« Conscients de leurs responsabilités, ils évitaient ainsi d’ouvrir une crise politique grave qui aurait pu servir de prétexte souhaité dans divers milieux pour empêcher la proclamation de l’indépendance de l’Algérie » (Extrait de la proclamation du bureau politique (BP) du 22 juillet 1962, à Tlemcen)

Apparemment, ce qui retient le duo Ben Bella-Boumediene de passer à l’offensive est sa crainte de voir la France annuler le referendum de l’autodétermination du peuple algérien, prévu le 1er juillet 1962. Une fois cet obstacle est franchi, l’EMG (état-major général), commandé par Houari Boumediene, n’en ferait qu’une  bouchée des maquisards intérieurs. Partant, dès le 3 juillet, date de la proclamation de l’indépendance, l’armée des frontières, sous la houlette de Boumediene, se déploie en vue de conquérir le pouvoir. « C’était des troupes fraiches et bien armées, à la différence des junuds des maquis. Quelques escarmouches ne tardèrent pas à les opposer, qui firent les premières victimes de cette nouvelle guerre algéro-algérienne. Mais il s’en produisit relativement peu : les hommes voulaient la paix, surtout les junuds de l’Intérieur qui n’étaient pas vraiment prêts à mourir pour le GPRA», écrit Gilbert Meynier, dans « histoire intérieure du FLN ».

Toutefois, pour justifier leur passage en force, c’est-à-dire en proclamant, au mépris des statuts du FLN et des institutions provisoires de la République algérienne, la coalition Ben Bella-Boumediene s’appuie sur un procès-verbal, rédigé le 7 juin 1962, à Tripoli. Pour rappel, ce sont les insanités proférées par Ben Bella à l’encontre de Ben Khedda, président en exercice du GPRA, qui ont provoqué, le 5 juin 1962, la rupture des travaux de la cession du CNRA (conseil national de la révolution algérienne). L’atmosphère n’étant pas favorable à la reprise de la séance plénière, les congressistes se sont séparés.

Du coup, bien que le nouveau bureau politique transforme plus tard les intentions des congressistes en élection, force est de reconnaitre qu’aucun vote n’a été organisé. En fait, il existait bien une commission de sondage, dirigée par Mohammed Seddik Benyahia. Celle-ci avait pour mission de présenter, le jour du vote, une liste consensuelle. Est-ce que la commission a été au bout de sa mission ? Le lendemain de l’altercation entre Ben Bella et Ben Khedda, soit le 6 juin 1962, les rapporteurs de la commission de sondage ont noté ceci : « Nous avons le triste devoir de vous informer que nous avons échoué dans notre mission. »

Et pourtant, c’est en s’appuyant sur les résultats de la commission Benyahia que le BP de Tlemcen argue son intronisation, un mois et demi plus tard. « Les membres majoritaires du CNRA, conscients de la gravité du moment, décident de mettre en application la résolution concernant la désignation du Bureau Politique, telle qu’elle résulte du rapport du 6 juin 1962 de la commission désignée à cet effet », maquillent-ils le coup de force d’un vernis de la légalité. Pour y parvenir à ses fins, la coalition Ben Bella-Boumediene ne recule devant rien, y compris le mensonge. Pour elle, c’est le départ de « certains ministres du GPRA » qui a bloqué la poursuite des travaux du CNRA, d’autant plus que le quorum était largement atteint ce jour-là.

Or, comme le démontre Ali Haroun, dans « l’été de la discorde », le quorum étant atteint, « il appartenait à tout membre du CNRA –et tout spécialement aux signataires de cette résolution –de demander au bureau la poursuite des débats et, au besoin l’exiger. Le quorum atteint, toute décision régulièrement prise par l’assemblée plénière aurait été parfaitement opposable à tous, y compris aux absents qui n’auraient pas obtempéré pour réintégrer la session. »

Dans ces conditions, si le groupe de Tlemcen tenait à la légalité, pourquoi éviterait-il de convoquer ce fameux CNRA ? D’après les spécialistes de la question, le groupe de Tlemcen n’avait pas la majorité. Pour l’ancien responsable de la fédération de France du FLN, un simple décompte des voix prouve que le groupe de Tlemcen ne dispose même pas de majorité simple, loin des deux tiers exigés dans les statuts du FLN et des institutions de la révolution algérienne. « Les signataires du procès-verbal du 7 juin 1962 sont au nombre de 39 (parmi ces voix, on compte 5 de la wilaya III et 4 de la wilaya I. Sur le terrain, faut-il le rappeler, ces deux wilayas sont les plus opposées au coup de force.)», écrit-il.

Tout compte fait, à l’examen de ces éléments, il va de soi que la décision de créer un bureau politique –sans se soumettre aux statuts de la révolution algérienne –est d’une illégalité flagrante. À moins que, pour le groupe de Tlemcen, la légalité soit un costume que l’on ressort dans une occasion particulière et que l’on remise aussitôt au placard. Par conséquent, bien que l’on puisse reprocher au GPRA des défauts et des carences, la reconnaissance dont il jouit sur la scène internationale –le GPRA est reconnu par la plupart des gouvernements –lui donnerait plus de légitimité à gérer la période de transition si parmi les révolutionnaires il n’y avait pas des comploteurs. Hélas, cette malédiction va poursuivre, pour longtemps, le peuple algérien. C’est comme si ce peuple est condamné à vivre assujetti, d’abord sous la domination coloniale pendant 132 ans et ensuite sous celle des nationaux.

Boubekeur Aït Benali
22 juillet 2015

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