Repères : Le verrouillage des champs politique et médiatique, dans notre pays, est un secret de polichinelle. Mais est-ce que cela suffit pour expliquer le manque de dynamisme au niveau des partis politiques et de la société en général ?

Salah-Eddine Sidhoum : Le début du verrouillage politique et médiatique remonte à l’indépendance et à la prise sanglante du pouvoir par les imposteurs d’Oujda et de Ghardimaou. Il ne date pas du coup d’Etat de janvier 92. Il fait partie de la stratégie de gestion politique du pays pour empêcher toute velléité politique autonome de s’organiser et de s’exprimer. Cela est un fait indéniable.

Il y a aussi ce laminage par la violence, l’intrigue et l’infiltration des partis politiques représentatifs dont nous avons parlé précédemment et leur remplacement par des partis maison corvéables et malléables à merci.

Mais cela est de bonne guerre de la part du régime immoral dont on connaît la nature totalitaire et qui s’agrippe par tous les moyens au pouvoir. A quoi devons-nous nous attendre d’un système aussi véreux ?

Mais à mes yeux, la lâcheté de nos « élites » intellectuelles et politiques est en grande partie, responsable de cette anesthésie politique. C’est ce vide sidéral qui permet à ce pouvoir de se mouvoir avec une aisance déconcertante. En réalité la force du régime réside en notre faiblesse criarde à nous entendre sur des principes démocratiques communs et à nous organiser. Et le dernier drame national l’a éloquemment montré. Nous avons été sidérés par le comportement de nombreux « intellectuels » et « politiques » devant la tragédie de notre peuple. Beaucoup se sont trompés de cible et certains…..de société !

Je cite souvent le cas de la résistance des intellectuels tchécoslovaques et à leur tête Vaclav Havel qui avait à affronter non seulement la redoutable police politique de son pays mais aussi la tristement célèbre machine répressive soviétique. Ces consciences libres et incorruptibles n’ont pas eu peur de faire de la prison et de perdre leurs privilèges sociaux, pour défendre leurs idéaux et servir leur peuple. Ils ont été ces minces lueurs qui ont éclairé leur société plongée dans les ténèbres du totalitarisme communiste qui se sont transformées en une lumière éblouissante, au lendemain de la chute du mur de Berlin, pour la guider sur la voie de la révolution de velours. J’entends déjà des « intellectuels » me dire : « oui, mais la conjoncture internationale était différente ». Tous les prétextes sont bons pour se débiner et se soustraire à la lutte politique !

Avons-nous une élite de cette trempe pour sortir la Nation algérienne des ténèbres de l’imposture politique ? La question reste posée !

Repères : Alors quelle est selon vous, la démarche à suivre pour aider à l’émergence d’une représentation politique et sociale, capable d’engager le pays dans une construction démocratique ?

Salah-Eddine Sidhoum : La crise politique qui a provoqué le drame sanglant de la décennie écoulée persiste et s’aggrave, n’en déplaise aux propagandistes du pouvoir, à leurs thuriféraires et aux services de l’action psychologique qui essaient de faire croire à l’opinion publique internationale que la crise est derrière nous et que le pays a retrouvé sa quiétude. Elle est annonciatrice, à Dieu ne plaise, d’autres séismes beaucoup plus destructeurs que ce que nous avons vécu durant les années 90.

Il est plus que certain qu’il n’y a plus rien à attendre de ce régime, atteint d’une malformation politique congénitale incurable et qui malgré son état de déliquescence avancé et la faillite sanglante qu’il a provoqué, refuse obstinément de partir.

La situation peu reluisante du pays (qui n’a rien à voir avec la vitrine présentée par le régime) doit susciter en nous un véritable examen de conscience. Devons-nous rester impassibles devant la dramatique dégradation de la situation politique, économique et sociale et la pérennisation de la violence ?

Il est impératif de mettre un terme à cette logique d’autodestruction dans laquelle le régime a claustré la société, en imposant la paix des cœurs et de la raison qui doit être la priorité des priorités.

Tout comme il est impératif de sortir du champ politique artificiel, fécondé in vitro, pour entrer dans le champ politique authentique, qui reflète les réalités nationales et qui tienne compte des forces politiques véritables ancrées dans la société et imprégnées de ses valeurs culturelles.

Il faudrait avoir le courage de briser la stratégie du pouvoir qui consiste à imposer les termes et les limites du débat et se projeter vers un changement radical et pacifique de système. S’inscrire dans sa stratégie, c’est être complice de cette faillite sanglante.

Il est, enfin, plus que nécessaire de briser le cercle vicieux dans lequel est enfermée l’Algérie depuis 1962, à savoir celui d’un peuple sans souveraineté et d’un pouvoir sans légitimité. L’ère des tuteurs en col blanc ou en képi a provoqué assez de dégâts. Il est temps de mettre fin à l’usurpation du pouvoir qui dure maintenant depuis plus de quarante ans et de rendre la parole aux citoyennes et citoyens pour qu’ils puissent choisir souverainement et librement les institutions qui reflètent leurs réalités socioculturelles.

C’est à ces conditions fondamentales et seulement à ces conditions qu’on pourra espérer un véritable changement.

Pour cela il faudra œuvrer à ce que les volontés intellectuelles et politiques sincères se rassemblent et s’organisent dans un cadre autonome, un forum de reflexion et d’action, en vue d’une construction démocratique réelle.

Nous devons prendre l’initiative de réunir autour d’une table, dans le cadre de cette moussaraha, toutes ces volontés sans exclusion aucune pour mettre à plat sans complaisance et dans un climat empreint de paix et de sérénité, tous les problèmes qui nous ont divisé, le plus souvent artificiellement pour ouvrir la voie à la construction d’un Etat de droit. Nous devons cesser de subir dans notre propre pays pour devenir les acteurs de notre propre histoire et les maîtres de notre destin. Cela demandera le temps qu’il faudra mais il est impératif de réhabiliter la pratique politique et d’aboutir au compromis politique historique dont j’avais parlé plus haut et à une alternative politique crédible à présenter à notre peuple en vue de ce changement radical et pacifique de régime. Nous avons une immense responsabilité historique dans cette cruciale phase de rétablissement du dialogue entre Algériens.

Je crois que le peuple mauritanien d’une manière générale et ses élites politiques et militaires d’une manière particulière sont en train de nous donner une leçon exemplaire de réalisme politique et de démocratie.

Avec beaucoup d’exigence morale et intellectuelle et une bonne dose de courage politique, faisons, tous ensemble que le drame de ces années de sang et de larmes se transforme en une véritable résurrection d’une Algérie de dignité, de justice et de libertés démocratiques et que le sacrifice des dizaines de milliers de victimes ne soit pas vain.

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