« Nous attirons l’attention des militants sur le point suivant : le FLN n’est pas la reconstitution du MTLD. Le FLN est le rassemblement de toutes les énergies saines du peuple algérien », tract du FLN rédigé par Abane Ramdane en juin 1955.

D’emblée, la tête pensante du FLN donne un sens à la nouvelle formation, créée six mois plus tôt. Pour lui, la victoire sur le colonialisme sera l’œuvre du peuple algérien. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette déclaration –bien qu’elle ne puisse être remise publiquement en cause par quiconque –lui vaut des inimitiés. Et pour cause ! Une certaine classe politique, dont le chef de fil n’est autre que Ben Bella, n’envisage le rassemblement qu’à la condition qu’elle détienne les rênes. Ce qui est évidemment antinomique avec l’objectif assigné à la révolution, à savoir la libération du peuple algérien de toute forme de sujétion.

Toutefois, est-ce que tous les dirigeants sont animés par le même sentiment ? Heureusement que ce n’est pas le cas. Sinon la révolution n’aurait même pas vu le jour. Cela dit, intervenant dans un climat de division, celle-ci a été déclenchée dans la précipitation. En effet, le fossé étant insurmontable entre les messalistes et centralistes, un groupe d’activistes passe alors à l’action directe. Mais, en déclenchant l’action au nom du peuple algérien, ce groupe, lié d’après Ben Bella par un contrat moral, peut-il être le seul dépositaire de la révolution ? Le mouvement étant populaire, chaque algérien devrait normalement prétendre aux responsabilités.

Quoi qu’il en soit, depuis l’arrivée d’Abane Ramdane au front, sa priorité est de créer un rassemblement de toutes les forces vives de la nation sous l’égide du FLN. Pour qu’il n’y ait aucun malentendu, il avertit clairement les modérés, dont l’UDMA de Ferhat Abbas et les Oulémas de Bachir El Ibrahimi. « Elle (l’administration coloniale) espère par l’intermédiaire des Abbas, Kiouane et autres Messali, arrêter l’action de l’Armée de libération nationale moyennant quelques réformes politiques. C’est là une erreur grossière. L’Armée de libération nationale ne reconnait à personne le droit de parler en son nom…Que ceux qui veulent aussi avoir cet honneur retroussent les manches et mettent la main à la pâte », annonce-t-il dans le même tract.

Par ailleurs, pour ramener tout ce beau monde au FLN, le Jean Moulin algérien ne lésine pas sur les efforts. Bien que la discussion avec les formations modérées doive se conclure par la dissolution de celles-ci et par l’adhésion de leurs éléments au front de façon individuelle, Abane Ramdane les traite avec respect. En réponse à une lettre de la délégation extérieure, rédigée par Mohamed Khider, où le rédacteur semble se méfier des formations modérées, Abane Ramdane rejette uniment ces mises en garde. Dans le troisième point critique du rapport politique, le fils d’Azouza répond ceci : « UDMA-Ouléma. C’est inexact. Ce ne sont pas des organisations disloquées, ils ont rallié le FLN en masse. Ferhat Abbas par ex. fait le travail d’un militant de base du front. Il collecte lui-même de l’argent au nom du front et le verse directement à un jeune militant du front. »

Dans ces conditions, il est normal que les nouveaux éléments, qui intègrent le FLN en risquant leur vie au même titre que les premiers baroudeurs, puissent prétendre aux responsabilités au sein du mouvement de libération. En tout cas, ce problème est posé par les dirigeants qui ne sont pas au cœur de l’action. En revanche, cette question ne se pose pas pour les dirigeants de l’intérieur. Pour eux, la priorité est de doter la révolution d’un programme politique clair et des institutions dignes des grandes révolutions.

Pour conclure, il va de soi que tous les dirigeants ne sont pas obsédés par le pouvoir. Cela dit, si certains, à l’instar d’Abane ou de Ben Mhidi, pensent que la révolution est le bien commun des Algériens, d’autres dirigeants, comme Ben Bella, se projettent déjà dans l’après-guerre. Hélas, la victoire de la ligne politique défendue par Abane-BenMhidi n’est que de courte durée. A l’indépendance, le pouvoir revient aux plus violents. Résultat des courses : le peuple algérien est dépossédé de son indépendance. Et le plus grave, c’est que cette situation dure encore, cinquante-deux ans après l’indépendance.  

Boubekeur Ait Benali
20 août 2014

Comments are closed.

Exit mobile version