« Nous avons libéré la terre, mais nous avons failli dans la libération de l’homme. » Ferhat Abbas – Homme dEtat Algérien, (1899-1985)

Parler du présent éveil national en Algérie, c’est bien sûr pour tous les intellectuels du monde de l’inscrire dans une philosophie de l’histoire marxiste ou hégélienne, celle qui croit au sens de l’histoire et qui suppose qu’un ordre nouveau doit émerger des contradictions d’une société.

On se réfère à la révolution française, la révolution bolchevique, la révolution maoïste culturelle, la révolution cubaine, et la lutte contre l’impérialisme américain.

C’est certainement le premier malentendu ; toute philosophie de l’histoire doit être vue dans son contexte.

Ce qui le fascine en Algérie c’est justement qu’il s’agit d’une révolution pacifique.

Un ami m’a dit qu’il faut réinventer le mot démocratie pour ce moment de l’histoire.

Il faut remarquer deux points qui sapent toute comparaison avec les révolutions politiques d’antan: l’unanimisme de la société (pas de guerre civile, pas de luttes de classe comme moteur de la révolution) et l’absence d’idéologie et de programme politique, ce qui laisse ouverte la question du régime à venir et du programme de gouvernement qu’il peut y avoir, là il y a une volonté claire, obstinée, unanime du peuple algérien.

Cette révolution fait sens en soi, comme refus du pouvoir, et non pas en tant qu’elle serait porteuse d’un nouvel ordre, d’un nouveau pouvoir et d’une société plus juste, ce qui devrait dans une certaine mesure être un gage aux équilibres inter-régionaux et internationaux.

Les appréhensions internes et externes sont immenses quant à l’ordre social sur lequel cette révolution déboucherait.

Dans cet éveil révolutionnaire, toutes les classes sociales sont impliquées et personne ne met en avant des revendications économiques ou sociales.

Les classes sociales existent mais cela n’est pas pertinent. Tous veulent le départ du pouvoir politique en place.

La révolution est purement politique, mais contre le politique même.

L’éveil algérien 2019 va à l’encontre des explications sociologiques des paradigmes Think-Tanks en place.

Les intérêts régionaux et internationaux, plus que prévalant dans une globalisation d’une économie tentaculaire, rendent la situation algérienne plus que jamais énigmatique.

A certain égard, le lien du Rubicon n’a pas été franchi au Moyen-Orient, mais il le sera certainement en Algérie, pour le grand malheur de ceux qui se prétendent à un élitisme prédestiné.

 L’Algérie se fera d’abord avec toutes les algériennes et algériens, le reste ne sera qu’une négociation d’intérêts.

Cette révolution, réconciliation et renaissance d’un peuple qui veut se rendre justice devant une histoire malveillante, sont une cause juste et n’à aucun plan d’expansion au-delàs de ses frontières. Sans Velléité, ce peuple veut un vivre et aider à vivre, son héritage sera sans doute de rendre les pouvoirs plus fragiles et les hommes plus lucides.

