2001: éclats du terrorisme à New York. 2011: éclats des printemps arabes en Tunisie, Lybie, Egypte, Syrie. 2015: éclats des guerres au Moyen Orient et en Ukraine. Echec de la guerre contre le terrorisme en Afghanistan, en Lybie, en Irak et en Syrie. Echec des sanctions économiques contre la Russie. Succès des groupes terroristes dans l’instauration de la terreur et la mainmise sur les ressources énergétiques et alimentaires. Protestations des dirigeants politiques occidentaux. Conférences internationales de vaines protestations.

Face à l’état dramatique des populations des Etats faillis ou défaillants, les dirigeants occidentaux adoptent une incontestable stratégie d’incohérence: par incompétence (I) et par arrogance (II).

I. La stratégie d’incohérence, résultat de l’incompétence des responsables politiques

La méconnaissance des cultures des pays en conflits

Cette méconnaissance est certainement la pierre angulaire de l’incompétence des dirigeants politiques. Elle provient d’une connaissance simpliste du monde extérieur modelée en grande partie par les médias d’information et de communication- presse écrite et télévisée, réseaux Internet. Elle est le résultat d’informations bien souvent unilatéralisées, déformées pour valider l’interprétation de leurs auteurs : une photographie et une interview choisies à dessein ont plus d’impact sur les esprits que de longues analyses. Elle provient d’une simplification des faits et des situations destinée à convaincre les plus hésitants du bien fondé des décisions et des actions internationales. Elle empêche de découvrir avec sérieux la géographie, l’histoire civilisationnelle, la religion dominante, l’économie, la démographie, les usages, les comportements humains.

La méconnaissance des cultures des pays en conflits est le résultat d’une interprétation à travers le prisme de la culture occidentale supposée être la meilleure. Elle est liée à une méfiance vis- à- vis de groupes ethniques mal connus, de religions et de modes de vie différents. Au nom d’une démocratie universaliste, elle s’ouvre sur une critique virulente et un rejet des institutions politiques des Etats en déshérence.

La méconnaissance des acteurs et des enjeux des pays en conflits

Cette méconnaissance est une donnée d’importance. Elle naît de la critique exacerbée du régime politique et des institutions des Etats fragilisés. Elle gomme le poly- ethnisme, le pluri- confessionnalisme, voire le pluri- culturalisme à l’origine de la construction de ces Etats. Par incompréhension, elle se heurte aux dirigeants des Etats défaillants ou faillis, qui appliquent souvent plus efficacement la laïcité que les Etats occidentaux. Elle se complaît dans la condamnation pour autoritarisme du chef de l’Etat, fédérateur impénitent par le droit et par la force. Elle en oublie sa réussite à travers le développement progressif et effectif des droits humains et de l’économie générale dans le pays, à l’instar de la Syrie d’avant 2011.

La méconnaissance géographique des territoires en conflits se révèle dans le vide économique de l’approche internationale. Elle s’accroche déjà, avec justesse, aux spécificités religieuses, tout particulièrement à l’Islam fondamentaliste et à son objectif de domination mondiale. Elle en oublie les réalités économiques pratiques. Elle semble incapable de lire la cartographie des conquêtes territoriales. En Irak, en Syrie, en Lybie, au Nigéria, elle ferme les yeux sur le contenu des zones occupées par les groupes terroristes : les champs pétrolifères et gaziers, les raffineries. Elle ne fait pas grand effort pour découvrir les acheteurs du pétrole extrait chaque jour- ce qui lui permettrait d’identifier en partie les supporters de la cause terroriste. En Ukraine, elle a les yeux rivés sur les forces russes, plutôt que sur les réserves minières et hydro- énergétiques de la partie orientale. En Afghanistan, elle lutte contre les talibans, sans vérifier l’importance des ressources minérales dans les territoires sous leur domination. La méconnaissance économique des pays étrangers est à l’origine des incompréhensions et des interprétations défectueuses des situations économiques et politiques des Etats en guerre.

II. La stratégie d’incohérence, imposée par l’arrogance des responsables politiques

L’empire des certitudes

Les hommes et femmes politiques occidentaux ont la prétention peu commune d’être des démiurges et de maîtriser le monde par l’exercice de leurs pouvoirs. Ils estiment en avoir la capacité grâce aux connaissances acquises dans les grandes écoles du pouvoir- Eaton, ENA, John Kennedy School, MGIMO. Ils en oublient les réalités pratiques, alors que les connaissances acquises devraient leur ouvrir les yeux sur le monde en mouvement. Ils s’affirment sur la scène mondiale grâce à leur don d’ubiquité : aujourd’hui à Paris, demain à Genève ou à Minsk, après- demain à la tribune des Nations Unies à New York ou devant le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement à Bruxelles. Ils s’imaginent connaître le monde avec leurs magiques bottes de sept lieues aériennes et leurs déclarations péremptoires dans les médias. Ils sont malheureusement peu crédibles, se contentant de répéter très doctement les mêmes discours, certains de pouvoir dicter son destin à la planète. Ils restent les acteurs d’une diplomatie plus proche du Congrès de Vienne du XIXe siècle que de la communication Internet du XXIe siècle.

