Je  reviens  dans  cet  écrit  sur  le  concept  de  la  culture  et  ce  qu’ il  représente  de  « forcec catalyseuse » contre  toutes les formes de discriminations. Pourquoi ai-je choisi ce sujet? C’est  en  constatant  l’état  alarmant  des  droits  de  l’homme dans  certaines  régions  de  notre planète que j’ai décidé d’y  fixer mon regard.  En ces ères de crispation civilisationnelle entre Orient et Occident, islamisme et modernité, Tiers-Monde et monde dit « libre », sphère du Sud et celle du Nord, l’anathème dévastateur de « tous dans le même sac » passe au grand dam des peuples pour l’ultime recours de ceux qui fabriquent d’en haut, les idéologies régressives de masse. Le déni, sous quelque forme qu’il soit, des réalités sociales, cultuelles, culturelles, éthiques et autres de ce « monde divers »  empêche toute révolution des esprits. On dirait que tout le monde a eu la tête à l’envers à force de ne plus regarder à l’endroit. Le relâchement des énergies  de  « l’engagement  associatif  progressiste »  ces  dernières  années  a  fait  peser  dans nombre de pays un péril fondamental sur la cohérence sociale et l’avancement des libertés. L’état des lieux laisse à désirer : où qu’ils soient les  précaires  sociaux,  dévorés  par  l’indigence  matérielle  et  gagnés  par  un  profond somnambulisme, ne se sont jamais réveillés des effets  de « l’anesthésie » à laquelle l’ont exposé les dominants. Quant à ceux que je qualifie personnellement de « marginaux aculturels », c’est-à-dire, ceux qui n’ont pas eu le privilège d’accéder à l’école et à l’enseignement moderne, ils sont sans cesse rongés par des  détresses  sociales  interminables  et  un  analphabétisme  qui  les tirent vers le bas.

On vit, hélas, dans un monde où ces choses-là paraissent encore aller de soi. S’en rendre comptee n’est cependant pas se complaire à on ne sait quelle manie d’auto-dénigrement mais c’est se prêter avec intelligence au défi de la résistance. J’aime ce mot : résistance. Résistance contre la haine, résistance contre la sous-culture, résistance contre la peur  et surtout résistance  contre la ridiculisation de l’autre. Car, l’altérité est notre image dans le miroir du monde ou pour parler comme le poète Rimbaud(1854-1894) « je est un autre ».  Or, « il n’ y a rien de plus résistant qu’un rocher mais comme il ne dit rien, les oiseaux lui chient dessus »; dit le dicton malgache. Autrement dit, la résistance,c’est la libération du mot, de la parole, de la culture, des imaginaires sociaux en veilleuse, de la créativité individuelle et collective, etc. Ce qui fait, d’une manière ou d’une autre, défaut dans le  conglomérat des sociétés modernes! Pour preuve,  si  les sociétés du monde sous-développé ont  un problème avec « la  liberté  d’expression » à  cause  des régimes de terreur, celles du monde développé se confrontent à un vrai casse-tête, en rapport avec les multiples freins posés à « la liberté de penser/pensée » par des systèmes financiarisés à outrance. Sans doute,  former et éveiller les consciences afin qu’elles  ne se laissent pas facilement subjuguer par les discours démagogiques de toutes sortes ressort du fait culturel. Or, en situation de vulnérabilité « émotionnelle », les masses consomment sans ingérer la «doxis» ou la potion du « politiquement correct »;, c’est-à-dire, du « culturellement stupide ».

