir martyre sans mot dire ».

Salah-Eddine Sidhoum
Repères, Mars 2007

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