Rachid Mesli, avocat de profession et défenseur de droit de l’homme par vocation et conviction, chassé, pourchassé, harassé par le pouvoir de la « réconciliation ». Madani Mezarg, chef de groupe armé, qui reconnait devant des millions d’Algériens avoir tué de ses ‘propres’ mains ensanglantées un jeune appelé, en l’achevant par relents d’humanisme dit-il, comme on « achève les chevaux », devient par un deus ex machina, un homme d’Etat, reçu par le chef de gouvernement. Il assiste aux funérailles des Hadj généraux de la sale guerre devenus par un tour de prestidigitation, dont seul Mezrag connait les secrets, aux confins d’un détour au maquis, généraux, présentés par cet humaniste comme des sauveurs de la république dont il vante la probité et le patriotisme !

S’agit-il d’une schizophrénie des cercles au pouvoir ou d’une real politik ? En fait il s’agit de la simple et immuable logique d’un pouvoir qui pour se pérenniser sait innover et s’adapter. Un art de haute voltige qui lui permet de faire la part entre des ennemis qui, n’arrivant pas à les soudoyer, les traque et chasse à satiété, et en même temps posséder le génie dans l’art subtile de s’acoquiner avec les plus « extrêmes » qu’il disait combattre parmi ceux qui ont pris le maquis, du genre Mezrag, Layada, et autres chefs de guerre, dès lors que ces « terroristes » d’un temps savent muer pour choisir au bon moment le bon camp. Me Mesli et ses semblables semblent avoir failli lamentablement dans ce test, en faisant le mauvais choix, hostile au gout des Altesses sérénissimes, et se doivent par conséquent d’en payer le juste et lourd prix.

Le grand outrage, le crime de lèse-majesté qu’a commis Me Mesli est d’avoir « terni » l’image de l’Algérie nous dit-on ! Par quel acte ? En dénonçant les atteintes des droits de l’homme commises lors de la décennie sanglante, et qui perdurent à ce jour. Ce pouvoir est connu pour le don qu’il possède et sa dextérité dans l’art d’entretenir l’amalgame entre le pouvoir et ses hommes d’une part, et d’autre part l’Algérie, ce grand et cher pays censé appartenir à tout le peuple, et ainsi toute dénonciation de la corruption, de la gabegie, des atteintes massives et systématiques des droits de l’homme par ce pouvoir deviennent une atteinte à l’Etat, au pays, à l’Algérie !

Quel est le crime exact et impardonnable imputé à Me Mesli ?

Mis à part l’accusation relayée et diffusée par les organes de  propagande du pouvoir, l’accusant de connivence avec des groupes armés, une drôle d’accusation pour un avocat dont la profession consiste à défendre de nombreuses personnes accusées de « terrorisme » ; cela au moment où ce même pouvoir tait et fait l’impasse sur le crime avéré de celui qui avoue et se vante d’avoir achevé un jeune appelé.

En fait, le crime, le vrai, qui incommode tant le pouvoir en Algérie que la plupart des oligarchies arabes, est celui de Me Mesli en tant que défenseur des droits de l’homme, en  dénonçant dans ce cadre-là les nombreuses atteintes aux droits humains, qu’il documente, et des rapports circonstanciés qu’il présente aux instances onusiennes, dont les procédures spéciales, par le biais de l’organisation Alkarama dont il est le directeur juridique. Cela concerne en particulier la torture, les mauvais traitements, les arrestations arbitraires, ainsi que les milliers de disparitions forcées dans les années 1990, dont il a été lui-même victime en 1996, avant d’être jugé lors d’un procès inéquitable et d’avoir écopé de trois ans de prison ferme.

On disait que le ridicule ne tue pas. Le pouvoir chez nous semble faire fi de cet adage et continue… son ridicule institutionnalisé.  D’après l’énoncé du mandat d’arrêt présenté par les instances judiciaires algériennes, il est reproché à Me Mesli d’avoir été en contact avec des gens en Algérie qui le renseignaient sur… des kidnappings opérés par les services de sécurité algériens ! Ceci est un crime aux yeux de notre « justice », mais celui des kidnappings, n’en est pas un. Mieux encore, c’est un exploit louable et dont les responsables sont hissés au rang de sauveurs de la république, selon la charte sur la réconciliation nationale !

Ainsi, au lieu d’enquêter sur ces milliers de kidnappings qui restent à ce jours non-résolus, et dont les souffrances des victimes et leur familles perdurent à ce jour, notre appareil judiciaire préfère « punir » celui qui en parle, dénonce ou demande vérité et justice, à l’intérieur du pays comme en témoigne le calvaire des activistes des droits de l’homme et des familles de disparus, réprimées à chaque manifestation pacifique qu’elles organisent pour demander la vérité sur leurs proches, ou à l’étranger, comme c’est le cas de Me Mesli en Italie, et Dr Mourad Dhina il y a trois ans en France.

Ceci nous rappelle une autre « analogie » non moins anachronique, celle dont sont victimes les dénonciateurs de la corruption, telle l’incarcération du militant Rachid Aouine, dont le crime est d’avoir dénoncé les détournements et les fraudes opérés dans le service de douanes où il travaillait, pendant que notre valeureuse justice tait et protège les exploits de Chakib Khalil et consorts. Ainsi va la real politik de notre cabale et de ses nouveaux satellites ; faut-il en rire ou en pleurer ? En fait nous sommes trop meurtris pour nous permettre l’un ou l’autre.

Rachid Ziani-Cherif
24 août 2015

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