En ce début d’année, à l’heure des vœux tardifs, j’ai rêvé un temps pour cette chronique d’un titre optimiste : « Elections, pièges à néo-cons ! ». Las, la facilité avec laquelle, de l’Irak à la Somalie, les stratégies « de démocratisation du monde » des plus dangereux faucons et autres néo « cons » de ce siècle survivent à la débâcle électorale de leurs auteurs nous prive d’une telle satisfaction.

L’Irak vient de se faire voler un pan entier de son Histoire. La page du talion n’a pas été tournée. Elle a été noircie jusqu’au bout, à l’encre électoraliste états-unienne et à l’amer jus irakien de la vengeance sectaire. Avec le voyeurisme du téléphone portable, la pacotille du modernisme technologique a pris le pas sur les avancées de la modernisation politique. « Electoraliser » le destin de l’autre, le réduire à un pion sur l’échiquier de ses urnes ou à un point dans la courbe de ses sondages : dans cette lente descente aux enfers, la politique américaine vient de franchir un nouveau seuil.

Mais, me direz vous, nos candidats élyséens n’ont-ils pas émis, l’un après l’autre, de louables réserves sur la pendaison de Saddam ? Las, à y regarder de près, nos néo champions du suivisme démagogique ont prudemment attendu de vérifier que l’épisode avait peu fait recette pour faire montre, au lendemain de l’exécution, de la clairvoyance qui leur avait si parfaitement manqué la veille ! Et pendant ce temps, ou presque, les réactions au bombardement américain de la Somalie (à ranger dans la catégorie créée en août dernier au Liban : «permettre aux bombardiers de finir le travail ») ont inclus une franche approbation, en notre nom à tous, par le vice-président de l’Union européenne. Sur les ondes du « service public des uns », Marek Halter, l’un de nos grands humanistes professionnels, a de surcroît éclairé pour nous (« une armée chrétienne se confronte à l’islamisme !») la dimension civilisationnelle de l’engrenage imprudent où sont allés se fourvoyer les nouveaux alliés (éthiopiens) de Bush.

Si le brave co-président de l’U.E., qui se réjouit de cette nouvelle attaque contre l’un des pays les plus démunis de la planète, me gâche tant ce début d’année, c’est qu’il ne semble pas avoir remarqué que le prétexte évoqué par le département d'Etat et « gobé » par la classe politique européenne "d'empêcher la Somalie de devenir un repaire pour terroristes" pourrait fort bien faire jurisprudence. En s’en tenant aux catégories de l’administration américaine, on peut craindre ainsi en 2007 des attaques contre Peshawar et Le Caire, Alger et Casablanca, le Londonistan, les banlieues d’Hambourg, de Rome ou de Paris, et, pourquoi pas, celles de Marseille, votre deux pièces, leur chaumine ou mon bureau. Bonne année quand même, pendant qu’il est encore temps.

François Burgat

Article paru dans l’Indigène de la République – N° 4 janvier 2007

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