Un commentaire

  1. Mellah hocine on

    Hocine Ait Ahmed -Allah irrahmou- ne cessait d’éveiller les consciences , à chaque fois que l’histoire de ce jeune pays le permet.
    « Le principe de  » la primauté du politique sur le militaire  » proclamés par le Congrès de la Soummam . Et ce , quelque soient l’avenir de leur témoignage ainsi que sa portée sur la société ; certes celle-ci n’avait pas oublié les promesses « d’une république démocratique et sociale  » , proclamée le PREMIER NOVEMBRE 1954 ; sauf , ne l’oublions pas , qu’elle venait de passer ,-quasiment sans transition -, d’une domination coloniale à un système d’oppression d’autant plus redoutable qu’il n’est pas d’origine étrangère et qu’au surplus ,il se prévaut d’une légitimité et d’un patriotisme pris en otage par la  » famille révolutionnaire  » .
    Recueillir dans cette vallée historique les enseignements emmagasinés dans les archives de la mémoire collective , en vue de les faire passer aux vagues montantes de notre jeunesse. Car cet énorme capital de reflexes politiques et d’expériences fussent elles précieuses ou atroces à l’exemple des exécutions dans les maquis , sans procès mais sous torture de centaines de jeunes lycéens patriotes  » donnés  » comme des traitres par les services de l’armée coloniale ; un patrimoine qui continue à se transmettre oralement mais qui ne s’écrit pas risquait de disparaître à la longue et d’occasionner ainsi une brisure irréparable entre les générations .
    Chers compatriotes ,
    Si cette fracture entre les jeunes générations de l’Algérie profonde n’a pas eu lieu , ce n’est pas faute pour le cabinet noir de n’avoir pas fait de la prédation politique une véritable stratégie destinée à pérenniser sa main mise sur le pays sur ses richesses et sur le destin d’une nation au passé glorieux . La confiscation , l’instrumentalisation la falsification et la manipulation de la mémoire historique illustrent clairement le caractère délibéré , planifié et totalitaire d’une volonté éradicatrice de toute forme de lutte politique non violente et de toute avancée démocratique .
    Pour notre jeunesse , c’est une arrogance insupportable de se voir dépossédée de son passé et des significations qu’elle lui accordait .La traque organisée de la vérité , l’effacement des traces qui rappellent l’extra-ordinaire mobilisation des femmes et des hommes libres de tous âges .Cet invraisemblable détournement de sens du combat libérateur , refuge ultime de la mémoire et de l’identité nationales s’est aussi effectué en plein jour et à ciel ouvert . Y compris dans la frénésie des commémorations patriotiques présidées par des démagogues rentiers de leur passé .
    Oui ! la dictature a mené pendant près de quarante ans une politique de déculturation , de dépolitisation voire de destabilisation mentale des Algériennes et des Algériens afin de rendre impossible toute pensée et toute action logiques . Par contre elle a donné toutes ses chances à l’inculture politique , à la culture du mensonge de la manipulation et de la violence .Certains cercles du pouvoir s’évertuent encore à rendre irréversible la politique de la kalashnikov et des dobermans .
    Chers amis ,
    Qu’a-t-on fait de notre pays , de notre société ,de notre jeunessse ?
    Je ne vous apprend rien . Vous qui vivez chaque jour les épisodes dramatiques et burlesques d’une hallucinante deliquescence dans tous les domaines . Je n’ai pas le moindre doute que votre reflexion et vos analyses ,à Ighzer Amoqran , n’attribueront pas à la fatalité ou à je ne sais quelle malédiction les malheurs , l’extrême detresse sociale , jusqu’à la réapparition de la peste dans notre pays , un fléau pourtant éradiqué . dans le monde depuis de siècles. Le règne d’un nihilisme destructeur voilà l’une des racines du mal qui vouent l’Algérie au chaos à la division et à l’auto-destruction.. Pourtant les  » amis  » et les partenaires de l’Algérie continuent à faire confiance à la peste brune pour éradiquer la peste noire .
    Jamais notre pays n’a connu une impasse aussi désespérante . Les clans du pouvoir se donnent honteusement en spectacle , pour imposer un candidat aux présidentielles . Ainsi la seule issue pour une guerre qui dévore les Algériens et dévaste l’Algérie serait le choix d’une perruque à un semblant d' » Etat » .
