Il y a un cinquante-six ans, l’Algérie a formé son premier gouvernement. Bien qu’il soit provisoire, il n’en demeure pas moins que dans l’esprit des Algériens, à ce moment-là, cet événement représentait indubitablement l’acte fondateur de l’Etat algérien. Toutefois, la création du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) n’est pas survenue ex nihilo. Il y avait, au début de la guerre, le Conseil de la révolution, composé des neuf chefs historiques. Le texte qu’ils ont diffusé le 1 novembre 1954 annonçait la création du FLN, un appel au peuple algérien pour se mobiliser et une plateforme de revendications destinée aux autorités coloniales. Pendant près de deux ans la révolution algérienne a été régie par ce texte fondateur du FLN. A partir du congrès de la Soummam, les congressistes ont créé un comité de coordination et d’exécution (CCE), restreint entre août 56-août 57 et élargi jusqu’en septembre 1958. Toutefois, si le GPRA a pris la suite à partir du vendredi 19 septembre 1958 à 13 heures, l’idée de constituer un gouvernement remonte au mois de février 1957, évoquée dans un rapport rédigé par Hocine Ait Ahmed aux membres du CCE. Comment l’idée a-t-elle germé et qu’ils étaient les moments forts ayant conduit à son aboutissement ?

En effet, la réflexion, en constituant des commissions de travail, a commencé dès le mois de septembre 1957. Selon Mohamed Harbi, quatre rapports ont été rédigés pour analyser la situation politique et militaire de la révolution et réfléchir sur la stratégie à adopter pour la réussite de la révolution. Le premier rapport émanait du colonel Ouamrane. Rédigé avec Mabrouk Belhocine, son conseiller, ce rapport contenait à la fois une analyse sans fard ni acrimonie de la situation militaire et également une série de propositions. Dans l’analyse, ils ont écrit : « Si notre insurrection a d’abord surpris la France, si notre dynamisme des premiers temps a ébranlé le dispositif politique et militaire adverse, le colonialisme a fini par se ressaisir dès qu’il nous a vus marquer le pas. » Quant aux propositions, ils les ont résumées comme suit :

1) La création d’un gouvernement;
2) Le rejet de toute exclusive contre les pays de l’est;
3) Etendre l’action armée à la France.

Les autres rapports complétaient d’une façon ou d’une autre le rapport d’Ouamrane. Ainsi, pour Ferhat Abbas, la condition de la réussite de la diplomatie algérienne devait passer inéluctablement par la consolidation des assises de la révolution, préalable à toute démarche diplomatique. Autrement dit, il fallait, selon F.Abbas, une cohésion de tous les organismes de la révolution pour constituer un bloc soudé et capable de mener à bien sa mission. Car cela ne servait à rien, pensait-il, d’accomplir des tournées dans les chancelleries si cette condition n’était pas remplie. Quant à Krim Belkacem et Lakhdar Ben Tobbal, les militaires du CCE, l’analyse était plus militaire que politique.

Néanmoins, un autre élément inattendu a été introduit dans l’équation à résoudre : le retour du général de Gaulle sur la scène politique. Bien qu’il soit porté à la tête de l’Etat français par un coup de force militaire, plusieurs observateurs, et non des moindres, voyaient en lui quelqu’un qui allait trouver une solution négociée au problème algérien, et ce, à court terme. L’histoire a montré que le général n’était pas disposé, dans les deux premières années de son retour aux responsabilités, ni à trouver une solution politique, ni à lésiner sur les moyens militaires en vue d’étouffer la révolution algérienne. Il faut tout de même rappeler que les pertes en vies humaines étaient plus importantes de 1958 à 1960, suite aux opérations Challe, que les autres années réunies.

