Commençons par le nouveau : le wali libéré. Sa sortie médiatique vient mettre en exergue le malaise généralisé qui englobe le pays dans l’espace et le temps. Il me rappelle un événement des années 80 du siècle passé. Un wali du temps a décidé de faire bénéficier son chef-lieu de wilaya d’un parc d’attraction qui renfermerait une quantité d’animaux de tous genres. Il réunit son exécutif et leur fit part de son idée : mettre un lion d’Afrique dans le parc. Un membre de l’exécutif leva timidement la main. Lorsqu’il eut la parole, il expliqua que le lion demanderait une quantité assez importante de viande et que notre région ne pourrait assurer tant elle était pauvre en ânes. La réplique ne se fit pas attendre : alors je vous donnerai au lion ! Tout le monde se mit à rire aux éclats. Le bonhomme qui nous rapportait les faits ajoute : vous avez vu. Il les a traités d’ânes et ils ont ri. Plutôt ils ont brait-hihan, hihan ! Un de ceux qui l’écoutaient dit : Ne t’en fais pas ! Ainsi sont les responsables. Lui aussi, s’il rue ici, il braie ailleurs. Un seul algérien touché par l’injustice est une offense contre le principe même de l’égalité et est une honte pour l’Algérie. Tout travailleur, tous grades confondus, vit cette « hoggra » hiérarchisée ; c’est pourquoi elle révolte tout le monde et tout le monde la dénonce. On veut en finir avec elle.

Les déclarations du wali M. B. Fric, sont alarmantes. Sans le vouloir, sans faire exprès, il a expliqué la « culture d’Etat » dont a parlé M. Benflis. C’est la « culture de la fraude » comme il l’a dit. Ainsi MM. Benflis et Hamrouche ont été source de la fraude !

Fonction (de chef de gouvernement) oblige ! L’intégrité et la gouvernance en Algérie peuvent-elles faire ménage ensembles ?

Le cinquantenaire qui vient de passer nous a affaiblis. Le milieu pollué où nous vivons nous a vraiment marqués : jugement obscurci, foi affaiblie, volonté hésitante, mouvement incohérent…Notre société est devenue source de souffrances multiples auxquelles elle daigne n’afficher qu’indifférence ou mépris évitant par-là de penser les vrais problèmes qui s’imposent à elle comme le droit, la justice, la solidarité… Notre société se plaint de toutes sortes de pauvreté y compris la plus grave celle de la pensée.

En suivant la campagne électorale des présidentielles-qui a pris fin avant hier -, on réalise à quel point elle est une manifestation vive de l’état de crise de l’Algérie et de son angoisse. Doute et méfiance sont le lot de chaque vote bien avant son lancement. Un discours populiste qui irrite la raison et abrutit les sentiments. Il baigne dans les futilités sans jamais toucher à l’essentiel. C’est la suite logique du bas niveau de la pratique politique, ses élucubrations, ses déviations et ses échecs. Si le peuple n’y était pas allé avec ferveur, c’est parce qu’il sait bien que dans la marre du mensonge, seuls pataugent les imposteurs, les fourbes, les petits malins. De plus il a bien vécu que le choix démocratique du quotidien de la vie ne lui appartient pas. La décision politique importante est prise par d’autres, par des forces occultes, genre de boite noire politique, des cercles qui prétendent savoir plus et mieux que lui. Leurs intérêts sont rarement les siens.

Le discours présenté, couvert de mots creux, déjà entendus ou lus au cours des trois campagnes présidentielles précédentes, est d’une platitude qui l’empêche de s’élever au rang nécessaire. Les critiques adressées au régime sont des caresses. Bien que dans le sens contraire aux poils, elles restent des caresses. L’essentiel a été solennellement évité. Le pouvoir a toujours su trouver des laïcisants, des arabisants et des islamisants incolores, inodores et sans goût : ils répondent par réflexes positifs à ses demandes dictées par l’intérêt pressant du moment. Dans ce vertige de l’ascension au pouvoir, on assiste à la prééminence de l’action et du politique sur la pensée, le savoir, la culture. A cours d’idées, pas le moindre idéal, rien qu’une « tabkha » politico-financière.

