Le titre en haut peut, pour certains, prêter à rire. Car c’est comme si l’on rêve de la miraculeuse  résurrection des fameux troglodytes des saintes écritures au vu de la réalité du terrain aujourd’hui. Celle-ci nous ramène au bilan stérile sur tous les plans de deux pays pourtant frères, voisins et unis par l’anthropologie, le destin et l’histoire. Une prestation bien piteuse faite de bruits assourdissants par-ci et de silence complice par-là, de menaces à peine voilées, d’allusions peu avenantes, de casus belli répétitifs, d’accusations gratuites et de propagandes mensongères. C’est le trop plein! Et de façon inversement proportionnelle, l’amour des deux peuples en sort à chaque fois plus renforcé, plus ressoudé et plus rasséréné. L’envers du miroir est l’exact contraste de sa réalité. On dirait que nos élites livrent continûment bataille dans le dos des peuples qu’elles gouvernent. Preuve en est que ces décennies d’atonie complète durant lesquelles des versions d’auto-victimisation, d’auto-justification et surtout d’auto-résignation à la logique de l’animosité et de l’hostilité aient été monnaie courante, restent de mise et coupent court à toute idée bienveillante d’entraide et de coopération mutuelle. Et pourtant, des milliers d’Algériens originaires de Nedroma, Msidra ou de Maghnia vivent aujourd’hui à Oujda et dans d’autres villes de l’oriental marocain et des marocains écoulent aussi leurs jours à Tlemcen, Mostaganem, Ain-Témouchent, etc. Le mélange entre les deux populations est tel que les différences, identitaires ou culturelles fussent-elles, se sont estompées dans le creuset de la cohabitation et de la fraternité où l’algéro-marocain est difficilement discernable du marocain d’origine algérienne.    

Hélas, nos deux régimes perdent de vue la géopolitique du monde en métamorphose, les enjeux de l’union maghrébine dans un espace euro-méditerranéen de plus en plus compétitif et le rouleau compresseur de la globalisation qui écrase sur son passage les pays orphelins. Les statistiques de cette désagréable désolidarité sont éloquentes. Au plan économique rapporte l’hebdomadaire Jeune Afrique les échanges maghrébins en 2012 n’ont pas dépassé les 3,3% des exportations globales de toute la zone, c’est-à-dire, le taux le plus bas du monde en comparaison à la même période avec l’union européenne 62%, l’accord de libre-échange nord-américain 49%, l’association des nations de l’Asie de Sud-Est 26% et le marché commun de l’Amérique du Sud 15%. Ajoutons à cela, la part des dépenses militaires puisées dans le P.I.B qui ont augmenté entre 2007 et 2013, de 19% au Maroc et de 65% en Algérie au détriment des secteurs de l’économie, l’éducation et la culture (Voir à ce propos l’article de Nadia Lamlili, Algérie-Maroc : le grand gâchis, N° 2799 du 31 août au 6 septembre 2014). Gardons maintenant ces maigres chiffres par-devers nous et consolons-nous de ce qui nous reste d’espoir pour construire l’avenir. Car, le parcours sinueux, pas du tout linéaire, voire catastrophique de la coopération entre les deux pays casse l’envie d’en parler. L’imaginaire commun se nourrit sans cesse de cette équation à deux variables : le militarisme et les surenchères politiciennes. Chacun étant sûr d’être à fond dans le vrai, enfermé dans la sourcière d’une haine inexpiable vis-à-vis de son voisin-frère. Le spectacle des vieilles querelles, des polémiques et de la collision des narcissismes s’est chargé du reste. Or on peut s’époumoner à crier matin et soir nos hostilités sur tous les toits, la fraternité finira par nous rappeler au rendez-vous de la réconciliation. De plus, il est inutile d’affirmer que tout cela procède du réductionnisme démagogique et d’une vision étriquée de la chose politique. D’autant que le projet unitaire rêvé en 1926 par les nationalistes du parti de l’étoile nord-africaine (E.N.A) et mis en avant durant les années 40-50 par les mouvements indépendantistes devrait primer sur la folie des grandeurs et de leadership régional qui anime le couple algéro-marocain. Folie ayant poussé chacun d’eux à agir séparément et en cavalier seul à l’échelle africaine et dans ses rapports  à l’endroit de l’Europe.

