Il est trop tard, voire ludique et frivole de parler des élections présidentielles d’avril 2014.

Le Chef de l’Etat avait le droit de se présenter car la constitution algérienne lui garantit bel et bien ce droit. C’est la rhétorique qu’emploient les larbins d’El Moradia, à l’instar d’Amara Benyounes, qui a réclamé ce droit en disant que l’Algérie est une démocratie, non sans détour et à haute voix.

Cependant, ces sbires du système oublient souvent, occultent à vrai dire le fait que cette constitution est le fruit de leur besogne à huis clos. Bouteflika, par le biais des députés du FLN & Co., a « violé » la constitution afin de légitimer ses deux derniers mandats. Avec cette manœuvre, le « jeu démocratique » en Algérie se trouvait d’ores et déjà miné contre le principe d’alternance. Ce dernier se concrétise, en fait, par un système politique au pouvoir et une opposition qui joue le rôle d’un contrepoids.

Ce modèle d’alternance, malgré ses lacunes, est censé répondre aux attentes des citoyens, à savoir le contrôle et la surveillance de l’élite au pouvoir (économique, politique et militaire). Donc, dire que Bouteflika a le « droit » de se présenter comme un simple candidat et que le peuple « doit » respecter ce droit, que lui garantit la constitution, est une tromperie inédite pour notre « République ».

Par ailleurs, l’hypothèse qui consiste à dire que Bouteflika est la victime de son clan, qui veut le garder aux commandes de l’Etat afin de préserver ses avantages, reste très fondée. Il n’est pas du tout exagéré de penser que Bouteflika n’a plus les capacités mentales, ni physiques d’ailleurs, qui lui permettent de prendre une telle décision, rester à la présidence. Il est certainement manipulé par son petit frère, Saïd, qui est considéré actuellement, et à juste titre, comme le vrai décideur en Algérie. D’ailleurs depuis l’arrivée de Bouteflika au pouvoir, le système de gouvernance en Algérie n’est pas trop loin de celui des monarchies arabe. Cela nous renvoi directement aux longs séjours de Bouteflika dans cette région du monde.

Mais, je vais essayer de dépasser ce stade pour aller un peu loin à travers une analyse plus pragmatique des faits. Poser des questions au lieu de projeter de simples faits. Il est, en effet, très utile de faire une analyse géopolitique dans une approche globale. Il faut, donc, analyser ce quatrième mandat sous un angle englobant l’influence qu’exercent certaines puissances étrangères sur la politique nationale algérienne. Nous trouvons d’un côté les pays occidentaux (les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne) et, de l’autre côté, le bloc sino-russe.

Nous devons se mettre d’accord sur le fait que si Bouteflika s’est présenté pour un quatrième mandat, c’est qu’il a eu le soutien de certains pays étrangers. L’Algérie a, en effet, une souveraineté très limitée comme nous avons pu le constater avec les déclarations du président français, Hollande, et de son ancien Premier ministre, Ayrault, sur la santé de Bouteflika. Comme si l’Algérie est « encore » un département français. Cependant, il s’agit de l’exception algérienne, comme l’expliquent certains intellectuels. Mais elle est due exactement à quoi cette exception ?

Si nous prenons la position de l’Occident vis-à-vis de l’Algérie, nous allons juste confirmer une analyse de Mr Hocine Malti sur cette question. En effet, suite à l’attaque terroriste de Tiguentourine, les puissances occidentales ont exigé la réorganisation du DRS pour assurer davantage la sécurité de leurs multinationales (Etats-Unis, France, UK…). Malheureusement nous avons constaté que l’Occident a eu bien ce qu’il voulait ! Le DRS est affaibli et plusieurs de ses membres sont mis en retraite, s’ils ne sont pas poursuivis en justice. On apprend également, via le journal El Watan, qu’il y a des dizaines d’officiers qui seront mis à la retraite d’ici le 27 juin. Mais il reste à savoir que ces manouvres ne sont pas dues au simple hasard !

Je pense que pour avoir le parrainage de son quatrième mandat, Bouteflika a passé un « marché » avec certains pays Occidentaux, dans l’optique d’assurer encore leurs intérêts en Algérie. La visite du secrétaire d’Etat américain John Kerry est la meilleure preuve qu’on peut avoir. Je tiens à signaler, au passage, que Bouteflika s’est forcé de se relever pour saluer Mr Kerry. Mais il n’a pas trouvé nécessaire de se remettre debout en saluant le drapeau national le jour de son investiture. C’est juste pour vous dire à quel point il méprise le peuple et les symboles de la nation.

