Chère Marie-Simone,

Je t’écris cette petite lettre parce qu’en plus d’être profondément affecté par le drame du viol collectif commis à ton encontre en ce début d’octobre par des jeunes délinquants à Oran et le refus du commissariat de cette ville d’enregistrer ta plainte sous prétexte que tu es chrétienne, je me sens en devoir d’être  entièrement solidaire avec toi dans ta souffrance. Je sais bien que la torture de l’indifférence est la pire punition que puisse subir un être humain sur terre. Et j’imagine bien la brûlure que pourrait provoquer ce supplice-là dans la conscience s’il était accompagné  comme dans ton cas d’impunité. Douleur d’une femme violentée, humiliée, jetée en pâture à la sauvagerie d’hommes en furie et privée, comble des horreurs, de son droit légitime de «porter plainte»! Or comme dans mon pays la réalité dépasse largement la fiction, le malheur des autres devient d’une banalité telle que, parfois, il serait même honteux d’en parler. En effet, certaines consciences faussement dévotes seraient prises au vertige des vieux démons racistes. La diversité dans leur carte mentale est sujette à proscription, vécue de surcroît comme une agression morale à leur existence, la différence est une atteinte à l’honneur de leurs pulsions tribales, lesquelles contournent le monde aux frontières d’une rue, un haouch ou un quartier! Ainsi un drame comme celui tu viens de subir est-il relégué au rang d’une banale tragédie, voire un fait divers qui n’intéresse pas grand monde. De tout ceci rien de rassurant pour toi l’africaine, l’immigrée, la femme de couleur, la réfugiée camerounaise, citoyenne du monde  qui es venue chez nous trouver la paix, des lendemains meilleurs et un cadre de vie digne de ce nom.

Chère Marie-Simone,

Je t’en partage aujourd’hui de tout mon cœur la peine. Toutes tes peines d’exilée d’ailleurs. Et je m’étonnerai sincèrement que cette Algérie là, puissance continentale s’il en est, soit à ce point aux antipodes de l’image de marque qu’elle avait depuis longtemps donné et essaie toujours de donner à l’extérieur. On s’est encore plus, nous les algériens, étonnés lorsqu’on aurait découvert  l’empressement avec lequel le Croissant Rouge Algérien (C.R.A) censé pourtant défendre, secourir et prêter assistance aux défavorisés, réfugiés, immigrés et autres catégories démunies de notre société s’est félicité dernièrement de l’expulsion d’Algérie de centaines de réfugiés nigériens en donnant de faux prétextes qui ne convainquent plus personne. Ne parlons pas de ces autres images désolantes d’insalubrité, de mendicité et d’égarement des migrants subsahariens à travers les rues de nos grandes villes, sans assistance ni protection. Vivant au jour le jour, complètement livrés à eux-mêmes. Migrants auxquels se sont malheureusement ajoutées des foules de réfugiés syriens clochardisés et désemparés fuyant la guerre et les massacres de leur pays. Cette situation alarmante  conjuguée au laisser-aller de nos autorités a poussé au pourrissement jusqu’au point où une association de quartier d’une ville côtière ait même préconisé il y a quelques mois de  chasser des africains au motif qu’ils sont porteurs du virus Ebola! Or ces stéréotypes noirâtres, sinistres,  voire réactionnaires jurent avec l’esprit d’hospitalité des miens dans les villages, les douars, les villes, etc. Une hospitalité nourrie par des millénaires de métissage civilisationnel avec d’autres cultures, d’autres traditions, d’autres manières de voir la vie. Ces clichés-là, crois-moi, ne sont à mon humble avis que la traduction d’un certain laxisme voulu d’en haut afin de sécuriser le citoyen lambda dans un réflexe latent de parfait xénophobe. Une technique utilisée partout ailleurs pour faire diversion, éloigner la communauté des citoyens des vrais enjeux sociétaux, envoyer la balle dans le camp de l’autre : cet étranger source de tous les maux.

Notre pays, chère Marie-Simone, n’est plus la Mecque des révolutionnaires que tu as dû, sans doute, connaître dans les livres d’histoire. Il est aujourd’hui comme aveuglé par une allergie frileuse, souterraine, suspecte envers l’autre. On en trouvera la confirmation au moins négative dans ce que tu avais subi. Qu’il me soit permis enfin au nom des miens qui ne m’en ont pas mandaté—comme tu devrais le savoir je ne suis pas un représentant de la république mais un simple citoyen comme toi–d’en laver l’affront en te présentant toutes mes excuses, nos excuses.

Fraternellement,

Kamal Guerroua
16 octobre 2015

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