    Etrange attirance du vide d’Etat, où une société en plein désarroi retourne à ce qui l’a fondé et uni le 20 août 1956. Faire revivre le congrès de la Soummam c’est ouvrir la voie à l’espoir et redonner à la nation algérienne confiance en elle-même. Le miracle qui a pu s’accomplir en pleine guerre de reconquête coloniale est, aujourd’hui, à la portée des Algériens et Algériennes. Deux hommes, Ben M’hidi Larbi et Abbane Ramdane ont réussi les premières assises de la  » révolution » , parce qu’ils ont su réussir la préparation de ces assises.
    C’était une entreprise de titans pour qui se rappelle les querelles de personnes , les problèmes entre willayas et les rivalités qui opposaient les dirigeants des différentes formations politiques invitées à ce congrès. Cet anniversaire est là pour nous rappeler que notre nation a vécu de grandes choses dans son histoire. Elle est montée si haut dans l’affection et l’estime des peuples et des hommes libres du Monde en Tiers. Pourquoi est-il descendu si bas ? probablement aussi parce que la diplomatie totalitaire a réussi à tromper ces derniers et à les retourner contre les aspirations profondes de cette nation, au nom de la lutte contre le terrorisme intégriste.
    Il convient de préciser, que ce congrès n’est pas né de nulle part , ex-nihilo, son mérite majeur est d’avoir réhabilité la nature politique et contractuelle de notre combat national depuis des décennies.
    Le congrès de la Soummam appartiendrait-il, pour autant à l’histoire ancienne.? Bien au contraire, son défi exemplaire à la fatalité s’impose plus que jamais au présent puisqu’il peut constituer l’une des clefs pour un avenir de justice de liberté et de réconciliation.
    Je ne saurai assez répéter que la négation au peuple algérien de son droit à l’auto -détermination est l’élément fondateur non pas d’une république démocratique et sociale mais au contraire d’un simulacre de république où il n’y a quasiment rien de public.
    La fondation de la deuxième république apparaît ainsi comme l’unique perspective de sortie de crise ; j’ajouterai que cette initiative révolutionnaire -au sens qualitatif de terme ­est loin d’être une utopie, pour peu que ceux qui détiennent la réalité du pouvoir accepte de renoncer aux fausses solutions notamment à la perversion du suffrage universel. La seule manière de se réconcilier avec ce principe électoral sans lequel il n’y aurait pas eu de civilisation est de restituer aux Algériens individuellement et collectivement les libertés et les droits qui leur permettent d’élire en toute souveraineté une Assemblée Nationale Constituante.
    Seule une constitution peut permettre l’établissement de l’Etat de droit. Faute de quoi l’exercice de la puissance publique continuerait à être illégitime, la justice continuerait à ne pas être indépendante équitable et unanimement respectée, et la loi devant commencer à s’appliquer à tous les citoyens sans exception, ne sera pas le lieu géométrique d’une alternative démocratique.
    La balle est aussi et surtout dans le camp des vrais démocrates et de la société civile.
    Refusez le refus du pouvoir d’une solution globale politique et pacifique est un préalable qui interpelle la responsabilité de chaque Algérien et Algérienne.
    Que revivent les Algériens en citoyens et citoyennes à part entière libres heureux et fraternels.
    Après l’indépendance, on a détruit les wilayas qui avaient fait pourtant la preuve de leur efficacité. Un jacobinisme soucieux de tenir en main les masses turbulentes. A la première assemblée constituante, j’avais plaidé pour une réforme administrative fondée en gros sur la modernisation des six wilayas, leur transformation en pôles de développement, en régions autosuffisantes et complémentaires. Ce sont des régions naturelles.
    L’Etat moderne est un Etat au service d’un peuple dont il garantit la liberté, le développement et la sécurité et en retour, le peuple est le garant de la pérennité de cet Etat, quand ce dernier repose sur la liberté de la société et des individus qui la composent.

