Ouvert voilà plus d'un mois, devant le Tribunal criminel de Blida, le procès de Khalifa Bank, n'en finit pas de livrer jour après jour, à une opinion publique nationale et internationale médusée, son lot de révélations plus effarantes les unes que les autres, sur les mœurs politiques et la corruption morale qui sévissent dans les plus hautes sphères des Institutions du Pays. Et aux plus hauts échelons.

Cependant, malgré toute l'ampleur de la couverture médiatique dont cette immense banqueroute est l'objet et en dépit de la conduite techniquement exemplaire du procès au sein du Tribunal, le citoyen ordinaire – et j'en suis un – a le sentiment qu'il assiste peut-être à une gigantesque opération de prestidigitation politique, tendant à escamoter L'ESSENTIEL DU PROBLEME, à savoir :

Où est allé tout cet argent et qu'a fait l'Etat Algérien, depuis 2003 pour en récupérer la plus grande partie possible, nécessairement "planquée" l'étranger ou en Algérie même ?

En tout état de cause, que l'on ne vienne surtout pas nous dire que la tâche sera difficile quand chacun sait que la moindre somme de quelques milliers de Dollars ou d'Euros déposée par un Arabe dans une banque quelconque en Europe ou aux Etats-Unis est désormais soigneusement enregistrée et signalée aux différents "Services de lutte contre le terrorisme" (étant entendu que les Arabes sont tous des "terroristes" paraît-il…) Mais passons.

Les exemples internationaux ne manquent pas en effet, dans l'histoire la plus récente des grands détournements et blanchiments commis par des dictateurs déchus comme le général Abacha du Nigéria, le général Marcos des Philippines, le général Montesinos du Pérou, ou par leurs proches parents comme Raul Salinas, frère du Président Carlos Salinas du Mexique. Près des trois quarts des sommes détournées ont pu être récupérées par les Etats concernés, grâce à la volonté politique de ces Etats d'abord. Grâce aussi à la mobilisation d'un certain nombre d'ONG comme Transparency International.

En tant que Pays émergeant et respecté sur la scène internationale, l'Algérie dispose d'un grand capital de prestige et de sympathie à l'étranger. Beaucoup d'Institutions officielles ou privées, de femmes et d'hommes politiques influents à travers le monde pourraient se mobiliser à nos cotés pour aider notre pays à récupérer les capitaux détournés. Il y a lieu de signaler en particulier, l'opportunité qu'a notre Pays, en la personne de Madame Micheline Calmy-Rey, la Présidente pour 2007 de la Confédération Helvétique, connue pour ses sympathies à l'égard des Pays du Tiers Monde.

Si des dizaines de responsables politiques et de cadres financiers vont devoir répondre de leurs criminels agissements, il sera tout aussi criminel de baisser les bras en laissant des sommes astronomiques dormir au fond des coffres de certaines banques à l'étranger, en attendant que leurs voleurs viennent les récupérer à l'issue de leur détention, comme cela s'est produit si souvent en Algérie ou ailleurs.

Car, même en retenant l'hypothèse "la plus basse" sur l'estimation du préjudice total subi par la Nation, du fait de cette escroquerie sans nom, on en arrive à des sommes colossales de l'ordre de 5,5 Milliards de Dollars c'est-à-dire 500 Milliards de Dinars Algériens.

Or, dans cette affaire, il est fait état des sommes détournées, tantôt en termes de Dinars, tantôt en termes de Dollars, voire en termes d'Euros, quand ce n'est pas en centimes de Dinars. La majorité des citoyens ne s'y retrouvent plus et n'ont souvent qu'une vague idée de l'étendue de cette banqueroute et des terribles pertes qu'elle a entraînées pour l'économie du Pays dans son ensemble.

Ces pertes immenses se traduisent à titre d'exemples concrets, par :

– Une longueur de 80.000 Kilomètres (deux fois le tour de la Terre) si on mettait bout à bout, tous les billets de 1.000 Dinars représentés par une telle somme ;
– Une superficie de 560 hectares couverte avec des billets de 1.000 Dinars ;
– Une pile de liasses en billets de 1.000 Dinars, haute de 40 Kilomètres ;
– Un volume de 448 mètres / cube ou 28 containers de grand format pleins à c raquer, de billets de 1.000 Dinars.

