Les arabisants sont offusqués, et l’alerte est générale. On les comprend. Mais à trop entendre ou lire l’indignation presque émouvante d’une certaine frange, d’anciennes irritations refont surface et on a presque envie de dégainer. S’étant longtemps et confortablement distingué par le charcutage du contenu et de la sacralisation de l’emballage, cette catégorie mérite bien quelques lignes de détour, du moins aux yeux de ceux qui, comme l’auteur, plaident la culpabilité de vieux comptes à régler ; et précisément dans l’intérêt exclusif de la langue du Coran.

L’un des plus grands préjudices à l’encontre de la langue arabe est avant tout endogène, et se nourrit de la médiocrité criarde d’une pléthore d’arabisants ; le pire pour une cause juste demeure hélas inchangé, et c’est d’être misérablement défendue par de mauvais avocats.

Pas la peine de jouer au scandale ou feindre l’indignation ! Il s’agit d’un secret de Polichinelle amer, bien entretenu, étouffé et refoulé par un malencontreux et exceptionnel croisement complice de deux stratégies antagonistes. Depuis quand les incompétents passent-ils aux aveux ? Et depuis quand un adversaire révèle-t-il, sur le champ de bataille, le talon d’Achille de son ennemi ?

De quel respect peut jouir quelqu’un qui se discrédite et se ridiculise invariablement en tentant de faire bonne figure auprès des uns et des autres en prônant, sans gêne et sans scrupules, tantôt l’arabisme et le rattachement aux valeurs islamiques, et tantôt la laïcité et l’éradication ?

Quelle estime peut solliciter celui qui s’empresse de condamner hors propos le fanatisme islamique qu’il définit béatement à travers les refrains et stéréotypes de l’air du temps, tels « Je suis musulman mais non pratiquant », « Je suis musulman mais laïc » ?

Un proche parent, enseignant d’Arabe retraité, ne manque jamais d’oxygéner son amertume lors de nos rencontres en défonçant un portail grand-ouvert, pour asséner et rappeler que les arabisants sont ceux qui ont le plus trahi le projet de renaissance islamique en Algérie, en se ralliant opportunément à ceux qui ont peur de leur religion déclarée, ou pour être précis, peur de ceux que le peuple a élus à cet effet. Pourtant, comme l’a un jour courageusement rappelé et payé, en solo contre vents et marées, Bélaid Abdesselam, l’Algérie est déjà un Etat islamique, et depuis des siècles.

Qu’ils étaient nombreux, pleins d’enthousiasme et d’allégresse, les carriéristes et attentistes de l’invraisemblable inouï, à se bousculer pour les premières loges, et même pour les derniers wagons, de ce train de l’éradication des années 90 !

Quand un recalé anonyme, arabisant ou islamiste, se retrouve inespérément en train de gravir des paliers, autrement inaccessibles, mêmes l’anti-arabisme et l’anti-islamisme, voire la traitrise criminelle, paraissent à ses yeux comme des ascenseurs bénis, étouffant de patriotisme et de moralité. Il se surprend alors en bon élève à apprendre en un temps record tous les théorèmes de l’opportunisme, et tous les corollaires maquillés de l’aplaventrisme.

Seuls des ennemis intérieurs et non déclarés de la langue arabe nieraient que l’arabisation, sans en être la cause, a coïncidé avec l’inauguration de l’ère de la compromission et de la médiocrité populiste contribuant à gangréner et démanteler le système éducatif. Que de cadres ont emprunté des raccourcis et décroché des diplômes universitaires sans même passer par le Bac Lettres, pourtant longtemps réputé comme étant le diplôme de recours pour les recalés des lycées. L’Education, la Justice et d’autres secteurs ont fait le plein de ces « cadres », et la gestion par anticipation intelligente a définitivement cédé la place au coûteux apprentissage continu à la dure. Sans le bagage minimum de logique et de rationalité, et des scrupules consubstantiels d’accompagnement que sont l’honneur et la dignité, l’inconscience du pire fait corollairement tache d’huile, la sensibilité aux scandales est euphoriquement anesthésiée, et l’instrumentabilité de la Justice devient fatalement un acquis par défaut, un portail vers l’injustice, corruption et rapine, une constante du non-décollage de la nation.

Et quand on contemple ce récent réveil brutal de ces déserteurs effarouchés, ne ressentant la menace existentielle qu’à travers le gagne-pain, on a presque envie de dire « Merci Benghabrit ! » Et heureusement que le capital linguistique et la seule langue de ces effarés indignement indignés, c’est l’Arabe, et non l’Hébreu !

Les exceptions authentiques, il y en a partout et sont sans doute plus nombreuses qu’elles le paraissent, mais tout comme cet enseignant d’Arabe retraité, ils devraient plutôt, et de loin, préférer que l’on ne gaspille pas d’encre à les évoquer ici.

Ce procès contre les déserteurs du temple paraitra sans doute sévère et inopportun aux yeux de certains, et ne manquera probablement pas de surprendre agréablement une partie de l’autre camp, et peut-être même la séduire. Pourtant l’endommagement neuronal et le déficit chronique en rationalité y sévissent tout autant, et peuvent même avoir déjà poussé certains à exulter triomphalement, en arabe même : « Wa shahida shahidoun min ahliha ! » (Et c’est un des leurs qui témoigne contre leur cause !)

