Il y a vingt-ans, les aventuriers politiques lancent le boycottage scolaire en Kabylie. Alors que le but de leur action est purement politique, le duo Ferhat-Sadi joue avec l’avenir des écoliers et sur celui de la culture berbère. En fait, le combat identitaire étant tout le temps un thème mobilisateur, les responsables du RCD, après avoir décrété la mort du MCB en novembre 1988, recréent en janvier 1994 le MCB-coordination nationale. Bien évidemment, en lançant le boycott scolaire, leur but sous-jacent ne consiste pas à œuvrer pour que Tamazight soit langue nationale et officielle. D’après eux, les enjeux sont ailleurs. D’ailleurs, pour d’autres raisons, mais qui ont un lien avec la crise politique du pays, le MCB-coordination nationale renoncera à cette revendication pour que son leader, Saïd Sadi, puisse participer à l’élection présidentielle du 15 novembre 1995.

Cependant, pour que l’on comprenne les raisons qui ont incité les initiateurs du boycott scolaire à mettre en péril l’avenir des écoliers, il faudrait analyser cette manœuvre à l’aune de la crise politique consécutive à l’arrêt brutal du processus démocratique de janvier 1992. Bien que la vie politique en Algérie se limite à son expression sécuritaire durant les deux premières années suivant le coup d’Etat, en 1994, cette orientation –et c’est le moins que l’on puisse dire – connait un certain fléchissement. Cela dit, le dialogue auquel appelle le pouvoir se limite à présenter la démarche des autorités. Or, malgré un contrôle des leviers de l’Etat, cette démarche de Liamine Zeroual inquiète à la fois les caciques du régime et une certaine opposition acquise à la culture du coup d’Etat. « Pour certains animateurs du mouvement culturel, l’agitation et le désordre qui résulteraient de ces événements n’auraient d’autre but que de faire échouer la solution politique recherchée par les négociations en cours entre le clan présidentiel –Zeroual Betchine –et les responsables du FIS », résume Alain Mahé, dans « histoire de la Grande Kabylie, XIXeme et XXeme siècles », la stratégie irresponsable des leaders du RCD.

Quoi qu’il en soit, faut-il s’étonner de cette attitude ? Depuis sa création, le parti de Saïd Sadi joue, comme le démontre Alain Mahé, la carte de la manipulation. « Les 9 et 10 février 1989, les assises qu’il faut bien  appeler le MCB/RCD, se déroulent dans ce contexte. Mais le mouvement culturel berbère n’eut même pas le temps de se figer dans le sigle MCB que les initiateurs de ses assises prononçaient simultanément son oraison funèbre et sa résurrection sous forme d’un parti politique : le Rassemblement pour la Culture et la démocratie (RCD) », souligne l’anthropologue. Toutefois, après l’échec de la mise à mort du MCB, le RCD tente de se réapproprier à nouveau le sigle MCB. Selon Alain Mahé, « c’est lors d’une manifestation organisée le 17 janvier 1994, et à laquelle avait appelé une dizaine d’associations culturelles proches du RCD, que Ferhat Mehenni proclame la création du MCB-coordination nationale ». Ainsi, après avoir déclaré en 1989 « le MCB est mort, vive le RCD », voilà que l’auteur de cette sentence se déjuge cinq ans plus tard.

En tout état de cause, bien que le véritable MCB n’ait pas déserté le terrain pendant ce temps-là, le nouveau MCB se considère derechef le seul détenteur du combat culturel. C’est dans ce contexte, et sans aucune concertation avec les partenaires politiques et associatifs de la région, que le MCB-coordination nationale –autant dire carrément le RCD –appelle le 29 août 1994 au boycott de la rentrée scolaire et universitaire. Se trouvant devant la cruelle alternative, le MCB-commissions nationale suit le mouvement deux jours plus tard. Il faut avouer que certains pièges  sont difficiles à contourner quand il s’agit notamment de défendre le patrimoine commun. En outre, bien qu’il ait une anguille sous roche, la nouvelle alliance des deux MCB est bien accueillie par la population. Quitte à sacrifier la scolarité des enfants, et pour peu que la mobilisation s’élargisse à d’autres secteurs, la Kabylie ne trouve aucun inconvénient à consentir des efforts.