    Aujourd’hui, avec le recul, je demeure convaincu que le combat contre la politique prônée par Ferhat Abbas, pour la solution du problème algérien, devait être mené. Et il est heureux qu’il l’ait été.
    Le Premier Novembre a éloigné ce passé avec ses clivages politiques. Mais c’est l’homme de ce passé qui est accueilli, au sein du FLN, par les hommes qui l’avaient combattu. Tous les dirigeants de première ligne de la révolution étaient, en effet, issus du PPA, son principal adversaire politique. L’événement n’était pas anodin et les contacts au début étaient un peu laborieux et prudents. Les retenues et les réserves étaient, peut-être, de la même nature des deux cotés. L’adhésion de Ferhat Abbas au FLN ne pouvait effacer d’un trait les traces d’un passé chargé de divergences politiques et idéologiques, mais aussi de préjugés et de séquelles de polémiques pas toujours heureuses.

    Mais l’adhésion de Ferhat Abbas était sincère, honnête et réfléchie. Il a su s’adapter à un milieu politique très différent de son itinéraire et de son expérience politique. Il a fait des efforts méritoires pour s’intégrer à ce nouvel environnement, l’accompagner, le comprendre. Il a même aidé à maintenir et à consolider sa propre cohésion. Son apport au combat de la libération était considérable et son rôle au sein des organismes dirigeants de la Révolution (CCE et GPRA) très important.

    Les contacts avec Ferhat Abbas ont commencé après l’installation de Abbane Ramdhane à Alger.

    Ce dernier me disait, en mai 1955, que ses contacts avec le leader de l’UDMA étaient encourageants et qu’il a été agréablement surpris par les dispositions de l’homme. Ces contacts entrepris par Abbane auprès des acteurs politiques, on l’a appris par la suite, préparaient le terrain à la tenue du Congrès de la Soummam qui a scellé l’union de toutes les familles du nationalisme algérien. Lors de ces assises, Ferhat Abbas et d’autres personnalités politiques d’horizons fort éloignés du PPA, ont fait leur entrée au Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA). Les décisions politiques et organisationnelles de la Soummam ont eu de grandes répercussions à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Mais cette ouverture politique provoqua des remous dans les sphères dirigeantes de la Révolution, notamment chez certains « historiques ».

    Selon Yves Courrière : « A Tunis, c’est Krim Belkacem et Mahmoud Chérif qui rencontrèrent le président Bourguiba dans sa villa d’été. » En Egypte, la mission d’annoncer la création du GPRA a été confiée à Toufik El Madani. Le lendemain, vendredi 19 septembre 1958, le GPRA a pris officiellement ses fonctions. L’annonce de sa création a été faite simultanément à Tunis et au Caire. Quatre pays ont reconnu ipso facto le GPRA. Il s’agissait de la Tunisie, du Maroc, de la Syrie et du Liban. Vingt quatre heures plus tard, c’était autour de l’Egypte de reconnaître le GPRA. Dans la foulée, l’Irak a suivi l’exemple égyptien. Désormais, chaque reconnaissance qui s’ajoutait à la liste était une victoire pour la diplomatie algérienne. Le dernier pays à reconnaître le GPRA était la France. « Mais le jour où le gouvernement français, écrit A.Mandouze, acceptera la discussion avec le GPRA, il reconnaîtra, par là même, l’existence de l’Etat algérien ».

    Pour conclure, il va de soi que la guerre d’Algérie ne pouvait pas se terminer sur une victoire militaire, que ce soit du côté français ou du côté algérien. Car le maquis algérien avait des réserves importantes pour remplacer les combattants tués au champ d’honneur. Aussi, avec un effectif atteignant un demi million de soldats, l’armée française ne pouvait pas être non plus anéantie. Il ne restait alors qu’un terrain où la victoire pouvait se décider : la diplomatie. Sur ce terrain, le GPRA avait une argumentation plus constructive en se battant pour la liberté et l’indépendance. Ainsi, l’Algérie avait réussi, en 1954, à poser le problème du statut de l’Algérie en portant les armes et à l’emporter, en 1962, grâce à la détermination de son peuple soutenant sans vergogne sa diplomatie incarnée par le GPRA.
    Nous avons non seulement le devoir, de les rappeler – afin que nul n’oublie, mais nous avons aussi le devoir de les confronter aux réalités d’aujourd’hui, de voir ce que ces rêves, ces valeurs et ces principes sont devenus… afin que là aussi, nul n’oublie !

    Ce que je vais vous dire aujourd’hui, j’ai déjà eu à l’écrire – en son temps – à mes camarades du CCE (Comité central élargi), la direction révolutionnaire de l’époque, dans un rapport que j’ai ultérieurement publié dans Guerre et Après Guerre :

    « La constitution du GPRA a été – dans le cadre de la révolution – la réalisation du rêve de plusieurs générations d’Algériens : le rétablissement de la Dawla, de l’Etat. »

    L’Algérie a été voulue par les Algériens comme un Etat représentant, incarnant, défendant les intérêts d’un peuple. Ceci est important à rappeler aujourd’hui.

