Pour sortir de la sombre impasse politique dans laquelle s’enfonce le monde arabe, et nos relations avec lui, il s’offre aujourd’hui deux itinéraires. L’un passe par “Tunis” et l’autre, via Le Caire, nous conduit tout droit vers “Mossoul”. La route pour Mossoul “se porte bien”, merci. L’autre, la voie tunisienne, demeure à ce jour celle de tous les risques.

La voie que nous devrions éviter à tout prix a malheureusement déjà été solidement “pavée” d’abord puis “élargie” ensuite, des années durant, par les efforts conjoints de la “communauté internationale” et de ses chers “alliés arabes”. Elle a été pavée par le très long déni de représentation des forces vives de telle ou telle nation, Syrie ou Irak bien sûr, mais pas seulement. Moubarak a pu longtemps bourrer ses urnes d’une main, ses prisons de l’autre, tout en regardant briller la “Médaille Louise Michel des droits de l’homme et de la démocratie” que le président du Sénat français lui avait personnellement remis en mains (dites) “propres”. Regardant, il ne l’était pas trop à l’égard des plus tragiques débordements guerriers de l’Etat hébreu voisin, et cela suffisait à lui valoir notre entière confiance !

La route vers Mossoul a été élargie spectaculairement lorsque, des attentes s’étant exprimées très légalement dans les urnes arabes, leur verdict a été méprisé parce que, en Algérie en 1991, en Palestine en 2006 ou en Egypte en 2012, il n’avait l’heure de plaire ni à nous mêmes ni à nos partenaires privilégiés. La route vers Mossoul est ainsi tracée par les efforts conjoints de tous les adeptes arabes ou occidentaux du hard power et de l’unilatéralisme que symbolise si bien l’arrogant American (ou European) “hubris”. Ils font face aujourd’hui à une génération qu’ils ont largement méritée : celle des jihadistes de notre modernité.

La voie tunisienne ne peut s’emprunter qu’au prix d’une alternance pacifique permettant à toutes les forces politiques légalistes, quelle que soit leur couleur, de cohabiter dans le respect mutuel, avec le soutien coopératif de la rive occidentale du monde. Les élections présidentielles à venir vont, espérons-le, nous confirmer la viabilité de cet itinéraire-là, aussi exigeant qu’il est nécessaire. Pour l’heure, tout reste donc possible.

Un cauchemar inquiète toutefois certains observateurs, tout particulièrement ceux que la somme des votes de leurs adversaires, et pour une bonne part, de celles d’abstentionnistes bien plus radicaux, ont mis conjoncturellement en minorité. Ce scénario cauchemar verrait des milliards de dollars en provenance des membres agissants de l’association arabe des “dictateurs sans frontières”, en provenance notamment du Golfe, s’investir dans une sorte de “proxy war” qu’après l’Egypte, ils tenteraient de conduire en Tunisie contre ces Frères Musulmans qui hantent leurs rêves de gouvernants à vie. Au bout d’un an ou deux, lorsque la population, touchant les premiers dividendes de cette embellie économique, réelle ou seulement artificielle, serait tentée de se détourner de l’opposition, un scénario plus musclé, inspiré plus ou moins librement du précédent égyptien et destiné à éloigner le spectre de toute possibilité de retour d’Ennahda par les urnes, serait mis en œuvre. Les observateurs occidentaux ont on le sait été ravis par ce coup d’Etat si “populaire” qui a mis fin au difficile apprentissage de l’exercice du pouvoir par ces Frères qui avaient fait la double erreur de croire le détenir et que les Etats-Unis protégeraient cette légitimité électorale qu’ils étaient si fiers de leur avoir inculquée.

Ces mêmes observateurs devraient savoir que si les monarchies pétrolières s’en prennent aux Frères avec un tel acharnement, ce n’est pas parce qu’elles ont été brutalement gagnées aux vertus d’une laïcité plus exigeante encore que celle que les disciples d’Al-Banna ont en fait intériorisée aujourd’hui, mais parce que ces Frères, qu’il est devenu de plus en plus difficile, même aux yeux des plus islamophobes, de traiter crédiblement de “terroristes”, sont les seuls à menacer sérieusement leurs rêves d’immortalité politique.

“Mossoul” ou “Tunis”, le choix est encore “le nôtre”…

François Burgat
4 novembre 2014

Source: https://www.facebook.com/francois.burgat/posts/10204323583562038

Comments are closed.

Exit mobile version