Ainsi par exemple, Dylan Roof, ce jeune américain de 21 ans aura-t-il fièrement arboré en juin 2015 sur les  réseaux  sociaux  l’écusson  de  l’Afrique  du  Sud  et  de  l’ancienne  Rhodésie  (actuelle Zimbabwe) à l’époque de l’Apartheid sans être inquiété par quiconque. Notons dans ce cas précis comment les medias influent négativement sur les consciences moyennes en les induisant en erreur.  Et puis, quelques jours après, l’énergumène, poussé par sa haine viscérale du noir, aura fait feu sur les paroissiens de l’église « Emanuel », principalement  fréquentée par la communauténoire  de  Charleston  (Caroline  du  sud),  tuant  sur  le  coup 9  fidèles  à  bout  portant.  Mais pourquoi ce déchaînement intempestif de haine? Rétrospective: à vrai dire, l’exploitation  des peurs raciales nées de la désagrégation des années 1960-1970 a eu un considérable impact sur la qualité du vivre-ensemble aux Etats Unis. L’épidémie du Crack (un genre de stupéfiants) dans les « inner cities », équivalent des banlieues françaises à cause du désœuvrement forcé des jeunes a dégénéré en un sentiment d’insécurité permanent. Le revers de médaille: Plus de 60%des détenus dans les geôles américaines sont des noirs ou des hispaniques (voir à ce sujet le Monde du 20 juillet 2015). Un afro-américain sur 35 et un latino sur 88 y purge actuellement une peine d’emprisonnement. De même,  au moins un enfant afro-américain sur 9 a un parent en prison : un désastre quoi!  Si  l’on  regarde  bien  en  arrière,  on  trouve  que  le  surgissement  des mouvements  progressistes  comme celui  des  Droits  civiques  et  « Black Panthers »;  dont  les figures de proue sont Malcom X, Martin Luther King et Angela Davis, d’affiliation culturelle avec Nina Simone a joué un rôle prépondérant dans les années 1960 pour la lutte contre les discriminations  raciales  mais  que  la  cadence  s’est  ralentie  nettement depuis. L’association humanitaire « Black Lives Matter » (les vies noires comptent) créée deux ans avant les événements tragiques de Ferguson en a pris le relais. Mais cela semble très en deça des attentes. Bien qu’elle ait poussé la sonnette d’alarme pour alerter l’opinion  publique américaine et internationale  sur  ces  dépassements  inacceptables  survenus  sur le sol de  l’hyperpuissance  planétaire, rien de concret n’a eu lieu. Néanmoins,  ce  cri  de  cœur  de  ces  artistes  de  « freedom  fighters »  (les combattants de la liberté) est devenu, en un laps de temps très court, un slogan de  ralliement pour toute la jeunesse anti-raciste américaine. Un mouvement qui se veut désormais radical,multiracial, transgenre et profane.

C’est  dire  aussi que  la  vulgate  esclavagiste, pourtant aujourd’hui périmée,  a ressuscité  en  pulsion  de revanche  portée  par  des  loups  solitaires  avant  d’être  massivement  adoptée  par  des  vieux régimes  aux  réflexes  rétrogrades.  Le  tropisme  trop  exclusivement  européocentriste  ou occidentaliste, les louanges destinées au blanc civilisé, la prétendue supériorité de certaines races sur d’autres, les parti-pris racoleurs et sensationnalistes dont une impression du déjà-vu colonialiste  s’est  déjà fait sentir  forment  encore « le gisement symbolique » des clichés liés à la discrimination. En fin de course, la vérité de l’Histoire (la fin de l’apartheid), si elle a triomphé, aura de nos jours la lourde charge de passer sous les fourches Caudines de la manipulation pour survivre. Pour cause, l’esprit un peu trop végétatif, les dominés s’injectent par doses successives et suggestives le« modus operandi » des dominants. L’opinion de ces derniers, au mieux apitoyée, au pire méprisante de tout ce  qui  ne  forme  pas  partie  de leurs  intimes  conceptions  prend l’ascendant sur toutes les valeurs cultuelles, culturelles rationnelles des autres. Ce qui écœure le bon sens et provoque des sentiments plutôt négatifs. Or, seule la culture permet la forclusion de la logique,  la  raison  et  surtout  l’ordre.  Et  c’est  uniquement à  cette  échelle-là  que  se  dissipe  l’angoisse existentielle et s’installe évident, magique et créateur le calme (le zen confucéen à l’origine de l’épanouissement humain).  La culture naît, en effet, d’une réaction spontanée à l’encontre des contraintes de la vie et ses injustices. Elle est, à proprement parler, l’attitude de « l’honnête homme » face à son univers. En d’autres termes, une création vivante qui cristallisera cette « usine de rêves » dont aurait parlé un  certain  André  Malraux  (1901-1976).