Il faut aussi rappeler que les politiques Occidentaux se « moquent » de qui gouverne réellement l’Algérie si leurs intérêts sont bien protégés. Donc les personnes qui pensent que Bouteflika est la sécurité de l’Algérie contre l’emprise de l’Empire (i.e. l’Oligarchie Internationale), doivent revoir leurs lectures géopolitiques. Car si l’Occident avait attaqué la Libye, c’est parce que Kadhafi ne faisait plus passer ses intérêts avant ceux de son peuple, étant d’ailleurs le plus développé en Afrique. Et qu’il avait des projets pour le développement de l’Afrique qui dérangeaient notamment les puissances occidentales. Il s’agit essentiellement de son projet pour l’instauration du « dinar-or » dans les transactions sur le marché pétrolier, à la place du dollar américain.

A cet effet, dire que ce Système, à sa tête le clan de Bouteflika, protège l’Algérie contre l’Empire revient à jouer son jeu, à savoir lui assurer la continuité de ses intérêts. Mais celui-ci, notons-le aussi, n’hésitera pas à mettre l’Algérie à feu et à sang pour protéger ses intérêts vitaux. Cela dit, il n’est pas conseillé de chercher trop loin pour comprendre la vision de l’Empire, car ses seuls intérêts dont nous parlons ici sont les énergies fossiles et les 200 milliards de dollar de réserves de changes.

Dans le même ordre d’idée, à peine son quatrième mandat validé, on peut remarquer si facilement que les puissances occidentales viennent d’obtenir un retour sur investissement. Car le chef de l’Etat veut accélérer, coûte que coûte, l’exploitation du gaz de schiste où moment même où la France l’a interdite sur son territoire, mais qui est prête à le faire en Algérie ! Il y a aussi un vif débat qui emballe les américains sur les dangers de ce gaz, comme on a pu le constater grâce à l’excellent film Promised Land.

Mais le clan de Bouteflika ne ménage pas d’effort pour rassurer ses alliés occidentaux. Il veut ôter toutes les entraves concernant l’adhésion de l’Algérie à l’organisation mondiale du Commerce (OMC). La suppression de la règle 51/49 pour les investissements étrangers est juste la première phase. Chose qui risque de détruire complètement le peu de l’économie qu’a l’Algérie aujourd’hui.

Par ailleurs, ayant connaissance des intérêts français en Algérie, les nombreuses et récurrentes visites des différents ministres français, me laissent trop perplexe. Le gouvernement, toujours dans sa soumission, a annoncé qu’il va investir 8 milliards d’euro dans le secteur public. Mais, étrangement, l’annonce a été faite en présence du patron du Quai d’Orsay, Mr Fabius. C’est, tout simplement, une autre façon de dire aux hommes d’affaires français : venez, l’Algérie a 8 milliard d’euro pour vous. Cela va certainement donner un nouveau souffle au chaotique mandat du président Hollande. L’Algérie est, encore une fois, à la rescousse de la France et dans une alliance sans faille, depuis l’assassinat d’Ali Mecili à Paris en 1987 (cf. Lounis Aggoun).

Cependant, si les pays occidentaux avaient intérêt à soutenir, implicitement, le quatrième mandat de Bouteflika, pour les raisons que je viens d’évoquer, alors quel est l’intérêt de la Russie et de la Chine, deux poids lourds dans l’équation géopolitique mondiale ? La réponse se trouve en Syrie. Le conflit syrien a duré si longtemps parce que la Russie et la Chine, avec leurs deux vetos, étaient et sont un soutien, sans égal, au régime syrien. L’Etat algérien n’est pas trop différente de celui de la Syrie. Car les deux Etats sont des régimes répressifs et autoritaires. Cela va sans dire que je soutiens les rebelles Syriens ! Loin de là bien sûr ! Ces rebelles, notons-le au passage, sont le bras armé des pays Occidentaux et des monarchies arabes takfiristes dans cette région stratégique.