Certes, il est des questions de divergence en suspens sur lesquelles il faudrait bien trancher dans la concertation et le dialogue à long terme comme le dossier sahraoui, le tracé de frontières et les accusations réciproques du commerce illégal aux villes frontalières mais ces questions-là n’en restent pas moins périphériques au pont de partage qui relie les uns aux autres. Pourquoi ne pense-t-on pas par exemple à une zone de libre circulation provisoire, comme étape préliminaire et de «test»  à la réouverture définitive des frontières fermées depuis 1994? Les algériens et les marocains ont-ils résisté à la ligne Challe et Morice que les forces coloniales ont construite tout au long des frontières Est et ouest pour barrer la route aux unités combattantes de l’A.L.N afin d’accepter à contrecœur aujourd’hui ces frontières artificielles? Sauf à indéfiniment satisfaire l’ego des maîtres de céans, cette coupure traduit-elle réellement les vœux de nos ancêtres et de nos masses, notre intelligentsia et notre jeunesse? Des familles des deux côtés gardent en mémoire des souvenirs impérissables de cette odyssée fraternelle datant de l’ère des résistances populaires de l’émir Abdelkader (1808-1883), Cheikh Bouamama (1833-1908) et Abdelkrim Al-Khatabi (1882-1963). Une odyssée encore vivante de nos jours, tissée dans le partage des souffrances, des joies et des épreuves. L’arrière-base de l’A.L.N  qui aurait approvisionné à partir du Maroc les wilayas de l’intérieur en armement et en victuailles  au moment où la politique de la terre brûlée pratiquée par les colonialistes battait son plein ne fut-elle pas d’un grand secours pour la révolution de 1954? En un mot, le référent historique commun est riche en pages d’honneur et d’éclat que des points noirs tels que la guerre des sables en 1963, les expulsions de 1975, et l’occlusion des frontières en 1994 ont terni. Fallait-il pour autant déchanter? Fallait-il se résigner à ce délitement prononcé de lucidité dans le traitement des questions aussi stratégiques que l’économie, le commerce, le mouvement migratoire et la mobilité? Force est de constater que l’échafaudage des arguties et des faux-semblants niant l’évidence de la collaboration sérieuse et au long cours s’écroule devant la complexité  du contexte régional actuel, la menace terroriste prégnante aussi bien du côté d’Al-Qaïda du Maghreb islamique que des groupes armés épars, le brasier mal-éteint du Sahel et le besoin de fédérer les synergies  dans le bien général de tous les pays de la région (Libye, Mauritanie, Mali, Niger, etc). Nos officiels en ont-ils entendu les échos? Savaient-ils qu’ils ne faisaient, jusque-là, que recueillir dans un terrible «jeu de ping-pong» comme dirait l’éditorialiste François Soudan des dividendes des échecs post-coloniaux? Ont-ils une stratégie pour transformer la zone maghrébine en espace transfrontalier régulé? Une démarche, au demeurant, singulière et significative de porter les nobles desseins du Grand Maghreb avec cette Tunisie qui aura entamé cette année-là son voyage de noces démocratique.  A quand la fin de ces tiraillements des uns et des autres et leur incapacité à parler d’une d’une seule voix le langage du pragmatisme et de la sincérité? Cela ne relève pas, à mon sens,  de la mission impossible mais uniquement de la volonté à transcender les différends, de la perspicacité dans les choix et de la bonne foi pour aller de l’avant. Cette rivalité stérile ne pouvant persister, il vaut mieux qu’elle n’ait pas du tout lieu car il grand temps de prendre congé de la bêtise. En gros, «ça ne sert à rien de cultiver des bouts de rêves mais d’avoir des rêves debout», je ne sais pas là où j’ai lu cet aphorisme qui résume en tout cas ce à quoi doivent aspirer dans le prochain avenir les relations algéro-marocaines! A bon entendeur.

Kamal Guerroua
29 décembre 2014

Un commentaire

  1. reponse
    Bravo pour votre analyse.Je suis marocain et fier de partager vos idées.

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