Et,  bien  entendu,  quand  on  rêve,  on  saute  les barrières et notre imaginaire conquiert des espaces de plus en plus vastes. Ainsi deviendrait-on comme des cerfs volants en quête d’exutoir à nos inquiétudes. Il est cependant certain que les barrières ne cherchent pas toutes à forger des limites ou des contours mais parfois aussi à bâtir en vrai ce rêve d’émancipation. Les limites sont, au fait, l’électrochoc qui résonne au cœur d’une société sclérosée par ses  impasses.  Elles la poussent à  prendre  son  envol,  en  analysant  avec justesse son monde intérieur, à elle. Pour ce faire, cette société  a besoin du savoir « il convient d’aller chercher  le  savoir,  fût-ce  jusqu’en  Chine » proclame  la  tradition  prophétique  musulmane. Certainement, un savoir pur, réel, sérieux, sans fioritures, pas un savoir de circonstance, dénudé de son essence. Bien évidemment, on peut juger de bien des façons le développement  d’une  société  quoique  l’unique  critère  valable  pour  en  jauger  sa maturité soit : la connaissance. Cependant, je ne nourris pas personnellement grand espoir quant au présent état des choses dans cette société  mondiale pourtant hyperconnectée et dont la technologie prime. Pour cause, le 21 mars dernier, Sâadia Mosbah, présidente de l’association  « M’nemti» est sortie de ses gonds « A Djerba,  dit-elle,  les  fichiers  d’Etat  civil  des  noirs  portent  encore  la  mention « affranchi  par ».  Puis,  dans un sursaut de révolte,  la  plaignante déplore le fait  même qu’en signe de mépris un cimetière leur est spécialement réservé en ce XXI siècle à Mahdia (ville côtière à 250 km de la capitale Tunis) ! (Jeune Afrique, n° 2830 du5 au 11 avril 2015). Au Maroc, encore moins en Algérie, la communauté subsaharienne dont des masses humaines de plus en plus grandissantes y affluent, s’en servant comme escale de transit pour l’eldorado européen, endure souvent mauvais traitements, délits de faciès, marginalisation, etc. Dans les pays du Golfe, l’esclavage de la main d’œuvre asiatique par les émirs enturbannées  s’est révélé un mot de passe largement en usage jusqu’au point où les institutions sportives mondiales, certes par remords de conscience,  aient mis un point d’honneur à le signaler au Qatar, futur organisateur de la coupe du monde de 2022. Dont, rappelons-le bien,  94% de force du travail (étrangère bien sûr) est excessivement exploitée! En hexagone (pays des droits de l’homme et du citoyen), les banlieues sont le théâtre d’une  discrimination  quasi  systématique. Celles-ci sont devenues, faute  de  perspectives  et  d’horizons,  le terreau de la délinquance et surtout une plaque tournante du terrorisme transnational. Le Premier ministre socialiste Manuel Valls reconnaît même « un apartheid territorial, social, ethnique, etc.)! Enfin, la vitalité culturelle n’est, semble-t-il, pas au menu de ces démocraties vieillissantes, encore moins chez ces pays en retard démocratique qui pâtissent de la  mauvaise gouvernance.  Or,  le  constat  est  partout sans appel :  sans culture citoyenne instructive, égalitaire et juste, les maux finissent par flotter à la surface. C’est la règle de l’histoire.

Kamal Guerroua
7 août 2015

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