    Face aux oligarchies de toutes obédiences, face aux clans et autres regroupements infra-politiques ou para-politiques qui squattent l’espace public en privatisant l’Etat, spoliant le peuple, défigurant la société et la déstructurant.

    Quelle question se pose aujourd’hui ? Est-ce que l’Etat voulu par des générations d’Algériens, par ce peuple qui a tant payé pour atteindre cet objectif est aujourd’hui bien incarné par le régime en place ?

    Pour pouvoir répondre à cette question, il faut peut-être en poser une autre : Est-ce que les nouvelles générations, les Algériennes et les Algériens qui sont nés dans cet Etat, l’Algérie ; l’Etat algérien, dont ont rêvé les générations précédentes ; cet Etat qui a été gagné de haute lutte grâce à la révolution, est-ce que les jeunes d’aujourd’hui considèrent cet Etat comme le leur ? Ou bien le régime en place l’a-t-il à ce point éloigné de ses missions originelles, c’est-à-dire incarner, représenter et défendre les intérêts du peuple dans la diversité de ses composantes qu’il en a résulté un recul désastreux auprès de notre population et notamment des jeunes dont la colère contre le régime, se transforme en rejet de l’Etat ?

    Quand on entend des responsables faire officiellement des procès en patriotisme à notre jeunesse, nous avons le devoir de leur rappeler, d’une part, quels étaient les principes fondateurs de l’Etat algérien et d’autre part, combien ils les ont bafoué !!

    Et combien ils continuent quotidiennement de les bafouer !!

    Qu’en est-il aujourd’hui de ces droits de l’Homme ? De ce souci de protéger notre population, nos jeunes, nos cadres et nos…soldats empêtrés dans la sale guerre ? Qu’en est-il aujourd’hui du droit à l’autodétermination du peuple algérien, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? On ne peut – par ailleurs – absolument pas évoquer la création du GPRA sans rappeler le Congrès de la Soummam, Congrès sans lequel la dynamique de l’unification des forces nationales n’aurait pas eu progressivement et rapidement la visibilité nécessaire à sa crédibilité ! Le GPRA s’est aussi inscrit dans ce souci de visibilité.

    Bien sûr, cette date du 19 septembre avec la célébration du GPRA amène à l’esprit toutes les luttes, les souffrances et les sacrifices consentis par le peuple algérien, par les femmes et les hommes qui le composent. Par respect pour la mémoire de ceux qui ne sont plus, par devoir envers les nouvelles générations et celles qui sont appelées à venir, il est peut-être vital, essentiel de rappeler le pourquoi et le comment du combat pour l’indépendance algérienne.

    Car il reste encore beaucoup de chemin à faire…

    Pour que l’Etat soit de nouveau l’incarnation des rêves d’un peuple et le garant de la défense de ses intérêts… Pour qu’il ne soit plus ce cauchemar qui fait fuir par milliers nos jeunes. Et les moins jeunes… Il est utile, voire vital de préciser certaines choses. Chaque lutte renvoie au contexte historique et à l’environnement international qui sont les siens. Il s’agit d’être clair sur les combats à mener aujourd’hui.

    L’Etat d’aujourd’hui n’est pas à confondre avec l’Etat colonial. Mais il s’agit également d’avoir la lucidité de voir que l’Etat algérien d’aujourd’hui confisqué par une caste prédatrice ne répond plus aux aspirations du peuple et de la société. Aux attentes de tous les Algériens et de toutes les Algériennes dans la diversité de leurs aspirations à la liberté et à la dignité.

    Faire œuvre utile en politique aujourd’hui c’est aussi expliquer en quoi l’Histoire, la nôtre, s’est appuyée sur l’esprit millénaire de résistance qui caractérise cette terre.

    Cette Histoire, pour se faire, s’est également appuyée sur les instruments de la modernité universelle.

    L’Etat moderne est un Etat au service d’un peuple dont il garantit la liberté, le développement et la sécurité et en retour, le peuple est le garant de la pérennité de cet Etat, quand ce dernier repose sur la liberté de la société et des individus qui la composent.