Revenons à l’Algérie. Elle est, en fait, le premier acheteur d’armes russes en Afrique, avec des contrats à des dizaines de milliards de dollars. Le dernier contrat en date a dépassé 10 milliards de dollars. Cela dit, le cas de la Chine ne diffère pas beaucoup de celui de la Russie de fait qu’elle est le premier fournisseur de l’Algérie avec 4.95 milliard de dollars en 2013. Ce bloc sino-russe, à l’instar des pays occidentaux, va certainement protéger, et à juste titre, ses marchés en Algérie. Les intérêts économiques passent avant toute autre considération humaine et morale. Ils n’ont rien à gagner avec un autre système, démocratique ou non, en Algérie car le changement politique risque d’être fatal pour leurs intérêts.

A cet effet, promettre aux puissances étrangères la préservation de leurs marchés en Algérie est un gage très intéressant, qui a pu les soudoyer si facilement. Elles ont, en conséquence, accepté de parrainer ce quatrième mandat de Bouteflika.

Certaines personnes pensent que l’Algérie risque un chaos total si la population ose sortir dans les rues pour exprimer sa colère et son désarroi et qu’il ne faut pas aller dans ce sens afin de préserver l’unité de l’Algérie. Il y a du vrai en cela ! Certains le disent de bonne foi et d’autre pour assurer la continuité de leur gains. Cependant, l’Algérie est d’ores et déjà au bord du gouffre. La population souffre en silence depuis longtemps. L’injustice est à son paroxysme ! La corruption a gagné tous les domaines et gangrène de plus en plus la société algérienne. Donc, tous les ingrédients d’une colère populaire et d’une explosion sociale sont réunis par ce même système, en place depuis 1962.

Alors le meilleur moyen d’éviter un désastre et le scénario Syrien, c’est de faire passer l’intérêt de la nation avant celui de ses Hommes. Pour y arriver, il faut injecter un nouveau sang dans le corps politique algérien. Une sortie pacifique est nécessaire, voire c’est une condition sine qua non pour arriver à un nouveau cap. Il faut un consensus national sur la primauté d’un changement pacifique et une rupture radicale et sans appel avec le système actuel. Tout ça passe, nécessairement, par l’élévation du débat politique en Algérie. La nécessité d’élever la conscience politique et civique de nos citoyens est aussi primordiale pour un changement réel. Faut-il rappeler encore ce que disait Spinoza, en 1677: « on ne naît pas citoyen, on le devient ».

Nous n’avons pas besoin d’un bain de sang pour instaurer un véritable changement en Algérie car ceci doit être une évidence après 52 ans d’indépendance. Rappelons-nous que Hosni Mobarak avait promis aux Egyptiens des « changements politiques » et une « retraite politique» à la fin de son mandat. Mais la foule ne l’a pas entendu de cette oreille. La suite vous la connaissez et le résultat est plus que désolant.

Je ne parlerai pas du rôle de la population dans cette mascarade. Car je crois qu’elle est la victime d’une manipulation et un chantage à sa sécurité pendant des années. Du football à la peur, le système utilise divers moyens pour exclure la population du champ politique. « La politique [surtout en Algérie] est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde » disait Paul Valéry. Cependant, la passivité du peuple, notamment lors de la violation de la constitution, reste une tâche de honte, qui incombe au peuple d’effacer le plus vite possible. Car nos enfants doivent vivre sur terre prospère et sereine, qu’ils méritent.

Pour résumer. Le Chef de l’Etat (et/ou son clan) a osé cette besogne parce qu’il a eu l’accord des puissances étrangères après, bien sûr, avoir passé un accord assurant la continuité de leurs intérêts. Je crois avoir montré, sans être le seul à le faire, qu’il est une véritable menace pour la stabilité du pays, et non l’inverse. Nous n’avons rien à attendre des puissances étrangères, car nous devons juste assumer nos devoirs nationaux et même notre notoriété planétaire de l’après-guerre de libération national. Il ne faut pas oublier ou nier que nous étions auparavant un exemple et avions inspiré de nombreux peuples dans leur lutte pour l’autodétermination. Au final, nous devons « juste » reprendre notre destin en main.

Pour ce qui est de la révision et de la nouvelle constitution, que veut élaborer Bouteflika, c’est juste de la poudre aux yeux. « Le reste c’est du folklore », disait Mouloud Mammeri.

Nabil de S’Biha
11 juin 2014

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