Cependant, les dirigeants algériens, réunis en commission, ont rendu, le 6 septembre 1958, une réponse positive à la création d’un gouvernement provisoire. Pour ces derniers, cette naissance du gouvernement allait avoir au moins deux impacts. L’un sur le plan algérien : « A l’approche du référendum (sur la constitution de la cinquième république française), c’est un encouragement utile qui convaincra le peuple à faire échec à la politique d’intégration prônée par de Gaulle. », et l’autre sur le plan international : « nous nous trouverons dans une meilleure position qui acculerait peut-être l’ennemi à des actes d’humeur profitables internationalement à notre cause et le potentiel matériel et financier de la révolution se renforcerait. »

Par ailleurs, depuis l’avènement du GPRA, ses adversaires n’hésitaient pas à lui reprocher deux choses, présentées à l’époque comme opaques, et qui méritent ici d’être éclaircies. La première concerne l’abandon du préalable pour l’ouverture de toute négociation avec la France et la seconde a lien avec la non convocation du CNRA (Conseil National de la Révolution Algérienne) pour décider la fin de la mission du CCE et le début de celle du GPRA. Pour la deuxième nuance, il faut tout bonnement se référer à la résolution du CNRA du 27 août 1957 tenu au Caire, qui a délégué le pouvoir au comité de coordination et d’exécution, déjà élargi, de créer, si besoin se faisait sentir, un gouvernement révolutionnaire. D’ailleurs, Saad Dahlab, dans son livre la mission accomplie n’écrit-il pas : « Tout le CCE fut transformé en GPRA. Celui-ci était renforcé par deux éléments n’appartenant pas au CCE. Ben Khedda, qui revenait ainsi à la direction un an après son élimination du CCE et M’hamed Yazid qui était délégué du FLN à l’ONU. » Par contre, pour la première nuance l’explication se trouve dans la sémantique. En effet, en insistant sur le sens des mots, la frontière entre gouvernement et comité n’est pas du tout mince. Bien que le GPRA ne soit qu’un élargissement du CCE, le sens donné à chaque organisme peut prêter à une interprétation différente. L’explication d’André Mandouze, dans la révolution algérienne par les textes, est à ce titre significative : « il faut bien comprendre que, si un organisme révolutionnaire comme l’était le CCE pouvait, à bon droit, exiger une reconnaissance de l’indépendance algérienne avant d’entamer les négociations, il n’en est plus de même pour un gouvernement qui, par son existence même, consacre juridiquement celle de l’Etat qu’il représente. »

Cependant, après moult discussions entre membres du CCE, le 9 septembre 1958, le comité a décidé de créer le gouvernement provisoire, le GPRA. La veille de la proclamation officielle de la naissance du GPRA, soit le 18 septembre 1958, plusieurs délégations du FLN sont allées rencontrer les chefs de gouvernements de tous les pays arabes. Selon Yves Courrière : « A Tunis, c’est Krim Belkacem et Mahmoud Chérif qui rencontrèrent le président Bourguiba dans sa villa d’été. » En Egypte, la mission d’annoncer la création du GPRA a été confiée à Toufik El Madani. Le lendemain, vendredi 19 septembre 1958, le GPRA a pris officiellement ses fonctions. L’annonce de sa création a été faite simultanément à Tunis et au Caire. Quatre pays ont reconnu ipso facto le GPRA. Il s’agissait de la Tunisie, du Maroc, de la Syrie et du Liban. Vingt-quatre heures plus tard, c’était autour de l’Egypte de reconnaître le GPRA. Dans la foulée, l’Irak a suivi l’exemple égyptien. Désormais, chaque reconnaissance qui s’ajoutait à la liste était une victoire pour la diplomatie algérienne. Le dernier pays à reconnaître le GPRA était la France. « Mais le jour où le gouvernement français, écrit A.Mandouze, acceptera la discussion avec le GPRA, il reconnaîtra, par là même, l’existence de l’Etat algérien ».

Pour conclure, il va de soi que la guerre d’Algérie ne pouvait pas se terminer sur une victoire militaire, que ce soit du côté français ou du côté algérien. Car le maquis algérien avait des réserves importantes pour remplacer les combattants tués au champ d’honneur. Aussi, avec un effectif atteignant un demi-million de soldats, l’armée française ne pouvait pas être non plus anéantie. Il ne restait alors qu’un terrain où la victoire pouvait se décider : la diplomatie. Sur ce terrain, le GPRA avait une argumentation plus constructive en se battant pour la liberté et l’indépendance. Ainsi, l’Algérie avait réussi, en 1954, à poser le problème du statut de l’Algérie en portant les armes et à l’emporter, en 1962, grâce à la détermination de son peuple soutenant sans vergogne sa diplomatie incarnée par le GPRA.

Ait Benali Boubekeur
18 septembre 2014

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