C'est dire que les crimes des généraux algériens commencent à la rattraper : atteinte à la souveraineté et au droit d'élire démocratiquement ses représentants politiques, manipulation du terrorisme, notamment le GIA pour continuer se poser en garants de la sécurité, assassinats, disparitions, bref la panoplie complète qui a fait la sinistre célébrité de la junte chilienne ou argentine. La question " qui tue en Algérie " a ébranlé beaucoup de partis pris, et à part quelques irréductibles, personne ne croit plus à la prétendue mission de " rempart de la République " de l'armée algérienne. Les langues se délient. Des soldats, parfois des officiers non seulement désertent mais ne pouvant plus supporter le poids du crime, témoignent… Tout cela ébranle leur conviction de jouir pour l'éternité d'une impunité totale, émousse le réflexe qui assurait aux potentats en uniformes la capacité de transcender leurs querelles personnelles pour faire front uni devant tout danger menaçant la caste. Certains commencent à penser qu'il pourrait bien se retrouver un jour dans la situation d'un Pinochet. Bref, la peur et le doute s'insinuent dans les esprits et la peur et le doute fragilisent…Donc même au cœur du pouvoir, il y a fissures !

Tableau bien sombre et sans doute au-dessous de la réalité… Il montre à quel point l'Algérie réunit si idéalement les conditions objectives essentielles à changement radical, vainement attendu depuis les événements d'octobre 1988. La situation est mûre comme un fruit qui n'attend qu'un léger souffle pour tomber à terre. Alors – et c'est toute la question – par quel miracle ce pouvoir continue t-il d'imposer sa loi à tout un pays, à tout un peuple ?

En vérité, il n'y a pas d'énigme. L'engluement de l'Algérie dans une espèce de labyrinthe, mélange d'anarchie et de désespérance, vient tout juste nous rappeler que les conditions objectives ne suffisent pas à elles-seules à donner un corps au changement révolutionnaire. Pour devenir force motrice, l'eau en ébullition a besoin d'être contenue, maîtrisée. De même et comme le suggère le titre de cet écrit, une révolution a besoin d'un accoucheur. C'est dire toute l'importance des conditions subjectives dans la réalisation positive d'un changement social et politique radical. En Algérie, c'est à ce niveau seul que se situe la faiblesse majeure qui permet aux généraux félons de tenir encore sur pied malgré des jambes flageolantes.

D'octobre 88 jusqu'à l'interruption des élections législative largement gagnées par lui, le F.I.S, a su et non sans un certain brio, se positionner sur le champ politique comme l'accoucheur du changement attendu avec ferveur par les Algériennes et Algériens, tout âge confondu, toute catégories sociales confondues, religieux et athées. Dans le nouveau paysage politique né de la Constitution de 1989 qui avait établi le pluralisme politique (rappelons pour ceux qui l'ont oublié ), les principaux dirigeants du FIS, rompant avec la tradition des luttes d'appareils, ont commencé par couper court et net avec le pouvoir en place, puis ont consacré toute leur action politique à fédérer et harmoniser, en les fondant dans une stratégie unique, les forces de changement, en vue de débarrasser, par des élections libres, le pays de la caste politique discréditée. Ces élections furent ainsi gagnées haut la main et alors même que ses leaders étaient emprisonnés. La preuve que c'est cette rupture radicale avec les hommes de la dictature qui avait permis au FIS de s'ériger en guide du changement mais non la bannière islamique qui n'a servi en l'occurrence que de ferment, passe par les catastrophiques résultats électoraux des deux autres partis islamistes qui pourtant se prévalaient aussi de la charia, et pour cause, la compromission de leurs dirigeants avec les patrons du régime leur a coûté cher au niveau des urnes. Et cette preuve se renforce du bon résultat du FFS lors premier tour des législatives de 1991, seul parti de la mouvance autoproclamée " démocratique " dont le leader Aït Ahmed s'est toujours nettement démarqué de la nomenklatura politique, grâce à quoi, est-il ainsi devenu la première force politique d'opposition du camp laïque. Sans sa réputation (justifiée ou fausse là n'est pas la question) de mouvement " Kabyle " qui a beaucoup restreint sa dimension nationale, sans doute ce mouvement aurait sérieusement rivalisé avec le FIS…

Force est de constater que la neutralisation du FIS (neutralisation définitive ou provisoire ? -qui oserait un pronostic ? ) a laissé comme un vide. Le peuple erre, tel un Roi Lear traversant le désert, bouillant d'amertume, hagard et chancelant. Il est vrai, en dix ans d'un semblant de vie politique, aucun leader, émergeant du lot pourtant bien étoffé du personnel politique, n'a su trouver un moyen pour gagner en épaisseur et venir combler ce vide. Le camp non islamiste semble incapable de se donner une personnalité de l'envergure, ne disons pas d'un Mandela, ni même d'un Martin King mais seulement d'un général EANES de la Révolution portugaise des œillets. Les mouvements d'opposition et leurs dirigeants, passant à côté de l'aubaine que constitue la mise hors jeu du FIS et de la complète maturation de la situation politique, font preuve d'un extraordinaire manque de discernement et d'audace. Pratiquement tous continuent de faire le contraire de ce qu'il faudrait faire pour avoir une chance de gagner en crédibilité. Pourquoi donc cette incapacité des politiques d'inspiration moderniste à enraciner leur action dans le courant populaire, quelle fatalité les pousse toujours et toujours vers les vaines luttes d'appareil, croyant qu'ils arriveront à leur fin par la manipulation d'un pouvoir qui brille dans l'art de la manipulation et de l'intoxication ?

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