    Au moment de célébrer les espoirs soulevés par les victoires du passé, au moment d’évoquer, comme ce soir, les victoires sur le colonialisme, il ne faut surtout pas, en ces temps si durs pour notre peuple, il ne faut surtout pas oublier qu’avant de triompher du colonialisme, nous avions d’abord triomphé des limites qu’il était parvenu à imposer à notre audace autant qu’à notre action.

    La création du GPRA a été la concrétisation la plus politique et la plus manifeste de cette double victoire sur le colonialisme et sur nos propres limites. Le coup de force contre le GPRA a de ce fait consacré une terrible régression: il demeure non seulement le témoignage d’une illégitimité originelle. Mais il a aussi installé – pour ne pas dire réinstallé – la force brute comme seul mode de gestion de notre société.
    Dès lors, la crise actuelle tient moins à l’opposition entre deux visions différentes de l’exercice du pouvoir qu’à l’exacerbation d’une vieille crainte des décideurs algériens : celle de voir l’un d’entre eux, n’importe lequel, accaparer tous les leviers du pouvoir.

    La tragédie, c’est que jamais ce pouvoir n’envisage « l’Etat de droit en construction » et autres promesses qu’il nous ressasse de crise en crise sous un angle réellement politique, c’est-à-dire prenant en compte la société. Il préfère nouer et dénouer dans les villas des hauteurs d’Alger des alliances éphémères entre compères d’égale duplicité.

    Les Algériens, épuisés par la violence, la hogra et des conditions de vie infra-humaines, ne soutiendront quant à eux aucun des clans du pouvoir, sous quelque habit civil, militaire ou régionaliste qu’il se présente. Ils l’ont signifié en ne s’impliquant pas dans les jeux d’appareils. Ils l’ont également fait en ne tombant pas dans le piège qui voulait faire basculer la Kabylie dans un régionalisme ravageur opposant des Algériens entre eux.

    Et, pour l’heure, ils accueillent toutes les tentatives de leur faire croire qu’un clan leur serait plus favorable qu’un autre avec un scepticisme frondeur.

    On aurait toutefois tort d’y voir de la passivité ou une patience illimitée. Jamais les Algériens ne se sont sentis aussi démunis et humiliés. Jamais la jeunesse ne fut aussi désemparée, comme le nombre croissant de suicides en témoigne. Jamais, elle n’a autant manifesté pour des revendications aussi précises que légitimes. Jamais elle ne fut aussi indistinctement réprimée.

    En s’attaquant à l’enseignant comme au chômeur, au journaliste comme au sinistré, le pouvoir a réussi, d’Alger à Tamanrasset, à unir les Algériens contre une politique faite d’atteintes aux droits de l’homme, d’arbitraire sans limite et d’impunité face au crime organisé.

    Générant détresse morale et sociale, cette gestion ubuesque a ramené des maladies oubliées – peste, typhoïde, choléra, méningite… – dans un pays dont les dirigeants se glorifient de réserves en devises qui atteindront 31,66 milliards de dollars fin 2003, une aisance financière inégalée depuis l’indépendance…

    A l’approche d’une présidentielle qui ne mobilise que le pouvoir et ses clientèles, et alors que gronde la colère de tous les sinistrés du bateau Algérie, on ferait mieux de s’intéresser aux propositions de sortie de crise émises jusqu’ici.

    Et de prendre conscience qu’il y a beaucoup plus de sagesse et d’aptitude au pardon dans les chaumières algériennes que dans les allées du pouvoir. Je continue pour ma part de considérer comme incontournables la libération du champ politique par la fin de l’état d’urgence, la levée du monopole des clans sur la presse ou des entraves au dynamisme du mouvement associatif autonome…

    Les enjeux dépassent plus que jamais les considérations de personne, de région ou d’appareil. Nous ne pourrons faire l’économie de révisions déchirantes si nous voulons refonder l’Etat et la nation.

