Usant du merveilleux privilège d’être un simple citoyen algérien, et donc, totalement exonéré de l’hypocrisie d’un quelconque devoir de réserve, je voudrais vous dire, M. l’Ambassadeur de France, que s’il n’est nul besoin d’être grand prêtre, si je puis dire…, pour discerner le sens informulé de votre « pèlerinage » à l’Ermitage du Père Charles de Foucauld près de Tamanrasset, il est encore plus aisé de gager qu’il s’agit-là, la divine coïncidence du calendrier aidant, de la réponse du berger à la bergère, le gouvernement algérien en l’occurrence, qui osé ou feint d’oser, se mettre en colère… ; chose impensable, convenez-en, de la part d’un gouvernement vassalisé ! Surtout en ces temps de néo féodalisme inter étatique… Et pour tout vous dire, en ces temps de triomphalisme arrogant de la « Françalgérie », pour paraphraser le titre d’un livre célèbre que vous avez certainement dû lire et même relire, avant de rejoindre votre poste à Alger…

Divine coïncidence du calendrier disé-je, puisque nous sommes en cette année de Grâce – et de Valls…, de l’An 2016, où l’on nous rappelle que c’est aussi l’année du Centenaire de la mort, toujours controversée par ceux qui veulent faire accroire à l’opinion française, que cette mort violente, n’est pas directement liée à son statut d’«honorable informateur» de son ami et camarade de Saint-Cyr, le Général Alphonse Laperrine… Un statut que vient de confirmer votre propre pèlerinage au demeurant, alors que vous êtes censément le représentant d’un pays qui proclame sa laïcité à tout bout de champs… Une laïcité qui prend de plus en plus les allures dans votre pays, M. l’Ambassadeur, d’un véritable instrument institutionnel à sens unique, pour stigmatiser l’Islam. Et rien que l’Islam…, la méthode du Père Charles de Foucauld, ayant lamentablement échoué.

Jugez-en vous-même, à travers deux extraits rapides, de ses correspondances avec Madame Marie de Bondy, sa protectrice :

« Les instruire, les civiliser, et enfin, quand ils seront des hommes (sic) en faire des Chrétiens : Avec les Musulmans, on ne peut pas d’abord en faire des Chrétiens, et civiliser ensuite. La seule voie possible est l’autre, bien plus lente : instruire et civiliser d’abord, convertir ensuite… ». Lettre datée du 4 Juin 1908.

« Il y aura demain dix ans que je dis la Messe à Tamanrasset, et pas un seul converti ! Il faut prier, travailler et patienter. » Lettre datée du 7 Septembre 1915.

(in – « Vie de Charles de Foucauld », par Jean François Six, Ed. du Seuil, 1962)

Abdelkader Dehbi
5 mai 2016

3 commentaires

  1. Abû al-Atâhiya on

    Tant d’exemples à méditer
    Cher Abdelkader,
    Bien sûr, c’est à l’utilisation politique du personnage Charles Foucauld que vous vous en prenez, pas à la personne même de cet homme qui s’est converti en missionnaire pour s’installer dans notre pays, se livrer à une expérience qu’il ne pouvait mener sur les terres de France qui en avait pourtant bien plus besoin que les berbères du désert. Il avait tout à fait le droit de profiter de cette liberté que lui donnait le colonialisme, puisque, après tout, il était aussi chez lui , en Algérie ou sur toute l’étendue du Maghreb, puisque la puissante France, maîtresse de nos terres, lui en donnait le loisir. Je dirais donc que cela ne me dérange pas qu’il ait essayé, car son échec nous donne une énième preuve de la résilience de l’islam. Foucauld lui-même mérite tout notre respect, comme un guerrier honore son ennemi. car en ne nous tuant pas, son expérience a prouvé notre puissance, en dépit de notre dénuement.
    S’il avait lu le passage suivant d’Ernest Psichari, neveu d’Ernest Renan, il aurait surement évité de  »perdre son temps » dans l’environnement berbère.
    Psichari est un homme qui a vite connu le succès en tant qu’écrivain français. il fut envoyé en Mauritanie, pour son service militaire, je crois,. En rentrant en France, il publie le Voyage du Centurion où il relate sous forme romancée son expérience coloniale.
    Dans le passage suivant il raconte comment son héros, Maxence en voulant impressionner les Maures les invite à contempler les progrès de la France qu’il voulait chrétienne, en les conduisant sur le lieu où  »civilisation » française venait d’installer les premiers pylônes de télégraphe dressés pour la première fois dans les régions désertiques. En fait d’impression, il obtint une réponse qui le cloua de stupéfaction. En somme, on lui dit:  »Vous avez le dounya, nous avons Dieu… ». Cette réponse est bouleversante.
    Du reste, je pense que s’il avait vécu plus longtemps, Foucauld n’aurait pas eu d’autre choix que d’adhérer à l’islam. Quant à Ernest Psichari, il fut rappelé et envoyé au front de la première guerre mondiale, où il sera tué, à l’âge de 30 ans, en 1914, deux ans avant la mort du  »Père Foucauld ». Pauvre France qui sacrifia bêtement des millions de ses jeunes…