Les dirigeants occidentaux ne prennent en compte les analyses de leurs conseillers, que lorsqu’ils valident leurs options de guerre ou de paix. Ils s’efforcent d’appliquer leurs médications aux pays en conflits, qui n’attendent nullement leurs intrusions politiques ou militaires. Ils prescrivent en particulier une bonne dose de démocratie à l’occidentale, même si, chez eux, elle cesse d’être un modèle de pureté citoyenne. Ils exigent l’élimination des actuels dirigeants politiques des Etats en déshérence, pour apparaître les archanges d’un monde de paix. Ils oublient de réfléchir auparavant à leur remplacement, à peine de créer le chaos et de développer la guerre civile en Lybie, Irak ou Syrie. Ils veulent installer de nouvelles institutions de type parlementaire, véritable gageure dans des Etats en guerre fratricide. Ils donnent l’impression de vivre dans un monde irréel, jouant de décalcomanies politiques malheureusement totalement inadaptées aux dramatiques situations conflictuelles.

La pire des attitudes

Sûrs de leurs analyses, les dirigeants occidentaux se lancent dans la leçon de choses. Ils décident de faire plier les forts, en l’occurrence les chefs d’Etat abhorrés après les avoir adulés- le libyen Kadhafi installé dans les jardins du Paris historique, le syrien Al Assad invité au mythique défilé du 14 Juillet à Paris ou encore le russe Poutine entouré d’égards. Ils les vouent aux gémonies, espérant une autre voie pour ces pays étrangers, dont ils connaissent si peu et si mal les ressorts profonds. Ils sont les éternels donneurs de leçons, les parangons de vertu politique. Ils sont les acteurs de l’insoutenable légèreté diplomatique, se contentant de compter les morts et de fustiger leurs auteurs, sans rechercher l’efficacité politique et militaire pour arrêter les conflits sanglants. Ils sont de véritables illusionnistes de la paix dont les tours de fausse magie ne font plus rire personne. Ils exacerbent plus les passions belligènes qu’ils ne les apaisent, sous prétexte de les conduire vers une illusoire paix démocratique. Ils attisent les haines inter- religieuses, inter- ethniques et sociales dans des pays en souffrance. Par leur insolent mépris des réalités, à l’inverse de leurs vœux pieux, ils favorisent la guerre et font échec à la paix.

Emplis de certitudes sur la bonne marche du monde, ils apportent leur soutien déclaratoire aux faibles, aux opposants voire aux ennemis des Etats défaillants. Ils donnent l’illusion de choisir le bon camp, sans se soucier de vérifier la validité politique de ces acteurs improvisés. Ils apportent leur soutien aux promoteurs orientaux de la démocratie et des droits de l’homme en vogue en Occident. Franchissant un pas de plus, ils discourent en leur faveur sur la scène européenne à Bruxelles et sur celle des Nations unies à Genève ou New York. Ils sont plus lents à apporter un soutien militaire par l’envoi d’armes voire de conseillers techniques et inopérants pour l’aide humanitaire. Ils franchissent une étape en participant à des coalitions militaires contre les forces terroristes destructrices. Par une étrange volonté, ils s’allient avec des Etats qui financent à la fois les forces terroristes du fondamentalisme islamique et la dette des pays occidentaux. Ils comprennent mais un peu tard le piège qui se referme sur eux : soit défendre les régimes abhorrés en place, soit soutenir l’opposition avec des moyens militaires. Ils doivent admettre l’inanité de leurs démarches diplomatiques et l’apogée de leur stratégie d’incohérence face à la paix et à la sécurité internationale.

Les dirigeants politiques occidentaux appliquent inconsciemment leur stratégie d’incohérence. Ils oublient peu à peu leurs déclarations péremptoires prononcées en 2010/ 2012 contre tel régime politique ou en faveur de telle population. Ils trépignent pour mettre fin aux combats qu’ils attisent par leurs interventions politiques et militaires. Ils veulent imposer aux Etats défaillants un régime politique idéal, sans bien mesurer son caractère illusoire car totalement inadapté. Ils sont submergés en 2015 dans leurs propres pays par les flux d’immigration qu’ils ont indirectement suscités. Ils sont inquiets de la transnationalisation des conflits par des groupes terroristes désireux de créer un Etat religieux universel, mettant en péril le fragile équilibre du monde établi en 1945. Ils redoutent l’exportation des actions terroristes depuis les zones de combat vers les villes européennes. Ils sont les héros inutiles de la stratégie d’incohérence qui, au XXIe siècle, conduit à l’échec de la paix.

Yves Jeanclos
Huffingtonpost.fr
14 novembre 2015

Yves Jeanclos est docteur d’Etat en Droit/ Paris II, agrégé de droit et professeur émérite. Il est l’auteur de Démocratie ou démogachie, l’art de gouverner au XXIe siècle Ed. Economica, paris, 2014.

Source: http://www.huffingtonpost.fr/yves-jeanclos/maintien-de-la-securite-internationale_b_8540744.html

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