    Cela passe par l’élection d’une Assemblée constituante qui exige la mise en place d’un gouvernement de transition. Loin des fausses solutions, des faux dialogues, des manœuvres de sérail destructrices. Cela passe aussi par le respect des conventions et pactes internationaux signés par l’Algérie, notamment en matière de droits de l’homme et de protection des populations. Qui plus est au moment où le trop-plein de souffrance et d’épreuves provoque partout et sous toutes les formes manifestations et dissidence, signes d’une détermination nouvelle à ne plus accepter l’inacceptable.

    Dans ce contexte, les Algériens sont en droit d’attendre de la communauté internationale qu’elle cesse, au minimum, de cautionner un régime dont la seule légitimité réside précisément dans la reconnaissance internationale.

    C’est la seule manière d’éviter que l’Algérie sombre dans le chaos et que notre société continue à se disloquer. Une situation qui interdit toute unification du Maghreb, condition sine qua non d’un développement durable de cette région. Et de l’instauration d’un pôle de stabilité en Méditerranée.

    ’est en effet aux Algériennes et aux Algériens – et à eux seuls – qu’il appartient de reconstruire un Etat en lui donnant des fondements garantissant la séparation et l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la non utilisation de la religion à des fins de restriction des libertés, le respect de tous les pluralismes, l’égalité entre hommes et femmes, le respect et la promotion des droits de la personne humaine et un système politico – administratif consacrant la démocratie décentralisatrice et participative.

    La nouvelle Constitution, première à émaner de la volonté populaire marquera l’avènement historique de la 2e République.

    L’institution militaire, détentrice du pouvoir réel dans notre pays, est plus que jamais interpellée. Partenaire important de cette transition, elle doit s’associer à l’ensemble des étapes du processus et être garante du respect des engagements pris. Son retrait du champ politique doit être graduel et effectif.

    La communauté internationale doit être également présente, par le biais d’une représentation officielle du Secrétaire Général des Nations-Unies. Elle sera chargée de l’observation et, éventuellement, des bons offices, dès le début, et tout au long de ce processus historique mené par les Algériens, pour les Algériens en Algérie.

    En ce moment décisif, la responsabilité de chacun et de tous est immense. Les enjeux dépassent plus que jamais les considérations de personnes, de régions ou d’appareils. Il s’agit d’abord de sauver notre pays du chaos, de redonner confiance au peuple algérien et de mobiliser nos immenses richesses pour garantir l’avenir et le bonheur des générations montantes.

    Face à l’une des grandes puissances occidentales l’indépendance de l’Algérie fut une utopie pour les jeunes militants des années quarante. Cette utopie est devenue réalité. Une issue pacifique et démocratique est à notre portée, à plus forte raison dès lors que nous sommes aujourd’hui entre Algériens. Elle dépend de notre volonté politique commune.

    Aussi les Algériennes et Algériens soucieux de l’avenir de leur pays et de leurs enfants réalisent-ils qu’ils vivent ici et maintenant des moments décisifs de leur histoire nationale et internationale. Ils savent qu’Il n’y a pas d’autre issue au pourrissement politique avec ses engrenages d’horreurs de fléaux sociaux et de scandales banalisés en dehors d’un changement de cap démocratique crédible.

    Il s’agit en premier lieu de l’ouverture de l’Algérie vers elle-même, vers les citoyens et cela, sans paternalisme et sans manœuvres politiciennes ; elle implique évidemment une rupture visible et lisible avec les pratiques de la hogra mensongère, des manipulations et de la peur.

    L’autre impératif complémentaire sera l’ouverture de notre pays sur le monde. La conduite et les buts de notre politique internationale doivent répondre aux exigences de la transition démocratique pour assurer son succès. Une politique extérieure alternative qui doit encourager la globalisation de la solidarité et d’un humanisme libéré des raisons d’Etat et du mensonge.

    Grâce à cette dynamique les peuples des pays les plus pauvres écrasés par les dictatures pourront se libérer des régimes d’exclusion et de domination, et, en exerçant pleinement leur droit à l’autodétermination participer à la démocratisation des structures internationales et régionales dans tous les domaines, politique économique, social, médiatique et de l’information.

