Repères : Après le référendum, le pouvoir a convoqué le corps électoral en vue des élections législatives. Quelle analyse faites-vous de la situation du pays à la veille de cette échéance ?

Salah-Eddine Sidhoum : La situation politique qui prévaut actuellement est la même que celle d’hier et d’avant hier. C’est un statut quo mortel. La violence politique persiste, même si elle a nettement diminué. Les foyers d’opposition armée restent actifs. L’injustice, la hogra, la corruption et la misère alimentent et entretiennent ces foyers de révolte armée. Nous sommes entrés depuis 1992 dans une logique extrêmement dangereuse pour le pays. A la violence permanente du régime qu’il a imposé au lendemain de l’indépendance comme moyen de gestion politique répond maintenant une violence devenue endémique d’une jeunesse sans présent ni avenir, à travers les maquis et les émeutes. Les tensions entre le système obsolète et arrogant et la société poussée au désespoir par des décennies d’injustice et de mépris risquent de mener droit vers des lendemains plus chaotiques.

Pour revenir aux « élections » législatives prochaines, il est difficile de parler d’élections dans un système perverti comme le système algérien, quand nous savons que toutes les élections depuis l’indépendance (à l’exception de celles de 91) ont été traficotées par les « services » et leur administration. De véritables mascarades !

Encore une fois, le pouvoir va mobiliser sa clientèle larbine et rentière, ce que j’appelle Ahl el wala oua el inbitah (famille de l’allégeance et de l’aplat-ventrisme) et organiser ce que le peuple appelle le « carnaval fi dechra » pour renouveler sa chambre d’enregistrement dont la facticité et la vacuité ne sont plus à démontrer.

Peut-on parler de vie politique quand nous savons que l’écrasante majorité des « élus » est désignée en réalité par les officines et selon des quotas bien définis dans le cadre d’une fausse carte politique adaptée à la conjoncture du moment et des « équilibres internes » ?

Peut-on parler de vie politique avec un multipartisme de façade, des partis préfabriqués servant de faire-valoir, un syndicalisme de service et des élections truquées en permanence ?

Peut-on parler de vie politique avec un état d’exception qui date pratiquement de l’indépendance et officialisé depuis1992 et dont la prorogation n’est qu’un grossier stratagème pour détourner l’attention de la population des problèmes sociaux inextricables.

Le fossé ne fait en réalité que se creuser entre les citoyens et ce pouvoir honni, ce qui approfondi et aggrave un peu plus la crise politique. Mais le régime n’en a cure. Sa violence est là pour faire rentrer son « ghachi » à beit etaâ (maison de l’obéissance).

Pour les citoyennes et citoyens honnêtes de ce pays, s’inscrire dans la stratégie du pouvoir en participant à cette vie politique factice c’est participer à leur propre destruction et à celle du pays.

Repères : Des observateurs politiques relèvent que les élections n’ont pas réussi à résoudre la crise dans notre pays, pendant que d’autres soutiennent que l’exercice de la politique n’est possible qu’au sein des institutions. Quel est votre avis ?

Salah-Eddine Sidhoum : De quelles élections et de quelles institutions parlez-vous ?

Il est certain que les élections truquées et manipulées de bout en bout depuis l’indépendance ne pouvaient et ne pourront résoudre la grave crise politique que connaît notre pays, tout comme l’exercice de la politique (au sens noble du terme) est impossible au sein des institutions factices.

Repères : Est-ce que vous partagez l’avis selon lequel le pouvoir est en dehors des institutions ?

Salah-Eddine Sidhoum : Là aussi il faudrait clarifier les choses. De quelles institutions parlez-vous ?

S’il s’agit de véritables institutions, démocratiquement élues, elles n’existent pas. C’est pour cela que je persiste à dire qu’il n’y a pas d’Etat dans notre pays, pour la simple raison qu’il n’y a pas d’institutions issues de la volonté populaire.

Quand aux institutions existantes, tout le monde sait qu’il s’agit d’institutions factices issues des laboratoires de la police politique et qui n’ont aucun pouvoir. Un décor en trompe-l’oeil!

Donc le régime d’Alger est bel et bien dans ses « institutions », taillées sur mesure pour le servir et constituer la fausse vitrine d’un régime « démocratique » aux yeux de l’opinion publique internationale qui elle, est loin d’être dupe pour avaler de telles couleuvres.

Repères : Croyez-vous à l’existence d’une classe politique dans notre pays ; ou partagez-vous l’avis selon lequel les partis ne sont que des machines électorales ?

Salah-Eddine Sidhoum : Il existe quelques individualités politiques de valeur mais il n’existe pas de classe politique à proprement dite. A cela, il existe des raisons objectives et historiques.

Nos élites ont toujours brillé par leur trahison, du moins en grande partie. Regardez un peu ce qui s’est passé durant la guerre de libération. Seule une minorité avait rejoint d’emblée le combat libérateur. Beaucoup ont été tués par leurs propres frères. Et le malheureux Abane en est un exemple frappant. Quand aux autres, ils avaient campé au carrefour des vents pour rejoindre tardivement… Tunis ou les intrigants des frontières. C’est cette lâche « désertion » qui a permis à des bravaches et autres aventuriers de prendre en main la révolution avec les dérives que nous connaissons.

Après 62, le pouvoir a su phagocyter très tôt la majeure partie de notre « élite » tant intellectuelle que politique. Cette dernière a bradé el mebda (le principe) pour la khobza. C’est ce que certains historiens ont appelé la socialisation des élites. Il faut avoir l’honnêteté de dire que l’Algérie n’est pas seulement malade de ses dirigeants corrompus mais aussi et surtout de ses élites lâches !

Le constat est déplorable. Les valeurs et les idéaux qui avaient fait la force de notre Nation durant la nuit coloniale ont pratiquement disparu, laissant place à la « kfaza » (aptitude à magouiller), à l’opportunisme, à la médiocrité affligeante et au trabendo politico-intellectuel.

Les quelques partis représentatifs du début des années 90 ont été pratiquement éliminés. Nous savons dans quel piège mortel est tombé stupidement le FIS, comment le FLN rénové d’Abdelhamid Mehri a été brisé par le régime suite au « complot scientifique » organisé par d’ignares intrigants et comment votre propre parti, le FFS, qui reste l’un des rares espaces de liberté et de démocratie, si ce n’est pas le seul, est l’objet de manœuvres déstabilisatrices depuis plus d’une décennie.

Le régime ne veut pas de classe politique réelle. Il a totalement perverti l’action politique en façonnant des partis et des pantins politiques de service (et contrôlés par les « services »). De véritables troubadours politiques qu’on agite à l’occasion des mascarades électorales et référendaires. Malek Bennabi disait à ce sujet : « la politique est une réflexion sur la manière de servir le peuple. La boulitique est une somme de hurlements et de gesticulations pour se servir du peuple ». C’est ce à quoi nous assistons depuis la supercherie démocratique de 88.

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