Le 18 avril 1955, la conférence de Bandoeng regroupe vingt-neuf pays qui se démarquent des deux blocs en lutte. L’un est incarné par les USA et l’autre par l’URSS. A cette conférence, plusieurs chefs, de renommée internationale, y prennent part. Parmi les plus réputés, on peut citer le président chinois Chou Enlai, le président indien Jawaharlal Nehru, le président égyptien Gamal Abdenasser, etc. A cette pléiade de grands chefs, la délégation extérieure du FLN, représentée à cette occasion par Hocine Ait Ahmed et M’hamed Yazid, donne à l’Algérie en guerre la dimension d’un véritable Etat.

Cela dit, pour un mouvement naissant –l’action armée a été déclenchée six mois plus tôt –, la tâche n’est pas une simple sinécure. Contrairement à notre génération qui courbe facilement l’échine devant l’injustice, la génération de novembre 1954 est capable de consentir des sacrifices pour que l’Algérie recouvre sa dignité. A ce titre, la révolution algérienne peut compter sur les talents d’un organisateur hors-pair, Hocine Ait Ahmed. En 1953 déjà, il a été à la tête de la délégation du PPA-MTLD, le principal parti indépendantiste, à la conférence de Rangoun, en Birmanie.

Naturellement, après le déclenchement de la révolution algérienne, l’action diplomatique échoit aux mêmes membres, qui sont aussi, pour rappel, membres fondateurs du FLN. Celle-ci est renforcée, dans le premier temps, par les centralistes, M’hamed Yazid et Hocine Lahouel. Ainsi, bien que l’action sur le terrain soit primordiale pour les allumeurs de la mèche, l’action diplomatique n’est pas négligée. « Pour parvenir à ses fins, le FLN aura deux tâches essentielles à mener de front et simultanément : une action intérieure (…) et une action extérieure en vue de faire du problème algérien une réalité pour le monde entier avec l’appui de tous nos alliés naturels », écrivent les membres fondateurs du FLN historique, le 1er novembre 1954.

Toutefois, s’il est plus facile d’énoncer les grandes actions, il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de mettre les plans en exécution. Bien que le FLN historique renferme en son sein des grandes potentialités, force est de reconnaitre que la tâche n’est pas aisée. Selon Ferhat Abbas, dans son fabuleux livre « l’autopsie d’une guerre », il faut toute la détermination de Hocine Ait Ahmed pour faire participer l’Algérie à la conférence de Bandoeng.  Car, les Egyptiens ne veulent pas que la révolution algérienne leur échappe. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en dépit du chantage du pays hôte, le chef de la délégation extérieure, épaulé par M’hamed Yazid, ne se laisse par embrigader.

Ainsi, dès le début de l’année 1955, Hocine Ait Ahmed et M’hamed Yazid déploient tous leurs efforts en vue de faire participer l’Algérie à la conférence de Bandoeng, prévue en avril 1955. Malgré les réticences exprimées par certains participants à la conférence, à l’instar du président Nehru, les délégués du FLN n’abdiquent pas. Pour transcender les difficultés, les deux représentants du FLN se partagent le travail. A-vrai-dire, c’est Hocine Ait Ahmed, en tant que chef de la délégation extérieure, qui fixe le cap. En effet, devant le risque que le FLN ne prenne pas part à la conférence, Hocine Ait Ahmed charge M’hamed Yazid de rentrer au Caire afin d’informer les autres responsables du parti. Quant à lui, il décide de rester sur place. Décrivant un engagement sans faille, Ferhat Abbas, en parlant de Hocine Ait Ahmed, écrit : « Il effectue un immense travail d’information. Il se rend à Bombay, à Calcutta et développe le point de vue algérien. »

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que leurs efforts ne sont pas vains. Au bout de quatre mois d’intense activité, Hocine Ait Ahmed et M’hamed Yazid, en compagnie des délégués Tunisiens et Marocains, participent à la conférence des non-alignés. Ne se contentant pas de jouer un rôle de figuration, les délégués du FLN parviennent à inscrire la question algérienne au débat. « La résolution finale parle de l’appui donné par la conférence asiatique et africaine aux peuples d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. Quatre hommes d’Etat de dimension mondiale : Nehru, Chou Enlai, Soekarno, Nasser, avaient été convertis à notre thèse. Ait Ahmed, patient et persuasif, avait expliqué la « duplicité » du régime colonial appliqué à l’Algérie et rallié la conférence à notre juste cause », note Ferhat Abbas.

Quoi qu’il en soit, joignant l’acte à la parole, les non-alignés ne se limitent pas à un soutien hypocrite. En fait, trois mois après la conférence de Bandoeng, quatorze chefs d’Etat écrivent une lettre dans laquelle ils demandent au secrétaire général de l’ONU d’inscrire la question algérienne à l’ordre du jour de la session ordinaire de l’Assemblée générale. Malgré l’opposition des alliés de la France, à l’instar des USA, de la grande Bretagne, l’Assemblée générale accepte d’en débattre. Ainsi, le 17 septembre 1955, la question algérienne prend définitivement une dimension internationale. Pour couronner le tout, Ait Ahmed ouvre, dans la foulée, le bureau du FLN à New York.

Malheureusement, quelques mois plus tard, le père de la diplomatie algérienne sera arrêté. En déplacement à Tunis pour participer à la conférence inter-maghrébine, l’avion qui le transporte, en compagnie de Ben Bella, Boudiaf, Khider, Lacheref, est détourné par l’armée française. Pour frapper la révolution à la tête, celle-ci invente alors la piraterie aérienne. Cela dit, bien que la délégation extérieure soit amoindrie, sur le plan diplomatique, la voix de l’Algérie ne s’éteint pas. Et pour cause ! Le successeur de Hocine Ait Ahmed, M’hamed Yazid, continue dans le même sillage. Ainsi, malgré les embûches et les pressions tous azimuts, les diplomates algériens vont réussir leur pari : faire accepter à la France coloniale le droit du peuple algérien à l’autodétermination.  

Pour conclure, il va de soi que l’action diplomatique ne peut pas être séparée de l’action armée dans le cas du conflit algérien. Toutefois, compte tenu de la disparité des moyens entre les deux pays, il est normal que les chefs de la révolution parient sur la victoire diplomatique. A ce propos, la conférence de Bandoeng représente le premier succès pour le FLN. Grâce aussi à la persévérance des diplomates algériens, les victoires se suivent. En 1962, ils parviennent à recueillir le fruit de leur travail, en signant les accords de cessez-le-feu. Ainsi, après avoir posé le problème militairement en 1954, l’Algérie, grâce à la mobilisation de toutes les forces vives, accède à son indépendance. Enfin, sans l’acharnement de certains aventuriers, cette indépendance aurait pu profiter à l’ensemble des Algériens.  

Boubekeur  Ait Benali
19 avril 2014

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