Un voile inquiétant – celui de la manipulation de l’information et de la violence orchestrée par l’administration militaire américaine et ses relais médiatiques – opacifie chaque jour un peu plus la réalité iranienne. En Iraq en revanche, ce voile est ici et là en train de se lever. Ne fut-ce que par quelques interstices, des vérités longtemps entr’aperçues sont confirmées par de convergentes révélations. Un par un, les pires de nos soupçons deviennent ainsi réalité.

 

Quels sont-ils ? La formidable mise en scène du personnage d’Abu Mussab al-Zarqawi, longtemps l’homme orchestre de la violence terroriste irakienne, était destinée à « Benladeniser » toute résistance à l’occupation américaine. Pour la discréditer aux yeux des citoyens chiites, qu’y avait-il de mieux que de faire dire à l’omniprésent chef d’orchestre qu’ils étaient eux, les chiites, les cibles prioritaires de son combat ? Pour faire de même à l’égard des sunnites, et en nourrissant le même sectarisme, pourquoi ne pas accréditer l’idée d’une résistance toute entière confisquée par d’illégitimes étrangers arabes ? Cela ne suffisait-il pas ? Selon la terrifiante méthode testée au Salvador par les officines de l’administration reaganienne, massivement utilisée ensuite par les éradicateurs algériens, pourquoi ne pas constituer des escadrons de la mort, et faire massacrer aveuglement des civils sunnites (pour accuser la résistance de s’en prendre à sa propre population) ou shiites (pour monter la majorité contre la minorité) ? Comment crédibiliser ensuite dans les esprits d’aussi tortueuses logiques ? En Irak, de vrais rédacteurs en chef ont, contre espèces sonnantes, acceptés longtemps de publier des articles purement et simplement fabriqués par les services américains. Incroyable isn’it ? Il y a pourtant pire encore : en Europe, ces « éclairages »-là ont tout aussi facilement trouvé le chemin des éditoriaux matinaux de notre service public de l’information, les plateaux de nos grands humanistes télévisuels ou les colonnes des magazines avides de faire s’entrechoquer les mots et les photos.

Impossible de ne pas s’émouvoir en réalisant que pendant des mois, sur toutes les chaines et toutes les stations du « service public des uns », les indéboulonnables mandarins de l’exégèse politique des autres ont ânonné de conserve les versets, « sunnites » le matin, « chiites » le soir, de la propagande sectaire américaine. Difficile de ne pas prendre peur en réalisant que les cerveaux de tous ceux qui se nourrissent encore imprudemment de cette « information » là ont ainsi, de 2003 jusqu’à ce jour, été lavés aussi surement qu’ils l’avaient été, dix ans plus tôt, par les communiqués conjoints de la sécurité militaire algérienne, de ses marionnettes les « GIA », et de nos experts et autres « philosophes » auto proclamés.

Le feu sectaire une fois durablement allumé par la flamme Zarqawi, le héros de la manipulation a certes été « réformé », pour toujours, par ses promoteurs. Mais les ravages n’ont pas touché que les esprits du lointain Proche Orient. Dans les neurones français, les dégâts sont aussi importants. Et, en période électorale, au lieu de les soigner, nombreux sont ceux qui préfèrent en tirer profit.

« Femme voilée, femme violée !». De Charlie Hebdo jusqu’à Philippe de Villiers, nos « modernisateurs » vitupèrent à qui mieux mieux l’émoi que leur cause, de la Palestine, à l’Afghanistan, la désolante coiffure des femmes musulmanes (ou l’affligeante longueur de leur vêtement). Pour leur survie physique et celle de leurs maris, frères, fils et pères, rien ne presse : après l’Iraq, l’heure a sonné aujourd’hui, le saviez-vous, de moderniser enfin l’Iran !

François Burgat
5 mars 2007
paru dans L’indigène de la République N° 5

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