M.Benflis, vise la présidence. Il est le seul candidat potentiel capable de se mesurer à M. Bouteflika. C’est un civil. Un universitaire. Il a une assez bonne réputation. Il connait assez bien les hautes sphères du système et leur manière de gérer les scrutins décisifs. Il a déjà fait l’expérience de la course à la présidence par le passé. J’admire sa détermination, mais je ne la comprends pas. Sa chance de gagner est nulle. Il ne suffit pas d’avoir fait l’école pour le voir. Il va contre l’Etat, avec toutes ses institutions. Je n’arrive pas à me mettre dans la tête qu’une personnalité politique importante et influente de la sorte, accepte de jouer le lièvre dans un théâtre de plein air. Naïveté ? Qu’est-ce qui le pousse alors au suicide ?

M. Bouteflika a réquisitionné l’état pour sa réussite. Pour lui, la victoire est assurée. Il l’a toujours assurée. Dès que le jour J des élections présidentielles fut fixé et la candidature du président annoncée, l’opération fut ainsi entamée-terminée : le président a obtenu ce qu’il voulait-son quatrième mandat ! Tout a été maintenu, et la personne et la procédure. Rien n’a changé depuis 1999- le siècle dernier ! Le dernier des citoyens émet ses doutes quant à la liberté, l’honnêteté et la transparence des élections. La fraude sera présente de l’aval vers l’amont, en va-et-vient–par nationalisme. L’intention de purifier le scrutin des bavures est absente en amont. Si la source est bourbeuse, polluée, la transparence ne sera pas durant le cours, en aval non plus. Ceux qui se sont présentés candidats en ce vote n’ont bénéficié d’aucune garantie. Ils savaient pertinemment que les jeux étaient pipés au départ. Comptent-ils répéter le scénario de 1999 où les coureurs ont abandonné la piste lorsque le départ fut donné. Se rappellent-ils que la décision était arrivée trop tard : le jeu a été légitimé et le pouvoir cautionné.

M. Benflis, est-il à l’écoute de la rue algérienne ? Son attitude, ne le prouve pas. Ceux qui lui hurlent leur soutien l’empêchent-il d’entendre ? Ceux qui l’acclament aujourd’hui, lui donneront ils leurs voix demain ? Ce qui intéresse le président sortant, c’est le taux de participation. En allant au vote, M. Benflis aide son adversaire ( !) à réaliser son dessein. Il lui offre la cueillette de son effort. En participant, M. Benflis cautionne la procédure. Crier au truquage et aller vers lui n’as pas de sens. Assiste-t-on aux moments où  » l’impossible est la base même de l’espérance  » ?L’espoir peut-il être aussi béant et hébété ? Décidément, il y a anguille sous roche !

À El Magharibia un des représentants de M. Benflis affirme que l’armée les soutient. M. S. Gaid est avec M. Bouteflika et derrière lui toute l’armée. Ou le soutien de M. Benflis est une manipulation pour crédibiliser le vote. Ou l’armée vit un malaise que le peuple ignore.

Si c’est le premier, le tour a été professionnellement joué. Le principal acteur, le héros, est M. Benflis, il mérite l’oscar du meilleur rôle : la niaiserie est aveuglante par sa brillance.

Si c’est le second, le peuple a le droit de savoir et de sauver l’institution en mettant tous ses paramètres au clair pour la préserver de tout clanisme. Deux scénarios en place :

M. Bouteflika président. Que fera M. Benflis ? La branche qui l’a porté n’était qu’un simple petit rameau fragile ! Ni sortie. Ni protestation. Il lui suffira d’attendre, chez lui, la récompense pour le rôle joué. Il a été parfait. Le régime est sauvé. S’il n’est pas un joker du système, qu’il se retire de la course et répare la niaiserie pendant qu’il est encore temps.

