Après une pacification violente et un règne sans partage, l’Algérie est enfin dotée, en septembre 1947, d’un nouveau statut. Selon ses initiateurs, celui-ci permettrait d’introduire « des réformes importantes et annonce une nouvelle étape », entame Gilles Lapouge son texte dans « le Monde Diplomatique » d’avril-mai 2006. Intervenant deux ans après les sanglants événements de mai 1945, ce statut –et c’est le moins que l’on puisse dire –, de l’avis des nationalistes, est anachronique et surtout incapable de panser les blessures consécutives à la terrible répression dans l’est algérien. D’ailleurs, bien qu’il soit le plus libéral depuis l’occupation de l’Algérie, ce statut est combattu sans vergogne par tous les courants nationalistes, y compris les modérés –les amis de Ferhat Abbas et les Oulémas –, d’habitude si prompts à coopérer.

De toute évidence, au moment où la décolonisation devient un phénomène irréversible, il est tout à fait normal que les Algériens ne soient pas emballés par ce projet de loi. D’ailleurs, même s’ils le voulaient, le lobby colonial ne laisserait pas passer une telle réforme. Ainsi, malgré une contribution des « indigènes » aux efforts des deux guerres mondiales, les gardiens du temple colonial n’entendent pas desserrer la bride et encore moins accepter l’égalité avec « les citoyens de seconde zone ».

En effet, bien avant ce statut, lorsque Léon Blum, président du Conseil, a tenté d’assouplir certaines règles, le lobby colonial a réagi violemment. « En 1938, la fédération des maires et des adjoints spéciaux de l’Algérie adopta à l’unanimité une motion affirmant que les élus français du pays ne s’associeraient pas à une telle réforme si elle était adoptée », souligne Gilles Lapouge. De leur côté, les nationalistes ne se font pas beaucoup d’illusion. Ainsi, aux arguments fallacieux des colons selon lesquels le nouveau statut les livreraient poings liés aux autochtones, les nationalistes, toutes tendances confondues, estiment que celui-ci est désuet et surtout conçu pour pérenniser le système colonial.

Cela dit, bien que les partis nationalistes,  présidés par Messali Hadj et Ferhat Abbas, condamnent la loi du 20 septembre 1947, ils décident tout de même de poursuivre leur combat dans le cadre de la nouvelle loi. Hélas, dans peu de temps, ces formations vont déchanter. En effet, lors des élections à l’Assemblée algérienne le 11 avril 1948, le nouveau gouverneur, Marcel Edmond Naegelen, procède à un trucage éhonté de ces élections. C’est ce que la mémoire collective gardera sous l’expression « les élections à la naegelenne » pour parler des fraudes électorales massives.

En tout cas, ce jour-là, la fraude est telle que même les sièges du second collège –une deuxième partie de l’Assemblée où les Algériens sont censés être représentés par des Algériens –sont attribués aux candidats de l’administration. Enfin, pour parvenir à ce résultat, les arrestations des candidats du PPA-MTLD (39 candidats ont été arrêtés la veille du scrutin), l’acheminement des urnes pleines dans les bureaux de vote et les intimidations tous azimuts vont faciliter la victoire. Du coup le seul intérêt de cette élection est de montrer aux nationalistes qu’il ne peut pas y avoir de réformes sous le joug colonial. Malheureusement, à l’indépendance, cette pratique ne disparaîtra pas. En 1997, le gouvernement dirigé par Ahmed Ouyahia n’a rien à envier à son mentor Naegelen en donnant une majorité au RND, un parti créé deux mois plus tôt.

Pour conclure, il va de soi que le système colonial est incapable d’évoluer. Car, le fait de vouloir desserrer la bride, cela veut simplement dire que ce système n’a pas de raison d’être. Or, pour récompenser les efforts des « indigènes », il arrive que les autorités coloniales lâchent un peu de lest. Mais, sur place, la première difficulté est de parvenir à les imposer aux différents lobbies colonialistes. Et c’est dans ce sens-là que le statut de 1947 n’avait aucune chance d’être appliqué.

Boubekeur Ait Benali
13 septembre 2014

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