Dans l'équation algérienne, l'armée est une devenue une constante dont il ne faut plus rien attendre. Malheureusement l'opposition s'enfonce de plus en plus dans le rôle d'une variable instable, confuse, incapable de vigueur et de rigueur. Nous ne parlerons pas ici de certains partis à qui nous pouvons appliquer, sans leur faire du tort, le qualificatif de fantoche tant il est clair qu'ils sont l'émanation du pouvoir et qu'ils ont été crées dans la hâte par lui pour faire diversion. C'est le cas du RND ou du FLN rénové mais aussi du RCD et bien d'autres. Contre subsides et diverses formes occultes de rémunérations, ils ont pour mission d'accréditer l'idée d'un jeu politique démocratique et ouvert… Les responsables de ces " officines " partagent avec le groupuscule des rentiers en uniforme la responsabilité de l'ardoise des pertes humaines.

Couper les ponts avec le pourvoir et les hommes qui le servent, le déclarer illégitime, ne s'adresser aux généraux que pour leur signifier le vœu du pays de les voir partir, en appeler au peuple et lui proposer des formes de luttes fédératrices, susceptibles de transformer son énergie émeutière en énergie révolutionnaire ( celles-ci ne peuvent être que pacifiques et l'Indonésie tout récemment vient de donner encore la preuve de l'efficacité des moyens de luttes pacifiques pour peu qu'elles soient adaptées à la situation et surtout obstinées ), arrêter une ligne de conduite et s'en tenir…. C'est là le minimum indispensable, le SMIC de la rupture en quelque sorte, pour avoir une chance, tant soit peu, d'avoir l'écoute des Algériennes et Algériens qui, par centaines de mille, sont prêts à tous les sacrifices afin d'en terminer radicalement avec la dictature.

Les leaders politiques sérieux de l'opposition ne nient nullement le fait que la fin de la confiscation du pouvoir par le haut commandement militaire soit une condition obligatoire au retour de la paix, et aussi sont-il persuadés que les généraux régnants ne sont pas du tout disposés (pas fous ! les bêtes…) à se faire hara-kiri, mais tirer la conséquence logique de ces deux données, apparemment c'est trop leur demander. Sans trop y croire eux-mêmes, ils avancent l'argument du bain de sang que risquerait d'engendrer un affrontement avec la direction militaire ( car seule la direction militaire est en cause cela s'entend ) ce qui évidemment ne résiste pas à la réalité du bilan d'une guerre larvée qui a tout d'un abcès qui tarde à crever et qui conduit lentement mais sûrement tout un peuple à la folie : plus de 200 000 morts déjà, chiffre qui augmente chaque jour et qui, chaque jour, nous rappelle que tout jour que dure ce pouvoir est un jour béni pour le sang et la mort :

L'exemple qui illustre le mieux à la fois l'inconséquence et le manque d'audace des opposants algériens ainsi que l'extrême facilité avec laquelle ils cèdent au jeu d'appareil, jeu aux dés pipés car la poignée de hauts gradés en ont toutes les cartes en main, cet exemple est donc le " front du refus des 6 " constitué par les leaders des six partis qui retirèrent leur candidature à l'élection présidentielle du 15 avril 1999 qui a vu Monsieur Bouteflika accéder à la responsabilité suprême. En effet, plusieurs indices concrets (1) sont venus montrer que la junte militaire, après avoir fait démissionner Zéroual a estimé lui trouver un bon remplaçant en la personne de l'ex ministre des affaires étrangères de Boumediene, avait mis en place un formidable dispositif de fraude afin de garantir la victoire électorale à son cheval. Le 14 avril, la veille du scrutin donc les " Six ", ne voulant pas cautionner ce qui prenait l'allure d'une mascarade, convoquèrent une conférence de presse pour annoncer leur décision et appelèrent au boycott des urnes. L'appel fut entendu puisque la grande majorité de l'électorat bouda les bureaux de vote. Fort de ce soutien, les six adoptèrent un " Manifeste des libertés démocratiques " qui, partant du " fossé qui ne cesse de s'approfondir entre les gouvernants, les institutions et la société "( sic) énonce en 13 points les libertés fondamentales à arracher d'urgence et exhorte, en conséquence, partis politiques, mouvement associatif, jeunes, femmes, syndicaliste, universitaires, paysans cadres à se mobiliser dans cet objectif. Jusqu'à là, tout va bien. Immédiatement la société civile algérienne se mobilisa, partout dans le pays se créèrent des comités de soutien au Manifeste où dans un même élan se côtoyèrent les catégories sociales les plus diverses : Intellectuels, syndicalistes, associations de disparus etc. On parla d'une dynamique politique sans pareille. Mais voilà, à peine celui qu'on présentait comme " l'homme de l'armée " fut-il intronisé qu'on s'empressa de lui donner du " Monsieur le Président " au nom du réalisme politique. Encore une fois, les manipulations de coulisse – une des spécialités du régime – furent d'un effet magique, transformant " la fameuse dynamique " du Manifeste en un admirable feu de paille. On peut facilement imaginer l'état d'esprit vis à vis des "6" des milliers d'Algériennes et d'Algériens qui s'étaient mobilisés autour de leur appel.