Supposant que la victoire soit du côté de M. Benflis. Calcul démentiel. Il aura défié tous les pronostics. Mais bien que la branche soit solide, c’est là le résultat d’un scrutin pipé. Et tout ce qui découle du faux ne peut être juste. Le président M. Benflis n’aura fait qu’allonger la liste des faux présidents. Un président-quelconque- qui pue l’illégalité ne tirera de sa victoire ni respect ni fierté car il n’aura ni la stature appropriée, ni les coudées franches. Il ne sera qu’un quidam au service de ceux qui ont organisé sa victoire. Il pourra ruer à loisir mais, il aura sans doute à braire. C’est la continuité. Si cette situation de président diminué ne lui plait pas, qu’il se retire.

Dans tous les cas de figures, il est le seul perdant. S’il ne se retire pas. Entre la niaiserie et la démence, il y a quand même un brin de courage.

Aujourd’hui, les protestations fusent de partout sur le territoire national dénonçant le quatrième mandat. Et chose sans précédent dans les annales de la politique nationale des intellectuels, des universitaires sont au premier rang des protestataires. Issus d’horizons divers, sans aucune affiliation politique ou autre, ils sont médecins, journalistes, jeunes cadres, défenseurs des droits de l’homme, blogueurs, chômeurs,… Ce fait « divers » a fait rugir les supporters du Président sortant. A tel point qu’ils ont maudit tous ceux qui ne les « aiment pas »— démocratie par intérim oblige ! Belle perspective promise par les futurs tenants du pouvoir. Cela montre bien l’impact qu’a eu la sortie des « cerveaux » qui ont bien voulu défier le pouvoir et sa machine répressive. Ils ont promis de continuer. Ils ont tenu parole. Leur écho a touché les sphères instruites. Il y a fait tache d’huile. Par rejet de toute domination, les couches méprisées se délectent de tout ce qui défie le pouvoir et pousse vers le changement. Sans doute, activera-t-il l’augmentation de l’abstention et asséchera le ru d’où le pouvoir croit pourvoir détenir un semblant de légitimité.

La classe politique se trouve aujourd’hui devant un véritable défi : suivre la manœuvre du pouvoir en quête d’un semblant de légitimité et se discréditer pour de bon auprès de la population ou se retirer du vote, déclarer le jeu politique désamorcé dès le départ, appeler à son boycott et sauvegarder ce qu’il lui reste de dignité laminée par une pratique déplorable depuis l’interruption du processus électoral en1991.

Les candidats qui avaient une estimation des sacrifices consentis par le peuple pour recouvrer sa liberté, sa volonté dans la pratique politique et une idée des défis qui attendent les algériens en tant que nation ont dénoncé la mascarade du 17/04/2014 et se sont retirés du jeu pipé. Il en est même qui sont allés plus loin et ont suggéré de « construire l’opposition » et se préparer pour contrer le quatrième mandat avant et après le scrutin. Les lièvres ne prolifèrent que là où abonde la luzerne. Opportunistes de nature, leurs calculs personnels, bas et mesquins, les obligent à se foutre du peuple et de son devenir. .

Maintenant que la rue s’est élevée contre le vote, toute manœuvre de l’opposition qui ne va pas dans le sens du boycott risque de la discréditer davantage. D’autant plus qu’elle se trouve dans l’impossibilité de convaincre ses adeptes de la nécessité du vote et de pouvoir les mobiliser le jour du scrutin.

La rue attend le changement. Les candidats à la présidence restants sont-ils capables de répondre à ses attentes ? Quel changement prônent-ils ? Changement du système ou changement à l’intérieur du système ? S’ils optent pour le premier changement, ça n’est pas la voie ! Il n’y en a qu’une seule: le retrait. Ils sauveront leur crédibilité ou du moins ce qu’il en reste et ils rendront un grand service à leur peuple. Le retrait n’est que le premier pas vers voie droite. Il faut arrêter la mascarade avant sa consommation et engager l’action politique nécessaire à faire entrer le pays sous la tutelle du peuple seul.

