Du temps où l’Algérie jouait dans la cour des grands, quand en février 1971, le défunt président Houari Boumediène décréta souverainement la nationalisation du pétrole algérien, la France d’alors, celle de M. Pompidou — le parrain politique de l’actuel M. Chirac — décréta, à son tour, l’embargo sur notre pétrole en le qualifiant de “pétrole rouge”, c’est-à-dire de pétrole communiste. — Et il eut été piquant, n’était le caractère dramatique de la situation, de faire le parallèle, plus de trente années plus tard, avec les récents propos pour le moins étranges et choquants d’un M. Poutine, qui n’a même pas encore entièrement épousseté son ancien habit d’oligarque du communisme, et qui vient de proposer tout de go aux États-Unis et à l’Europe de leur fournir du “pétrole chrétien” (sic) —, sans doute pour faire oublier les massacres de Tchétchènes…

Il y a comme cela des sortes de bégaiements cyniques de l’histoire.

Ainsi en est-il aujourd’hui de la nouvelle crise internationale qui est en train de prendre corps sous nos yeux au sujet du programme nucléaire de l’Iran, qui a pourtant clairement le droit international pour lui. Sauf que, cette fois-ci, le non-dit qui est dans toutes les têtes des gouvernements occidentaux et qui se nimbe, comme à son accoutumée, des oripeaux d’on ne sait quel “droit”, c’est en fait la volonté farouche de l’Occident d’interdire à l’Iran toute ambition de maîtrise de l’atome au motif discriminatoire — non déclaré — qu’il s’agirait de l’atome “vert”… Une triste vérité, difficilement dissimulable, malgré la montée en puissance, aux États-Unis comme en Europe, d’une campagne médiatique anti-iranienne qui rappelle, comme en écho, les sinistres campagnes de désinformation précédant l’invasion de l’Irak en 2003.

Personne ne peut contester les risques de la dissémination nucléaire pour l’espèce humaine dans son ensemble. Mais ces risques sont indivisibles : il n’y a pas de “bons détenteurs” et de “mauvais détenteurs”, il n’y a que des risques et ils sont pour tous les hommes. C’est pourquoi, il ne se trouvera pas un seul citoyen sensé dans ce vaste monde — y compris les citoyens des grandes puissances nucléaires, à l’Est comme à l’Ouest — pour imaginer, sans en être traumatisé, l’éventualité d’une guerre nucléaire, même limitée à telle ou telle région du globe. Encore qu’il faille avoir constamment à l’esprit l’impossibilité logique — j’allais dire mathématique — d’une guerre nucléaire qui resterait régionalement limitée, c’est-à-dire qui n’échapperait pas à ses belligérants pour dégénérer fatalement, en s’étendant à l’ensemble de la planète par le redoutable jeu de dominos à plusieurs entrées que constitue l’immense puzzle qui gouverne aujourd’hui les relations internationales et leurs soubassements si complexes, d’ordre à la fois ethnique et religieux, historique et culturel, économique et géostratégique.

Il faut appeler brièvement ici, que c’est précisément en partant d’un tel constat, au début des années 1960, dans la foulée de la crise mondiale dite des “Missiles de Cuba” durant l’automne 1962 — qui a failli tourner au conflit nucléaire généralisé — qu’a été signé l’Accord de Genève (20 juin 1963) instituant en particulier le “Téléphone rouge” (en fait un télex chiffré) entre Washington et Moscou pour régler dans l’urgence les crises graves ou les fausses alertes. L’Accord de Genève a été immédiatement suivi par le Traité de Moscou (5 août 1963) interdisant les essais nucléaires dans l’atmosphère — la Chine et la France refusant d’y souscrire.

Vint ensuite le fameux Traité de non-prolifération (TNP) des armes nucléaires ouvert à la signature de l’ensemble des pays membres des Nations unies, dès juillet 1968. Entré en vigueur le 5 mars 1970 pour une durée de 25 ans, ce traité a été “prorogé indéfiniment” depuis le 11 mai 1995.

Plusieurs pays dont l’Algérie ont refusé de signer ce traité en tant qu’il constitue à juste raison, aux yeux de la plupart d’entre eux, une sorte de “contrat léonin”, confortant et légitimant les grandes puissances dans leurs acquis technologiques mais interdisant aux nations émergentes, au nom de la non-prolifération, toute intrusion dans la voie royale de la physique fondamentale qu’est la physique atomique ; une physique atomique qui a induit pour l’essentiel, depuis plus d’un demi siècle, l’avancée de toutes les autres branches des sciences et des technologies de pointe qui révolutionnent notre monde d’aujourd’hui et notre vie quotidienne.

C’est dans ce contexte-là et en toute honnêteté, c’est-à-dire en dehors de tout parti pris de nature idéologique ou de pression politique, qu’il serait juste de replacer la nouvelle crise internationale qui se développe aujourd’hui autour de la question de savoir pourquoi l’Iran — ou tout autre pays signataire du TNP — n’aurait-il pas le droit d’effectuer dans ses propres laboratoires, sur son propre territoire et sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique — ainsi que le stipulent clairement les dispositions dudit traité auquel il a souscrit —, pourquoi l’Iran, disions-nous, n’aurait- il donc pas le droit de réaliser les opérations d’enrichissement de l’uranium qui constituent l’étape la plus fondamentale dans la maîtrise des technologies nucléaires ?

L’article IV alinéa 1er du traité précise, en effet, sans ambiguïté : “Aucune disposition du présent traité ne sera interprétée comme portant atteinte au droit inaliénable de toutes les parties au traité, de développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques sans discrimination et conformément aux dispositions des articles 1 et 2 du présent traité.”

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