« Dans cette phase finale, où prend fin le tête-à-tête avec l’Etat colonial, la direction du FLN va imploser. L’image d’unité, forgée dans la guerre, ne résiste plus lorsque s’approche la possibilité de prendre le pouvoir », Benjamin Stora, dans « histoire de la guerre d’Algérie 1954-1962 ».

Cette phase à laquelle fait allusion l’historien, natif de Constantine, connait son point de non-retour un certain 22 juillet 1962. Dans leur course effrénée pour le pouvoir, le duo Ben Bella-Boumediene proclament illégalement la naissance du bureau politique (BP), « habilité à assurer la direction du pays ». Et pourtant, ce duo n’a pas plus de légitimité que les autres dirigeants. Bien que Ben Bella soit un chef historique, la collégialité du mouvement de libération ne lui donne nullement le droit de s’emparer des rênes du pouvoir. De la même manière, en termes de compétences, ils ne sont pas plus méritants que leurs compagnons de lutte. En revanche, leur seul avantage est indubitablement d’être à la tête d’une armée stationnée aux frontières depuis 1957. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que son unification, en janvier 1960, sous la houlette de Houari Boumediene, s’avère a posteriori une mauvaise affaire. Car, une armée qui soutient un homme ne peut pas être, en même temps, au service du peuple.

Toutefois, pour mieux comprendre la genèse de ce coup de force, il faudrait rappeler succinctement comment la prise du pouvoir a été envisagée avant même que le cessez-le-feu n’ait été proclamé. En effet, à quelques mois de l’arrêt des combats –ce qui correspond à la période des négociations –, Houari Boumediene, à la tête de l’armée des frontières, manœuvre en coulisse. Pour ce faire, il charge Abdelaziz Bouteflika de sonder les cinq chefs historiques, emprisonnés depuis octobre 1956. Citant Rédha Malek, Mustapha Benfodil écrit : « Contrairement à Boudiaf et Ait Ahmed qui refusent de marcher dans la combine, Ben Bella, lui, n’a pas d’état d’âme. Il s’aligne sur l’état-major. »

Cependant, bien que la négociation avec la France paraisse inéluctable, pour le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) comme pour l’EMG (état-major général) –comment parvenir d’ailleurs à l’indépendance quand les ¾ des effectifs de l’ALN, vers la fin de la guerre, se trouvent à l’extérieur –, les chefs de l’EMG attendent le moment opportun pour confisquer le pouvoir. D’ailleurs, l’échec du congrès de Tripoli, qui s’est tenu du 28 mai au 6 juin 1962, est dû à l’opposition des légalistes à légaliser le coup de force du duo Ben Bella-Boumediene. En fait, malgré le chantage de Ben Bella, la commission Benyahia, censée présenter une liste de 7 personnes pour former le bureau politique, n’a pas réussi à dégager une liste consensuelle.

A-vrai-dire, le blocage venait principalement du duo fort du moment, Ben Bella et Boumediene. Et si ces derniers voulaient une direction unitaire, il suffirait qu’ils acceptent d’intégrer Krim Belkacem au BP, et ce, à la place de Mohammedi Saïd. Un mois plus tard, cette proposition est renouvelée derechef par le conseil de la wilaya 3 lors de la réunion du 17 juillet 1962 à El Asnam. « La 3 acceptait le bureau politique mais elle demandait le remplacement de Mohammedi Saïd par Krim, demande impossible à satisfaire pour Ben Bella sauf à accepter de laisser entrer le loup dans la bergerie », écrit Gilbert Meynier, dans « histoire intérieure du FLN ».  

Cependant, craignant d’être pris de vitesse par le bureau du CNRA (conseil national de la révolution algérienne), qui entend convoquer une session ordinaire pour le 2 aout 1962, le duo Ben Bella-Bouemdiene passe illico à l’offensive. Le 20 juillet, les membres du CNRA, acquis à Ben Bella et Bouemdiene, signent une déclaration dans laquelle ils s’autoproclament dépositaires de la révolution algérienne. « Le soir du 22, à la villa Rivaud et en pleine panne d’électricité, Boumendjel lut à la lumière des bougies un long communiqué s’appuyant sur la motion de défiance du 7 juin et annonçant que le bureau politique assumait désormais ses responsabilités nationales », note encore Gilbert Meynier.

Mis devant le fait accompli, les membres du GPRA qualifient alors la nomination du BP de coup de force. De leur côté, les conseils de wilayas historiques n’approuvent pas ce passage en force. Or, malgré ces oppositions, la coalition Ben Bella-Boumediene ne recule devant rien. Pire encore, une semaine après la proclamation du BP, les deux compères élaborent un plan militaire pour écraser la résistance intérieure. Une victoire amère puisque des Algériens tuent des Algériens pour la prééminence d’un groupe sur l’Algérie.

Pour conclure, il va de soi que l’idée même de créer un bureau politique est porteuse de discorde. A partir du moment où le GPRA a négocié, au nom du peuple algérien, l’indépendance du pays, il est normal qu’il régisse la période de transition, allant du cessez-le-feu jusqu’à l’élection de l’Assemblée nationale constituante. En revanche, si jamais le GPRA ne compte pas respecter la volonté du peuple algérien, toute opposition au GPRA sera alors légitime. Hélas, nos pseudos révolutionnaires de palace n’ont pas donné la chance à la légalité. Après avoir évincé le GPRA dans le premier temps, le duo Ben Bella-Boumediene écarte ensuite le peuple algérien de la gestion de ses affaires. Ainsi, tous les efforts qui ont été consentis pour mettre fin à la tutelle coloniale sont vains. 52 ans plus tard, le peuple algérien reste toujours assujetti.  

Boubekeur Ait Benali
22 juillet 2014

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