    « Ce jour-là, en revenant vers le poste, Maxence admirait, au-dessus des gravats desséchés de la presqu’île, les quatre grands pylônes de la télégraphie sans fil. Il se considérait, Français, hautement possesseur de ce sol, et, au delà, par ces mâtures métalliques recueillant les nouvelles du monde, il prenait mesure de toute la terre. Et, dans l’enivrement de cette incomparable royauté : « Venez… », dit-il aux Maures. Des étincelles remplissaient l’espace d’une petite pièce vitrée où l’on apercevait la confusion ordonnée des fils dans des tremblements de cuivre. Sous un hangar voisin, un moteur battait le sol, et le bruit sourd parti de là se mêlait aux détonations formidables de la lumière. « Voyez, disait Maxence aux soldats, quelle est la folie des Maures qui veulent résister aux Français. Est-il, à travers le monde, une puissance 115 comparable à la nôtre ?… » Et c’est alors que fut dite – d’une voix douce et lointaine – la conclusion : [b]« Oui, vous autres, Français, vous avez le royaume de la terre, mais nous, les Maures, nous avons le royaume du ciel… »[/b] Maxence regarde Sidia, la souffrance aiguë le saisit, un « oh ! » s’étouffe sur ses lèvres. Mais à quoi bon répondre, et que répondre ? Il n’est pas autre chose en lui que l’explosion silencieuse de la tristesse… Ô Maxence ! cette parole ne s’effacera plus et ce regard hautain ne cessera pas de peser sur toi, qui baisses les yeux et qui te tais. En vain tu balbutieras : « Ce n’est pas vrai… » Où que tu ailles désormais sur la terre des vivants, la voix intérieure te répondra : « Oui, le royaume de la terre est à toi. Toute la science humaine est à toi. Toute la pensée humaine est là, dans le creux de ta main et il n’est point de système que tu n’aies pesé, point de cité dont tu n’aies fait le tour. Tout ce qui peut être mesuré dans la nature a été mesuré par toi. Tout ce qui peut être réduit sous la puissance de l’homme, tu l’as fait tien et 116 tu lui as imposé la marque de la servitude. Mais le royaume céleste qui ne se pèse ni ne se mesure, ce royaume-là ne t’appartient pas. La cité de Dieu, qui n’est pas faite avec des pierres, mais avec les mérites de tous les saints, cette Jérusalem du ciel t’est fermée. Tu es limité dans la proportion humaine, et de l’homme à l’homme, tu sais tout. Mais de l’homme à Dieu, de l’ordre visible à l’invisible, du naturel au surnaturel, de l’accident visible à la substance invisible, c’est à peine si tu as posé la mystérieuse équation, et le terme connu à côté de l’inconnu… » (Psichari, Ernest, (1884-1914) [b]Le Voyage du Centurion[/b], Chapitre V, page 115 et 116)

    Les exemples du genre sont nombreux. wa fî hâdha kifâya…

    Lien pour le texte PDF du roman d’Ernest Psichari:
    https://beq.ebooksgratuits.com/vents/Psichari_Le_voyage_du_centurion.pdf

  2. Abdelkader Dehbi on

    RE: En toute franchise, à Monsieur l’Ambassadeur de France à Alger, Bernard Emié
    Juste merci pour ce « complément » documenté sur la « folie » évangélisatrice d’une France coloniale, que les prétendues « Lumières » d’un intégrisme laïque n’ont pas réussi à éclairer sur la question fondamentale en métaphysique : Dieu.

  3. A la recherche du temps perdu
    L’ambassadeur de France en Algérie, Bernard Emié ne s’est pas seulement rendu en pèlerinage au sanctuaire du soldat déguisé en ermite mais s’est aussi rappelé que la France coloniale est la créatrice du berbérisme en Algérie et que la France d’aujourd’hui doit faire son possible pour maintenir cette vacillante flamme en promettant prébendes et avantages.
    En effet si l’on croit ce que rapporte le site Algérie1.com:
    « L’ambassadeur de France en Algérie, Bernard Emié, a indiqué, mardi à Tizi Ouzou, que 60% des visas délivrés par son ambassade aux Algériens bénéficient aux habitants des wilayas de la Kabylie et que 50 % des étudiants algériens en France sont issus de cette même région.
    Le diplomate français s’exprimait, devant les autorités locales et des députés, à Tizi Ouzou où il était arrivé en fin d’après-midi pour une visite, alors que la presse était tenue à l’écart de cet événement.
    Il n’a pas manqué également de relever que la grande partie de la coopération universitaire entre l’Algérie et la France se fait entre l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou et celles de son pays. »
    A la recherche du temps perdu en quelque sorte…

    L. Dib

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