C’est après avoir lu « Le grain magique », le récit d’enfance de l’écrivaine Taos Amrouche que je me suis résolu à écrire la chronique d’aujourd’hui.

En effet, nul d’entre nous ne peut nier aux contes anciens cette incroyable puissance de résister à tout. C’est-à-dire à la douleur de l’abandon du bercail, la séparation des nôtres, la fuite du temps, l’oubli, la distance, l’exil…, la mort. Les contes sont, en effet, cette machine fantastique qui réinvente le passé et nous fait rêver l’avenir. D’autant qu’ils nous protègent par leur magie nutritive et leurs morales de la solitude, l’ignorance des autres, le désordre des choses, la méchanceté du monde…

Qu’il est fascinant lorsqu’une mémoire se rafraîchit dans ces rigoles, combien ruisselantes, des rêves nocturnes et que les bougies illuminent des pans entiers des visages des membres de la famille plongés dans le noir, autour du kanoun traditionnel, conduits par le seul éclat des yeux et le calme olympien régnant sur leurs cœurs à cette voix, du reste à peine audible mais douce du père, de la mère ou des grands-parents, relatant l’épopée mythique de l’aguellid numide Jugurtha. Ce « Yougar’ithen » (l’homme qui les dépasse tous) ne faisait-il pas des duels avec les lions ? N’effrayait-il pas, viril et courageux, ses ennemis, en répétant, non sans fierté, au traître Bocchus et ses comploteurs Romains sur son chemin au Tullianum (la prison où il aurait péri à Rome) que « vaut mieux rompre que de se plier » ? Quelle belle leçon de l’histoire pour tous ces peuples de l’Afrique du Nord ayant tenu la dragée haute aux colonisateurs!

Et puis, vient ce moment crucial du conte où les vannes de la sensibilité nous imbibent à foison, embruns d’un passé où l’on s’imagine à la place des héros, tutoyant les cimes de la gloire et exauçant les plus inaccessibles de nos envies. On lâche nos chimères au vent, unis par la beauté de ces paroles qui rentrent une après l’autre dans nos oreilles, serties comme autant de pépites d’or sur un collier.

Bref, on passe pour d’incorrigibles naïfs qui dévorent des chapelets de fantasmes et de rêves sous les étoiles, près des cheminées crachotantes ou des braseros bien pleins. Ainsi part-on en croisière onirique au pays des Mille et une Nuits, Ali Baba, Djeha, el-ghoula (l’ogresse) et ses petits, etc. On s’éloigne vite dans les plaines de l’imaginaire, on court, on exulte, on s’évade en quête de nouvelles sensations, riant et gazouillant, avides d’entendre cet insondable murmure du monde. Cela nous ouvre d’autres horizons, nous permet d’emprunter les sentiers du temps, explorant tous leurs trésors enfouis et contemplant les myriades d’astres qui veillent sur nos nuits. Le rêve est alors cet oiseau du bonheur qui déploie ses ailes dans notre ciel, plane sur le toit du foyer, arrose comme une fontaine fraîche nos têtes de tas d’aventures.

C’est le paradis des délices et des merveilles, mon Dieu ! On y chante, danse, bouge nos émotions et nos corps, crie nos joies, cuisant de copieuses pitances d’utopies dans nos esprits et mordant dans la chair molle de l’espérance. Qui plus est, s’enfonçant plus loin qu’à l’ordinaire dans les secrets de l’âme humaine sous l’odeur enivrante des fagots de bois et la chaleur hospitalière du feu qui les entame. Quelle est belle cette image des flammèches rougeoyantes qui crépitent, comme régurgitant nos émois à chaque halte du conte, chaque respiration, inspiration ou déclinaison de la voix parentale, chaque quinte de toux parmi la marmaille,…chaque silence accompagnant les escales de ce transport fougueux, le nôtre, dans le vaste univers de la fantaisie ! Qui n’aimerait-il pas y retourner vite ? Nostalgie quand tu nous tiens !

Kamal Guerroua
22 janvier 2017

Un commentaire

  1. Courage
    Je ne pense pas que la première qualité d’un dirigeant soit le courage physique dont se gargarise l’auteur de l’article. Ce serait plutôt la lucidité et la vision à long terme. Jugurtha n’a pas su agir avec le puissant voisin, la Rome républicaine que Massinisa avait contribué à installer en Afrique du Nord en trahissant Carthage.
    Peut-être était-il trop tard déjà?
    Toute l’Afrique du Nord baignait dans la civilisation punique comme la péninsule italique dans la civilisation romaine.
    Il est besoin de rappeler, contre l’historiographie coloniale qui a privilégié la domination romaine et son avatar le christianisme représentée paradoxalement par le punique Saint Augustin, que la civilisation carthaginoise a continué à briller à travers sa langue adoptée par les royaumes autochtones jusqu’à leur fin décidée par Rome.
    L’histoire n’à que faire des contes et exprime le dur labeur des peuples qui ont décidé d’être acteur de leur destin et non de simples sujets.
    Il faut attendre l’islamisation et l’arabisation de l’Afrique du Nord devenue le Maghreb pour qu’enfin ce soit pour la première fois le cas de notre région.

    L. Dib

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