En Algérie, les générations se succèdent sans qu’il y ait de ressemblance entre elles. Ainsi, à l’approche du 61ème anniversaire, une question lancinante se pose : comment se fait-il que le pays qui a accompli l’une des plus grandes œuvres du XXème siècle se retrouve, soixante et un ans plus tard, à la croisée des chemins ? Pour répondre à cette interrogation, un seul point sépare ces générations : l’engagement politique pour une cause générale.

En effet, bien que le système colonial ait écrasé sans vergogne le peuple algérien, l’engagement politique a fait naître chez les militants indépendantistes une conscience nationale. Malgré le recours aux armes, il n’en reste pas moins que les allumeurs de la mèche étaient avant tout des militants. Avec tous les défauts et les insuffisances de leur organisation, cette génération a pris ses responsabilités en engageant le combat libérateur et en menant le bateau Algérie à bon port.

Hélas, la longueur du conflit a fait émerger des responsables peu scrupuleux. Du coup, à la veille de l’indépendance, tous les dirigeants politiques qui ne se soumettent pas à l’autorité de Houari Boumediene, chef d’État-major général de l’armée des frontières, sont systématiquement écartés. Les alliés de circonstance, à l’instar de Mohammed Khider, Ferhat Abbas, Ahmed Ben Bella, le seront chacun à son tour.

Toutefois, tant que les Algériens ne renonçaient pas à l’engagement politique, l’espoir de voir se concrétiser le rêve de novembre 1954 demeurait permis. Ainsi, bien que les régimes successifs aient usé de la force et de l’intimidation, le projet, initié en novembre 1954, en l’occurrence l’instauration d’un véritable État démocratique et social, avait les chances d’aboutir.

Malheureusement, c’est au moment où l’Algérie s’engage sur la voie du pluralisme politique que ce projet est enterré à la suite de la tragédie des années 1990. Et paradoxal que cela puisse paraître, des Algériens justifient encore, 24 ans après l’arrêt du processus électoral, le coup d’État ayant mis fin au rêve de novembre 1954.

Cependant, il faut rappeler que les vainqueurs des élections législatives de décembre 1991 n’étaient pas les chantres de la démocratie. Dans un de ses discours, Ali Belhadj ne disait-il pas que « celui qui gouverne au nom de Dieu ne peut pas être remis en cause ». Bien qu’en démocratie le choix majoritaire doive être respecté, force est de reconnaitre que cette annonce est en contradiction avec l’esprit de la proclamation de novembre 1954.

Aujourd’hui, il existe un gouffre entre la classe politique et la population. Pour peu qu’on ne verse pas inutilement son sang, cette population meurtrie renonce à son droit de contrôler ceux qui gouvernent en son nom. De leur côté, les dirigeants savent qu’une élection libre leur serait  fatale. D’où l’organisation des élections contrôlées.

En outre, alors que dans tous les pays la jeunesse constitue un espoir et un gage de développement, la nôtre préfère « affronter la mer que de rester au pays », pour reprendre l’expression de feu Mohammed Mechati.

En guise de conclusion, il va de soi, en l’état actuel des choses, que la promesse de novembre 1954 est loin d’être concrétisée. Car, si tel n’était pas le cas, les dirigeants ne se battraient pas pour conserver le pouvoir. De la même manière, on aura la séparation effective des pouvoirs et le respect du choix des Algériens. Hélas, sur ce dernier point, les Algériens ne sont pas d’accord entre eux. Entre ceux qui veulent imposer le système autoritaire et ceux qui veulent imposer l’islamisme politique, dans le sens où l’entend Ali Belhadj, la minorité qui aspire à l’idéal de novembre 1954 ne pèse pas grand-chose.

Boubekeur Aït Benali
29 octobre 2015

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