Hélas, cette entente factice n’est que de courte durée. Sans vouloir revenir sur la bisbille entre le président du RCD et celui du MCB-coordination nationale –celle-ci s’est terminée par l’exclusion de Ferhat du RCD –, les deux chefs, chacun pour des raisons qui lui sont propres, cherchent à mettre un terme au boycott scolaire. Prenant tout le monde de vitesse –ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière fois que Ferhat se proclame « Rebb » de la Kabylie »–, le futur fondateur du MAK, un mouvement qui prône la scission de l’Algérie, entame des négociations avec le gouvernement Mokdad Sifi, le 22 mars 1995. Celles-ci sont sanctionnées par deux décisions majeures : la reprise des cours et la création d’un haut conseil à l’amazighité. Pour rectifier le tir, le MCB-commissions nationales appelle à une réunion de clarification le 4 avril 1995. Le MCB-coordination nationale accepte d’y participer à condition que Ferhat ne soit pas invité. Mais, au final, les dirigeants du RCD acceptent la présence de l’ancien président du MCB-coordination nationale.

Pour parer aux nouvelles fissures, les deux tendances du MCB optent alors pour une plateforme de revendication minimale et consensuelle. Désormais, seul le statut de langue nationale est exigé. « Toute négociation ne saurait se faire en dehors du cadre unitaire et transparent matérialisé par cette plateforme », écrivent les rédacteurs de la plateforme du 4 avril 1995. Hélas, pour les animateurs du MCB-coordination national, cet engagement n’est qu’une tactique. Du coup, le 22 avril 1995, lorsque le gouvernement Mokdad Sifi refuse toute concession, le MCB-coordination nationale se désolidarise du MCB-commissions nationales. « Ce refus du pouvoir a certainement été facilité par le renoncement de la coordination nationale de maintenir la revendication de statut de langue nationale pour le berbère lors des négociations, alors que cette revendication faisait partie de la plateforme revendicative cosignée quelques jours auparavant, le 4 avril. Ce renoncement apparait, de toute évidence, dicté par le souci de mettre fin au boycottage qui compromettrait la candidature de Saïd Sadi à l’élection présidentielle. De fait, le MCB-coordination nationale appela à soutenir la candidature du leader du RCD », note Alain Mahé.

Eprouvant une délectation à prendre sa revanche sur ceux qui l’ont attaqué le mois précédent, la riposte vient de l’ancien président du MCB-coordination nationale, Ferhat Mehenni. Dans une déclaration à la presse, il souligne que « la coordination nationale vient de s’approprier toute honte bue notre proposition de conseil national à l’amazighité et à la langue amazighe, qu’elle dénonçait violemment il y a encore quelques jours… il parait clairement que Saïd Sadi, tuteur politique de cette tendance, fait le jeu du pouvoir en tentant de détourner au profit du régime le fruit d’énormes sacrifices communs ». En effet, mis à part l’intitulé de l’organisme –conseil dans l’accord signé par Ferhat et commissariat dans celui signé par le MCB-coordination nationale –, il n’y a aucune différence entre les deux accords.  Enfin, le 27 avril, le RCD et l’ex-PAGS –un parti connu pour son soutien critique ou franc au régime –appellent à la reprise des cours. Sur le terrain, seules manifestations de soutien à l’arrêt du boycott scolaire sont autorisées. Et c’est ainsi que se termine l’une des grandes manipulations politiques du siècle.

Pour conclure, il va de soi que l’appel au boycott scolaire ne s’inscrit pas dans une démarche visant à glorifier la culture berbère. Bien que les initiateurs de cette action, en l’occurrence Saïd Sadi et Ferhat Mehenni, soient connus pour leur engagement pour la cause, il n’en reste pas moins que depuis la création de leur parti, la revendication culturelle sert davantage leur démarche partisane. Mais, là où le bât blesse, c’est le fait qu’ils embarquent dans leur délire des innocents. Cela dit, si le premier s’est « retiré de la politique », le second ne lâche rien. Ainsi, tant qu’il est vivant, il exploitera la moindre faiblesse pour asseoir son emprise sur la Kabylie. En effet, vingt-ans après le boycott scolaire, et alors que les blessures ne sont pas encore cicatrisées, il s’autoproclame président de la Kabylie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce délire est encore de loin très grave que celui du boycottage scolaire.    

Boubekeur Ait Benali
30 août 2014

Un commentaire

  1. RE: Pour que nul n’oublie le boycott scolaire en Kabylie
    Merci monsieur Ait Benali d’avoir apporté courageusement ce témoignage. Les kabyles, comme tous les algériens sont soucieux de préserver leur richesse linguistique, de préserver la langue kabyle, mais ne sauraient aucunement accepter une scission de la Kabylie ni se dissocier de l’islam pour suivre des hommes qui ont transgressé la première valeur des kabyles, le NIF et le chlaghem (symbole de l’honneur). Comment espèrent-ils obtenir l’alliance des kabyles, eux qui pour commencer se sont alliés avec les sionistes? Je me demande d’ailleurs pourquoi personne au gouvernement ne demande des comptes à Farhat Mehenni.

Exit mobile version