Si c’est le second, ils naviguent à contrecourant. Et ils rejoignent tous MM. Hamrouche et Zéroual dans leur conception du changement : une démocratie surveillée par l’armée ou mieux, pour ne pas toucher les sensibilités, une « démocratie assistée ». Belle perspective : le peuple, l’éternel mineur, se suffira de jouer au spectateur alors que son destin se joue sous son nez!

Dans son désir d’être, la population, en prenant conscience d’elle-même, entend se réhabiliter en ses droit et fonctions. Le mouvement de rejet du système s’est amplifié et s’est répandu à travers tout le pays. L’incertitude du pouvoir et ses flottements excitent la population qui exprime avec force sa résistance.

On parle maintenant de procéder à un changement radical dans les plus brefs délais pour remmancher les algériens avec les exigences de la vie, les introduire dans la direction de la grandeur que leur a assigné l’histoire, les renouer avec la course créatrice du temps. Les élites qui abandonnent le peuple à lui-même, mettent en doute leurs valeurs et condamnent leur comportement. Le fait nouveau jamais vu depuis l’indépendance, les intellectuels en rejoignant la contestation, lui ont donné force et qualité. Le peuple a le droit d’être libre. Il lui appartient de se donner les moyens pour le devenir.

La loyauté dans le changement commence par ses assises. On ne construit pas du solide sur du mou. Si le vote est truqué au départ, tout ce qui en découle est illégal. Avec ce suffrage-tel qu’il est conduit-nous ne serons pas sortis du cercle infernal de l’illégitimité tracé en1962. Notre négativité a tout l’air de nous séduire ! Le système, malgré sa maladie, tient à conserver l’apparence démocratique en diffusant une image flatteuse de la campagne électorale. La démocratie telle qu’elle est vécue chez-nous, n’a pu maintenir artificiellement, entre les citoyens, une quelconque égalité. Ces élections confinent au ridicule et au tragique, multiplient les occasions d’être cruellement contredit par la réalité et mutilent les occasions de sortir de la crise. Ces élections sont une légalisation morbide de la continuité de la débilité du pouvoir occulte. Ils sont la négation consommée du peuple !

La crise, à essence politique, devient alarmante et ses effets pervers résonnent dans toutes les mailles du tissu social. Etant directement à son origine, le pouvoir a fait que la moitié de la population ait traversé le seuil de la pauvreté pour faire face à la précarité et à la misère. Soumis à la tyrannie, d’une part des instincts, de l’autre, du chômage, l’algérien, face au désespoir submergeant, n’a trouvé devant lui que l’émigration clandestine, avec tous ses dangers, l’organisation d’émeutes avec leurs déboires, ou, à la limite, l’immolation par le feu, laquelle se répand, de nos jours, dans notre société saisie et effrayée par ce phénomène. Le citoyen a du mal à réaliser ce qui se passe autour de lui et encore moins à le concevoir : le sens des choses lui échappe.

Toutes les bouches du pouvoir parlent mais aucune oreille n’écoute. Rompu au faux et à l’usage du faux, pour nous dispenser de la vraie liberté, le pouvoir nous a fourgué une bien fausse. Devant la dégradation de la politique sociale, la garantie de la liberté de chacun ne nécessite aucune répression. En rendant vulnérable le citoyen, le pays n’aura plus de roc pour bâtir sur du solide. La foule s’accorde sur une période de transition par laquelle seront définies les procédures qui rendront au peuple sa liberté et ses prérogatives. C’est aussi ignorer la réalité que l’ère des tabous est révolue. La vie est la seule raison vraie. Elle sait ce qu’il faut faire. Elle est la base vraie de l’éthique.

Que M. Benflis prenne son courage à deux mains et change de camp. Qu’il rejoigne l’opposition, se retire de la course et dénonce la mascarade. Il gagnera sur tous les fronts. ll affichera ainsi sa fidélité à ceux qui ont cru au changement sous son patronage et qui avaient senti en lui le début d’une ère nouvelle.

Entre la niaiserie et la démence, il y a toujours un brin de courage. Il faut l’exploiter.

Haj Kaddur Yagubi
16 avril 2014

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