Si l'on devait projeter ces sommes volées en termes d'investissements perdus pour l'Algérie, cela donnerait les estimations suivantes, selon le type d'investissement :

– 250.000 logements sociaux, soient environ 1 million et demi d'Algériens relogés, à raison de 2 millions de DA le logement, avec en moyenne 6 personnes par logement ;
– 50.000 lits d'hôpitaux à raison de 10 Millions de DA par lit, bâtiments et équipements inclus (soient 50 hôpitaux régionaux de standing international, clés en mains, de 1.000 lits chacun) ;
– 200.000 salles de classe (ou 6 millions d'élèves scolarisés, à raison de 2 Millions et demi de DA par classe, avec 30 élèves pas classe);
– 1.000 à 1.200 Kilomètres d'autoroutes nouvelles ou bien 4.000 à 4.500 Kilomètres de nouvelles routes nationales à 3 voies ;
– 250.000 emplois permanents, à raison d'une moyenne d'investissement tous secteurs confondus, de 2 Millions de DA par emploi permanent créé ;
– 10 années de salaires à 12.000 DA / mois, pour 347.000 chefs de famille.
C'est la banqueroute criminelle la plus lourde jamais enregistrée dans les annales des grands scandales financiers. Et encore s'agit-il ici d'estimations "basses" comme précisé plus haut. Des estimations qui donnent non seulement le vertige mais aussi la nausée, devant ce qu'on doit qualifier sans avoir peur des mots, de Crime de haute trahison contre la patrie.

C'est dans ces termes-là qu'il faudra en effet révéler la vérité aux Algériens, pour qu'ils prennent toute la mesure de ce qui constitue pour notre Pays, une véritable catastrophe nationale, due à l'incompétence des uns, à la corruption des autres et à la responsabilité de tous, jusqu'aux sommets d'un pouvoir politique aujourd'hui totalement discrédité et dont la responsabilité politique et morale ne peut en rien, être atténuée par les vagues accusations récemment portées contre le Chef de l'Etat, M. Bouteflika, par l'escroc Abdelmoumène Khalifa. Un escroc qui a curieusement oublié au passage, de rappeler le temps des grands dîners à la table de ce Chef de l'Etat, en compagnie de ses hôtes de luxe comme la comédienne Catherine Deneuve et l'acteur demi-sel, Gérard Depardieu qui battait le rappel de ses copains de France en les appelant depuis Alger, à venir en Algérie où "il y a du pognon à prendre" comme il l'a si vulgairement dit.

Ce sera l'honneur du Pouvoir Judiciaire, c'est-à-dire d'une Justice Algérienne si longtemps décriée, que de prendre à bras-le-corps une indépendance authentique, vis-à-vis d'un Pouvoir Exécutif gravement marqué moralement désormais, et qui plus est, ne peut plus invoquer aujourd'hui, une quelconque légitimité historique pour se placer au-dessus des Lois et des Institutions. Ce sera l'honneur de cette Justice Algérienne que de ne plus tolérer désormais qu'un délinquant potentiel comme M. Sidi Saïd, Secrétaire Général de l'UGTA ait l'affront et l'arrogance de déclarer par devant des magistrats: "j'assume" comme s'il avait une armée de protecteurs derrière lui !

Ce sera l'honneur aussi, du Pouvoir Législatif – dans la foulée de ce qui doit être considéré comme une véritable prise de conscience institutionnelle et citoyenne nationale – que de s'élever au niveau de la dignité qu'implique la Représentation du Peuple et de ses intérêts légitimes.

Ce sera l'honneur enfin, de ce qu'il est convenu d'appeler le "Quatrième Pouvoir", celui des médias, que d'oser dire la vérité sans fards, à un Peuple, par trop longtemps marginalisé par un système politique, aujourd'hui arrivé au terme de son propre pourrissement, à l'issue d'un lent processus de déliquescence institutionnelle et de discrédit moral.

Abdelkader Dehbi
13 février 2007

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