Houari Addi

Le 117èm vendredi, qui a correspondu au 2èm jour de l’aïd, a été marqué par une agressivité inhabituelle des policiers. Des centaines de hirakistes à Alger, et dans d’autres villes, ont été arrêtés, maltraités, puis relâchés après plusieurs heures de harcèlement verbal de la part de policiers épuisés physiquement, et qui rendent les manifestants responsables de leur épuisement. Les policiers exigeaient des personnes arrêtées qu’elles signent un document par lequel elles s’engagent à ne plus manifester. Si elles sont arrêtées de nouveau, elles seront transférées devant le juge qui les condamnera, non pas pour avoir violé la loi, mais pour promesse non tenue aux policiers ! La police algérienne vient d’enrichir les sources du droit.

Cette nervosité et cette agressivité montrent que le régime cherche à intimider et à dissuader plus qu’à réprimer, car il n’a pas les moyens humains, idéologiques et politiques pour réprimer un mouvement d’une telle ampleur. Les forces de l’ordre sont efficaces à maintenir l’ordre public quand celui-ci est menacé par une minorité. Dès lors que la contestation provient d’une majorité, comme c’est le cas pour le hirak, elles sont inefficaces parce que la contestation est d’ordre politique et la solution est politique et non sécuritaire. Pour faire cesser les manifestations des vendredis, il faudrait arrêter au minimum 20 000 personnes pendant plusieurs mois, ce qui risque de faire éclater la cohésion de l’Etat-Major. Ne pas oublier que l’armée algérienne n’est pas une armée étrangère, et qu’elle n’est pas insensible aux revendications de la société, même si la solidarité de corps exige l’unité des rangs.

L’Etat-Major, organe de facto souverain, a donné comme mission au DRS de faire cesser les manifestations au moindre coût politique. Mais le DRS ne maîtrise plus le champ politique comme par le passé. Les foules qu’il arrivait à infiltrer lui échappent désormais. Les partis qu’il a créés sont démonétisés. Les personnalités qu’il a désignées ne sont plus crédibles. Il lui reste le contrôle de la police et de l’appareil judiciaire sur lesquels il s’appuie pour réaliser sa mission qui consiste à faire échouer le hirak. Mais ces deux institutions, contrairement à la police politique, doivent se référer formellement à un cadre légal pour agir. Le DRS a essayé de leur en donner un avec le communiqué non signé du ministère de l’intérieur exigeant une autorisation préalable pour manifester. Le DRS est sur la corde raide. Comme interdire légalement des manifestations pacifiques que la constitution autorise ?

Ce qu’un étudiant de science politique apprend de la situation algérienne, c’est que l’autorité publique de l’Etat ne peut pas s’exercer contre le public pour deux raisons. La première est que le public est la source de la légalité. C’est lui qui donne, par les élections, la légitimité aux dirigeants de promulguer des lois et de dire ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Etant source de légitimité, le public ne peut pas être en contradiction avec la légalité. La deuxième raison, c’est que la mission des forces de l’ordre, inscrite dans les textes de loi, est de neutraliser les ennemis du public et non le public. Les forces de l’ordre sont conçues pour être efficaces contre une minorité et non une majorité. Or la feuille de route du DRS est de neutraliser la majorité pour qu’elle n’exprime pas ses revendications politiques. C’est une mission impossible.

En sa qualité d’organe souverain de facto d’où le gouvernement détient son autorité, l’Etat-Major, qui joue le rôle du Conseil de la révolution du temps de Boumédiène, devrait tirer les conclusions qui s’imposent : 1. Le DRS a échoué dans la mission qu’il lui a assignée. 2. Les élections du 12 juin doivent être reportées. 3. Le principe de la transition démocratique demandée par le hirak est la seule perspective de sortie de la crise.

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