    Il s’agit de rompre la rupture diplomatique qui a plongé dans l’oubli la longue odyssée internationale que fut la conquête du droit du peuple algérien à l’autodétermination. Une façon de rappeler que ce phénomène révolutionnaire n’aurait pu avoir lieu sans la souveraineté ininterrompue exercée en pleine guerre par le peuple algérien.

    Chacune des reconnaissances successives du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) par la communauté internationale n’aurait pu se produire sans cette résistance souveraine permanente à la reconquête coloniale; ce phénomène d’auto-mobilisation de la société algérienne toutes catégories et tout âge confondus ayant en effet compensé l’absence de contrôle effectif du territoire national par le gouvernement en exil.

    Libre aux imposteurs de s’entêter à vouloir falsifier le passé pour le transformer en épopées mythiques d’un clan, d’un appareil ou d’un homme providentiel, mais ils ne peuvent gommer pour toujours cette réalité historique : la résurgence de l’Etat algérien est consubstantielle à la souveraineté collective et individuelle des Algériennes et des Algériens.

    Recentrer aujourd’hui  » le débat présidentiel  » sur l’obligation morale et politique de restituer à l’Algérie son droit à l’autodétermination ne va pas sans rendre hommage aux forces de paix et de solidarité qui avaient réussi à isoler les autorités coloniales de la communauté internationale et qui, de ce fait, avait favorisé l’avènement à Evian des négociations qui avaient abouti à une solution pacifique et démocratique.

    Pour l’heure, l’une de nos préoccupations extérieures est de négocier une meilleure insertion de notre pays dans un monde menacé d’une globalisation sauvage ; elle comporte un double défi :

    – Réaliser une forte intégration nationale, et parallèlement

    – Concrétiser l’intégration économique régionale par la construction d’un Maghreb démocratique.

    – Plus vite nous sortirons de la crise, plus sûrement nous donnerons une profondeur stratégique à nos options démocratiques et mieux nous placerons notre pays au cœur des combats que mènent la société civile internationale et les peuples du Sud en particulier pour jeter les bases d’un ordre mondial alternatif.

    L’Algérie pourra ainsi retrouver sa vocation en jouant un rôle d’avant-garde, de soutien, de consolidation et de réforme du système onusien. Il importe que l’opinion mondiale et la société civile internationale se mobilisent pour aider les Nations Unies à venir à bout du concept absolu de la souveraineté des Etats en vue de faire prévaloir le droit international et de faire respecter les Pactes des droits de la personne humaine ainsi que les Conventions humanitaires.

    Et c’est dans la mise en œuvre de cette alternative globale que se situe précisément la responsabilité historique commune des algériennes et des algériens.

    Née dans une violence qui lui a été imposée par la colonisation, l’indépendance s’est construite autour d’une violence que lui ont ensuite imposée des militaires hostiles à toute forme d’expression et d’organisation de la société. Se posant avec brutalité en tuteur permanent du peuple, le pouvoir a dilapidé les chances de la nation de se constituer sur des bases démocratiques. Et ce, alors que la démocratie demeure en Algérie bien plus qu’un choix de société : la seule façon de dépasser nos archaïsmes et la propension de bien des élites à préférer les situations de rente aux risques inhérents au combat contre la dictature. Il en est résulté le règne du clientélisme, du népotisme, d’une prédation à ciel ouvert, des fraudes électorales, de la répression et des crimes d’Etat.

    Pour nous, Algériens, l’heure est venue de tirer ensemble les leçons de notre histoire, de nous écouter les uns les autres par-delà les différentes chapelles, de débattre de nos échecs pour rendre une actualité aux idéaux de Novembre et trouver les conditions de leur réalisation.

    C’est la seule garantie pour éviter une véritable bombe à retardement : la dislocation d’une majorité de la société exclue de toute retombée de la manne pétrolière et gazière. C’est l’unique voie pour soustraire le Maghreb à une instabilité permanente nourrie par l’absence de volonté réelle de réduire les tensions régionales qui empêchent tout processus d’intégration de nos pays.

    Il est décidément temps de procéder à la seule réconciliation qui vaille : celle d’Istiqlal et Houria.

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