Dans les pays de l’Afrique du nord, les élections se suivent, mais elles n’apportent aucun changement. On peut même se demander s’il n’y a pas une espèce de malédiction qui frappe ces pays. Ainsi, à l’exception de la Tunisie, dont le processus n’est pas encore achevé, les autres pays vivent sous les régimes autoritaires. Bien que l’Egypte ait failli échapper à ce sortilège en chassant Moubarak du pouvoir en 2011, les militaires égyptiens – comme ce fut le cas en Algérie en 1992 – ont refermé cette parenthèse démocratique depuis le coup d’Etat du 3 juillet 2013. Dans ces conditions, que peuvent représenter des élections organisées par les auteurs du putsch contre le président légitime, Mohamed Morsi ?

De toute évidence, en dépit d’un score brejnévien – 96% de suffrages exprimés « en faveur » du maréchal Al Sissi –, force est de reconnaitre que les Egyptiens ont tourné le dos à cette supercherie électorale. En effet, le fort taux d’abstention indique le fossé séparant les putschistes de la population. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la cassure devient de plus en plus béante. Et pour cause ! Les dirigeants militaires ont mis en sourdine l’activité politique depuis juillet 2013.

Cependant, pour étouffer toute voix discordante, les nouvelles autorités mènent une politique répressive dépassant de loin celle qui a été mise en place sous Moubarak. « Depuis le 3 juillet, plus de 1400 manifestants pro-Morsi ont péri sous les balles des policiers et soldats, plus de 15000 Frères musulmans ont été emprisonnés et des centaines condamnés à mort lors des procès de masse expédiés en quelques minutes », écrit Alain Gresh dans un article au « Monde Diplomatique ».

D’une façon générale, bien que le pouvoir sous Morsi ne soit pas forcément un modèle à louer, il n’en demeure pas moins que sa victoire était avant tout le triomphe de la démocratie. Car, au second tour du scrutin présidentiel du 24 juin 2012, 52% des électeurs se sont déplacés aux bureaux de vote afin, rappelons-nous, de choisir entre le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, et le candidat de l’armée, Ahmed Chafik.

Toutefois, n’ayant qu’une majorité relative (les Frères musulmans n’ont recueilli que 47% lors des élections législatives de janvier 2012), il est normal que l’opposition réprouve les orientations politiques préconisées par la majorité parlementaire. A la limite, cette opposition est uniment dans son rôle. Et pour peu que la contestation se fasse dans le cadre constitutionnel, la moindre entrave à son action pourrait être interprétée comme un abus de pouvoir.

Hélas, pour sauver des intérêts occultes – les Algériens en savent quelque chose –, le haut commandement militaire profite de la mobilisation de la jeunesse égyptienne pour mettre un terme au processus démocratique. En tout cas, malgré les tentatives des Frères musulmans d’imposer leur propre vision, ce coup d’Etat contre le seul président élu démocratiquement marque la fin de la révolution du 25 janvier 2011.

Du coup, comme dans tous les systèmes répressifs, l’armée concentre entre ses mains les pleins pouvoirs. Selon Alain Gresh, « le renversement de Morsi n’a pas élargi le pluralisme des médias en Egypte. Au contraire, une demi-douzaine de chaines a été interdite, des journalistes arrêtés, les médias étrangers dénoncés avec les mêmes accents que la presse officielle. » En tout cas, c’est dans ce contexte délétère que le maréchal Al Sissi annonce sa candidature, le 31 mars dernier, pour le scrutin présidentiel prévu les 27 et 28 mai 2014. Comme pour le candidat du régime algérien, le maréchal Al Sissi justifie sa candidature en répondant aux appels incessants du peuple. Comme en Algérie, le seul enjeu de l’élection se résume au taux de participation.

Quoi qu’il en soit, malgré un discours nationaliste axé principalement sur la protection des Egyptiens contre le terrorisme, le peuple égyptien ne suit pas le maréchal dans son délire. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette attitude agace les partisans du régime. Certains vont jusqu’à traiter les abstentionnistes de « traitres ». Car, après deux jours de vote, le taux de participation ne dépasse guère les 37%. Pour, soi-disant, permettre au plus grand nombre d’électeurs de prendre part au scrutin, les autorités prolongent l’opération de vote d’une journée.

Cette disposition est évidemment illégale. Les Egyptiens, qui refusent de courber l’échine, la condamnent sans ambages. En effet, sur le plan juridique, les opposants à cette mascarade évoquent la contradiction de cette prorogation avec « l’article 10 de la loi sur l’élection présidentielle ». En fin de compte, bien que le taux de participation ne dépasse pas celui qui a permis la victoire de Mohamed Morsi le 24 juin 2012, le nouveau chef de l’Etat égyptien peut se consoler d’avoir réuni 23 millions d’électeurs sur 59 millions inscrits. Dans ce cas, peut-il gouverner avec une minorité quand lui-même a déposé Mohamed Morsi au motif qu’il s’appuyait sur ses partisans pour gouverner? En réalité, la minorité du maréchal vaut plus que toutes les majorités dans la mesure où il a une armée qui le soutient.  Du coup, la différence entre les deux hommes réside dans la possession de la puissance de feu.

En somme, il est clair que la joute présidentielle n’a pas pour but de consolider l’assise démocratique en Egypte. Malgré le désaveu, le nouveau régime va revenir sur tous les acquis de la révolution du 25 janvier 2011. Est-ce que les Egyptiens acceptent-ils que leurs sacrifices soient balayés d’un revers de la main ?  Comme en juin 2013, est ce qu’ils vont demander le départ du nouveau régime si les résultats économiques sont en deçà des attentes ? Enfin, quelle que soit l’ampleur de la contestation, il sera difficile de faire partir le maréchal.  

Boubekeur Ait Benali
7 juin 2014

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