Nous sommes tous, la personne humaine en général, des dictateurs potentiels. Si nous ne le devenons pas effectivement, c’est parce que l’occasion ne s’est pas présentée tout simplement. C’est-à-dire que nous ne le devenons pas par manque d’occasion et impuissance et non par abnégation et grandeur d’âme, et dès lors que l’occasion se présente, une alchimie magique se met en branle pour nous transformer en dictateurs zélés soucieux de rattraper le retard. Nous devenons ce que nous n’avons de cesse condamné.

Etre dictateur n’est ni une aberration de l’histoire ni un accident de parcours ; c’est dans la nature même de la personne humaine et de son cheminement. Il n’y a qu’à remarquer nos comportements avec ceux qui sont en « dessous de nous », ou sous notre responsabilité tels que nos enfants et nos subalternes au travail, pour comprendre l’arrogance et le mépris des dictateurs envers leurs « sujets », ce qui confirme le fameux adage « un dictateur sommeille en chacun de nous ».

Connaitre cette nature de l’homme est indispensable pour déterminer la nature du travail de changement qui doit être fait pour parer à ces situations et faire en sorte que si dictateur il y a, il ne doit pas rester, et si un dictateur tombe, un autre ne puisse pas le remplacer. C’est-à-dire « éradiquer » ce fléau en asséchant le terreau dans lequel il s’implante. A commencer par ne pas être des sujets de ces dictateurs et par refuser la « normalisation » de la dictature, sous quelques prétextes qu’ils soient. Refuser le troc des libertés et de la dignité par n’importe quel argument qui nous vend la primauté de la sécurité et la pseudo-prospérité. Refuser tous marchandages qui nous miroitent des intérêts personnels étroits et égoïstes contre le malheur d’autrui, et encore moins accepter cet argument shaylokien qui nous « impose » d’accepter et de soutenir le « dictateur juste et illuminé », comme si cette colocation ne symbolise-t-elle pas à elle seule tout le drame de l’asservissement de l’homme par l’homme en invoquant des arguments faussement religieux.

On peut tous se transformer en un laps de temps record en dictateurs, croyez le bien. A cet effet, une expérience riche en enseignement a déjà été faite pour montrer de quoi est capable « l’homme ». Cette expérience consistait à partager un groupe de « sujets » entre geôliers fictifs et prisonniers présumés, les uns en habit et matériel de geôlier, les autres en haillons de prisonniers, sans que ni les uns ni les autres n’aient jamais été ni geôliers ni prisonniers. Au bout de quelques semaines à peine, cette alchimie d’expérience humaine a fait des uns de véritables monstres du seul fait de leur tenue et de la matraque dont ils disposaient pour traiter les sujets sous leur « commande », et a fait des autres de véritables loques impuissantes et soumises. La même expérience a été refaite en inversant les rôles et a abouti aux mêmes effets. Ceci pour montrer le rôle et l’impact des conditions ambiantes et du miracle qu’elles peuvent réaliser.

Cette expérience faite autour du binôme geôlier/prisonnier, s’applique au dictateur/sujet. Il suffit d’alterner le rôle pour réaliser qu’il ne suffit pas de condamner le dictateur, ni même le mettre en état de nuire, car en laissant les choses en l’état, on assistera impuissants au remplacement inéluctable d’un dictateur par un autre, qui peut se targuer de révolutionnaire, de réformateur, de technocrate et tous les étendards possibles, mais qui se confirmera avec le temps comme dictateur encore plus impitoyable.

En conclusion, combattre les fondements de la dictature qui font le terreau de cette dernière prime sur le combat de la personne dictateur, qui tout comme un germe, bon ou mauvais, ne saurait proliférer sans son milieu ambiant. Et si on ne peut rien faire contre l’existence de la personne dictateur qui constitue la nature même des tentations de l’homme, on peut par contre lutter contre la pérennisation de la dictature, en luttant contre ses éléments constitutifs, parmi lesquels les flatteurs, les flagorneurs, les opportunistes, les esprits geôliers et tous ceux qui permettent aux dictateurs de gouverner.

Rachid Ziani-Chérif
10 novembre 2015

Un commentaire

  1. مسعود on

    les peuples eux-mêmes qui créent la dictature
    Je suis arrive a une conclusion, comme beaucoup d’autres, que souvent c’est les peuples eux-mêmes et bien sur l’entourage qui créent la dictature et les dictateurs. Quand on traite un responsable comme une autorité divine et infaillible, comme le sauveur et le leadeur suprême, c’est une invitation ouverte de la dictature. Les exemples sont nombreux dans l’histoire ancienne et contemporaine.

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