Cette inconséquence dans l'action a valeur de marque de fabrique pour l'opposition politique algérienne. Elle est commune à quasi tous les partis politiques et leaders de mouvements.

Aussi, le déficit d'un pôle d'opposition pouvant constituer une alternative viable au régime algérien, donne de larges circonstances atténuantes aux chancelleries des grandes puissances dans leur soutien au pouvoir en place tout en en le sachant les mains remplis de sang. Des circonstances atténuantes seulement…

L'examen du paysage politique fait ressortir, que le FIS et ses responsables hors jeu, aucune composante politique d'opposition n'est à même, seule, de devenir le maître d'œuvre du changement. Encore une fois, le FFS possède les capacités objectives pour prendre la tête du combat révolutionnaire : notamment un appareil rôdé, une base expérimentée et disciplinée, un leader charismatique et propre ( avec cependant une tendance toutefois au zaïmisme) en la personne de Aït Ahmed. Mais l'étiquette de " parti kabyle ",jugement bien ancrée dans l'esprit des non-kabyles affaiblit beaucoup son action. Il y a lieu de souligner aussi que le temps ne joue en pas en sa faveur. Outre l'aspect usant du bourbier dans lequel patauge le microcosme politique, le régime arrivera bien, si les choses devaient rester trop longtemps encore en l'état, de trouver le moyen de lui faire partager le sort du FIS. D'ailleurs, dans les événements qui agitent depuis quelques mois la Kabylie et considérant la complaisance avec laquelle le pouvoir fait traîner les choses tout en adoubant une coordination du mouvement qui se réclame du " arch " ( tribu ?! ), serait-il exagéré de voir là, une volonté délibérée des aigrefins du système de saper la base du FFS en la faisant basculer dans le tribalisme ? Incontestablement la question se pose.

Force centrale du champ politique algérien, il revient à ce parti de prendre l'initiative de fédérer sans sectarisme tous les mouvements convaincus de la nécessité d'un changement radical, et vaccinés et bien vaccinés contre le chant des sirènes et autres taupes liées au service de l'Olympe militaire. Il doit le faire à notre avis en proposant sur la base d'un programme commun de gouvernement. Programme économique, et politique réaliste et aussi une stratégie de luttes pacifiques mais déterminées contre le régime. Un rapprochement programmatique entre Hamrouchiens et FFS pourrait constituer un socle pour une alliance plus large. Les deux partis y trouveraient un bénéfice immédiat, le FFS trouvera là un argument qui lui permettra de battre en brèche l'étiquette berbériste, quant aux Hamrouchiens, ils trouveront dans la grande expérience du parti de Aït Ahmed une raison de se donner rapidement un cadre politique.

Mais ce n'est qu'une condition nécessaire pas suffisante. Lancer un appel solennel au peuple algérien, faire de celui-ci le seul interlocuteur politique et enfin, et c'est le plus dur, convaincre les couches populaires qu'ils ne seront pas encore une fois " trahis " et que le combat contre le régime ira jusqu'à son terme, quel que soit le prix humain à payer – prix qui de toutes les façons sera moindre que celui de deux ou trois autres années de dictature ).Alors la dynamique qui s'en suivra ne manquera pas de régler la question de la condition subjective manquante.

Par bien des aspects, la situation algérienne actuelle rappelle l'impasse politique de l'Algérie coloniale après les tragiques événements de 1945 : hésitations, doutes, rivalités meurtrières entre fractions, légalisme béat, compromis avec le pouvoir colonial, sous estimation de la détermination anti-coloniale du peuple, sous-estimation très bien exprimée par la fameuse phrase de Ferhat Abbas,"J'ai interrogé les vivants et les morts, j'ai visité les cimetières, j'ai parcouru l'histoire, je suis revenu au Coran et je n'ai pas trouvé ce qui interdit à un musulman d'être assimilé à une nation non musulmane. Je ne mourrai pas pour la patrie Algérienne, car cette patrie n'existe pas" Il a fallu l'audace des signataires de l'appel du Ier novembre pour enclencher l'élan libérateur : ce qui devait être payé fut payé et le pays se débarrassa de l'oppresseur. Dans cette similitude, il y a comme une mise en garde : Algérien est grosse d'une révolution, les choses étant arrivées à termes, attention de ne pas laisser n'importe qui jouer à l'accoucheur : le risque est de voir naître un difforme, sinon un monstre…

(1) cf. Le communiqué commun des "6" du 13 avril 1999

Hassen Bouabdellah
Ecrivain et cinéaste
Février 2002

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