Stratégie de l’ennemi intérieur commun

Le peuple algérien amazigh a embrassé l’Islam et non l’Arabité ! Et c’est en tant que langue du Coran et du Prophète (Prière et Salut sur Lui) que l’Arabe a été adopté. Il suffit pourtant de rappeler cette simple évidence refoulée pour ameuter toutes les hordes allergiques des laïco-éradicateurs, berbéristes, arabo-baâthistes, pseudo-islamistes, et autres post-colonisés, et les voir ranger leurs différends pour s’unir patriotiquement et non moins opportunément, en resserrant les rangs, contre le monstre, l’ennemi commun ! … Ou bien qui sait, peut-être simplement contre une compétence rivale de trop ?

Il est lamentablement infructueux et presque tout aussi futile d’évoquer la performance du système éducatif dans un pays sans aucune légitimité du mérite, où il n’est pas rare de voir des recalés et éjectés finir dans des échelles professionnelles et statuts sociaux plus élevés, et rendre ensuite généreusement des services à leurs pauvres anciens compagnons d’élèves brillants.

Est-il pertinent de s’embarquer dans des analyses raffinées ou superflues, tant que des préalables aussi élémentaires ne sont pas audacieusement appréhendés et définitivement évacués ? N’est-il pas inutile, voire aberrant, d’essayer d’étaler, à ce stade précoce, des diagnostics académiques, sociologiques, ou autres ?

Qui peut affirmer que telle langue est déléguée de la pensée, ou que telle autre est responsable de la pénurie d’idées [1] ?

Qui peut oser accuser la langue arabe ou le bilinguisme de la débâcle du système éducatif, puisque les deux se portaient bien mieux auparavant [2] ?

Est-il impertinent de tracer un lien entre l’objectif explicitement annoncé à la veille de la colonisation [3], et la situation actuelle d’un pays, qui en 1830 jouissait de l’un des meilleurs taux de lettrisme [1,3] ?

En aspirant à entrer de plein pied dans l’ère authentique de la modernité tout en consolidant ses ancrages culturels, le peuple algérien a malheureusement vu sa situation s’empirer sur tous les plans, social, politique, moral, économique, linguistique, culturel ; et même sa souveraineté, chèrement acquise, est devenue hélas menacée.

Qui est censé être puni, ou récompensé, quand on sème l’immoralité pour prétendument combattre l’islamisme ?

A qui veut-on faire du mal en planifiant la débauche de la jeunesse et l’effondrement des valeurs de la société ?

Qui marque des points, et contre qui, quand de nouveaux modèles d’algériens ne jouissent jamais autant qu’en violant le Ramadan en public ?

De qui veut-on s’éloigner, et qui cherche-t-on à fréquenter ou juste singer, en faisant la promotion populiste du déracinement et de la déculturation ?

En évacuant toute considération idéologique, n’y a-t-il pas un petit problème d’incompétence, sous entendu monstrueux, quand après plus d’un demi-siècle d’indépendance, de hauts responsables n’arrivent toujours pas à s’exprimer correctement en langue nationale ?

Est-il nécessaire d’enseigner le dialecte à l’école pour permettre constitutionnellement à ces responsables coincés d’y recourir ? Et quels seraient les risques majeurs encourus si jamais on doit envisager d’autres alternatives ?

Ces mêmes alternatives, ne peuvent-elles pas résoudre également une nouvelle tendance aberrante qui ne s’est jamais manifesté dans la passé ? Ou bien doit-on retourner au Baccalauréat à deux parties, où dans la première les candidats doivent d’abord repérer les erreurs dans les énoncés ?

Qui gagne quoi, et qui perd combien, avec l’adoption de l’incompétence vulnérable, la faiblesse docile, la moralité élastique, l’opportunisme subordonnant, et l’obstination dans le pire, comme des critères de promotion ?

Qui doit diagnostiquer quoi, et solutionner comment, quand les responsables désignés font eux-mêmes partie des problèmes pertinents à résoudre ? Et ne risquant eux-mêmes de croiser la pertinence que par pure coïncidence ?

Chers décideurs, c’est de la réhabilitation de l’Algérie qu’il est question ; un parti politique, islamique ou autre, n’est qu’un outil, pouvant servir ou pas.

Les responsables et décideurs algériens ne sont pas des ennemis de leur peuple ni de leur religion. Ils sont juste incompétents, submergés par les lourdes responsabilités arrachées et auto-infligées, et incapables de se sortir du ghetto et de la spirale d’obstination dans lesquels ils se sont engouffrés et piégés.

Il sera très difficile, sinon impossible, d’effacer une grande frange de la société ou réorienter ses choix culturels. Et même si on y arrive, ce sera aussi contreproductif que transitoire et éphémère, et les générations suivantes risquent de ne pas adhérer, et peuvent même changer résolument de cap. Et même si on obtient miraculeusement cette assurance future, on aura hélas juste autant de temps, à peine une vie, pour savourer ce succès définitif. On risque en revanche d’avoir plus de temps, trop de temps, peut-être même toute l’éternité, pour le regretter amèrement et payer chèrement. Qui vivra mourra, et qui mourra verra. Dieu merci, au nom des vivants qui le veulent bien, il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Abdelhamid Charif
9 août 2015

Références :

[1] A. Charif, « La langue, ni déléguée de la pensée, ni responsable de la pénurie d’idées »
Le Quotidien d’Oran du 24-08-2014
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5202155

[2] A. Charif, « Le maître et l’élève, le syndicat et la grève, la médiocrité et la relève »
Le Quotidien d’Oran du 03-05-2015
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5213008&;archive_date=2015-05-03

[3] http://countrystudies.us/algeria/53.htm     (Source: U.S. Library of Congress)

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