Et rien, absolument rien, ne permet par ailleurs de déceler dans le terroir abstentionniste autre chose que la chambre d’écho de la majorité apparue en 1990, c’est-à-dire, toutes proportions gardées…une réserve supplémentaire de voix islamistes.

Alors ? Point de lueur d’espoir à l’horizon ? Point d’autre navire que des boat people chargés de femmes fuyant la tyrannie coranique ? Point d’autre issue, à, terme que le martyre de notre sainte laïcité ? Un scénario moins tragique et plus vraisemblable existe pourtant. Il ne coûte pour l’heure que le prix de quelques ingrédients qu’il nous faut urgemment réintroduire dans nos analyses où ils ont laissé, en sortant, autant de  vides en forme de raccourcis.

Quand bien même auraient ils supposément quelques référents communs, il serait d’abord urgent de cesser d’extrapoler le mental du groupuscule des assassins de Sadate à la totalité des forces issues du courant islamiste.Il faut ensuite accepter de ne plus enfermer les scrutins algériens de 1990 et de décembre 1991 dans les limites négatives de cet inusable « refus du FLN » que n’importe lequel des autres partis en présence aurait en fait pu exprimer. Cesser aussi de ne voir dans l’émergence islamiste qu’une conséquence de la dégradation des économies arabess : si , au même titre que les progrès de la démocratisation, le rétablissement des économies maghrébines doit être érigé, des deux côtés de la Méditerranée, en une priorité absolue, aucun de ces deux objectifs ne doit être considéré comme le moyen de transformer le vocabulaire des acteurs politiques. Comment ces dollars, dont on nous dit régulièrement que sous d’autres cieux, ils servent à « exporter l’islam » devraient ils donc, au Maghreb, faire …disparaître les islamistes ?

Aide l’Algérie ? Bien sûr ! Mais telle qu’elle est et non, une fois n’est pas coutume, telle que nous souhaiterions qu’elle soit. Indispensable pour mille autre raison, l’aide économique ne saurait être considérée comme un moyen de lutter contre ces « fils des nationalistes » que sont les islamistes de Tunisie, d’Algérie ou d’ailleurs.  Alors que les pétarades d’une fugitive islamisation révolutionnaire dite « par le haut » n’avaient pas encore commencé à attirer puis à aveugler le regard occidental, un lent, profond – et très naturel – processus de reconnection avec l’univers symbolique de la culture « précoloniale » travaillait déjà chacun des compartiments de l’univers social, culturel et politique arabe.

C’est l’ultime expression politique de ce processus que manifeste aujourd’hui l’arrivée aux portes du pouvoir des islamistes. S’il faut tenter d’évaluer leur capacité à poursuivre le difficile processus de construction d’une société de tolérance timidement initié par leurs aînés, un repère jalonne l’analyse : en terre arabe, s’il existe une ligne de démarcation entre les bons et les méchants, les démocrates et les antidémocrates, les tolérants et les intolérants, les défenseurs des droits de l’homme, ou de la femme, et ceux qui ne s’en préoccupent que modestement,etcv, elle a assurément un tracé plus sinueux que …qui distingue les islamistes du reste de la classe politique.

D’abord bien sûr – puisque ce qui va ailleurs sans le dire va mieux ici en le redisant – parce qu’il ne suffit pas d’être islamiste pour être à la hauteur des promesses de tolérance que manient une large majorité des leaders de ce courant. Mais parce qu’il ne suffit pas non plus d’être anti islamiste – comme Saddam Hussein ou Hafez al Assad , ou ceux dont les prisons, au Maghreb, ne suffisent plus à contenir les opposants, pour faire automatiquement partie de ce supposé « camp démocratique » dont la classe politique occidentale accorde aujourd’hui le monopole de représentation à des régimes discrédités et à ceux de leurs opposants que la poussée islamiste a marginalisés.

Ensuite et enfin parce qu’on peut être islamiste et ne pas s’identifier au discours de rejet tenu ici et là par la périphérie radicale d’un courant qui est bien loin de s’y identifier. IL faudra bien finir un jour par s’en apercevoir. Le plus tôt serait le mieux.

François Burgat
Jeudi 30 avril 1992
paru dans Le Monde, débats, p.2

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