Quand nous parlons de l’Islam historique, nous visons une réalité concrète et non une simple théorisation ancrée dans la nébuleuse des incertitudes. Il s’agit notamment des normes puisées dans les sources qui sont pour nous des signes et des piliers posés sur notre route, afin de ne pas perdre la piste.

Ainsi l’Ijtihad est essentiellement un travail jurisprudentiel. C’est l’effort urgent qui s’impose sur le Mujtahid et le presse à la déduction logique des références du texte. C’est aussi, en quelque sorte, l’urgence d’établir la légitimité du présent dans le cadre d’une culture rassembleuse qui tient sous sa coupe les développements du lieu et du temps.

Le mécanisme de l’Ijtihad donc est dû essentiellement à l’insistance des développements qui s’imposent sur le mouvement de la société et qui pressent le Faquih à les résorber à l’aide d’une solution réalisable. Ce qui, bien sûr, exige au préalable une définition des terminologies à partir de la prédication prophétique qui constitue le point de départ de notre vision.

Car, selon les normes de la culture musulmane, il y a une différence entre les développements qui exigent l’effort à faire en vue d’émettre un avis juridique adéquat, et les innovations qui font irruption dans le climat social. Ainsi les développements naissent de l’automatisme du mouvement de la société au moment où elle fait ses options sociales et économiques dans un climat culturel précis. Tandis que les innovations sont des péripéties étrangères au cadre, en ce sens qu’elles bouleversent l’ordre culturel fondamental de la société au point de mettre celle-ci en dehors de son orbite, du seul fait que lesdites innovations ne s’adaptent pas avec elle.

De son coté, le Hadith a déjà établi des limites entre les développements et les innovations: « Celui qui, en pratiquant l’Ijtihad, commet une erreur aura une récompense et en aura deux s’il ne commet pas d’erreur, mais les choses nouvelles sont des innovations et toute innovation est égarement et tout égarement mène à l’Enfer. »

Les faits jurisprudentiels éparpillés dans notre patrimoine représentent, sur le plan historique, un journal des développements de la civilisation islamique, depuis leur apparition jusqu’au moment de leur cessation. Nous y voyons comment les juristes se sont servis de leurs propres moyens pour déduire les actes juridiques, conformément à des normes culturelles absorbantes nées de l’interférence des cultures avoisinantes, particulièrement des cultures méditerranéennes. Et, pour ce faire, les juristes se servent de moyens qui leur permettent d’accéder à l’étendue du texte, de sorte que celui-ci demeure toujours au centre des développements. Tandis que les innovations ne sont pas du texte. « Celui qui apporte dans notre religion-ci une innovation qui lui est étrangère, on doit rejeter tout ce qu’il dit », est- il dit dans le hadith.

Par ailleurs, la pensée islamique, dans tous ses domaines, est en fin de compte liée à l’édification de la personnalité du Musulman et se présente comme un programme qui concerne d’une part, le comportement individuel et d’autre part, les rapports socio-économiques. Cela signifie que la pensée islamique n’est pas une pensée neutre, mais une pensée impliquée dans l’édification d’une culture et d’un climat social orienté, appelé à résorber les calamités et les développements et à retracer, par la suite, des limites qui les démarquent des innovations, lesquelles ne sont que des intrusions propres à bouleverser le dynamisme de la société musulmane, d’où leur assimilation à Bid’ha.

Mais ces limites sont imposées par la culture de la société, en ce sens qu’elles sont le produit de l’intérêt découlant de l’humeur culturelle de la civilisation islamique, pour qu’elles forment un cadre civilisateur tant pour l’aliénation du début que pour celle du retour.

Il est dit dans le hadith: « l’Islam a débuté étranger et il redeviendra étranger comme il a débuté ». D’où la nécessité d’examiner ces deux aliénations : celle du début et celle du retour.

1- Dans l’aliénation du début

Dans le contexte de l’ère païenne préislamique, l’aliénation de l’Islam est imposée par la nécessité de sa présence en tant que phare guidant à la foi en Dieu, « le Créateur de toute chose, et de toute chose Il est Garant » (XXXIX, 62). Tel phare éclaire le parcours d’une civilisation que l’homme forge grâce à son effort. Il était donc nécessaire de guider, par le moyen du Saint Coran, vers un mode de vision exprimé dans ce verset coranique qui s’adresse au Prophète, que la prière d’Allah et son salut soient sur lui : « Tu n’avais aucune connaissance du Livre ni de la foi; mais Nous en avons fait une lumière par laquelle Nous guidons qui Nous voulons parmi Nos serviteurs. Et en vérité tu guides vers un chemin droit. »(XLII, 52)

Ainsi, dans l’aliénation du début, l’intérêt principal s’articulait impérativement sur ce que le Coran contient à propos de l’assise abstractive de l’esprit humain qui lui permet de se rendre compte de cette lumière qui guide l’humanité vers sa vocation au sein de l’univers.

Ce qui s’oppose à la nature païenne qui caractérise la Jâhiliyya préislamique.

Car la Jâhiliyya revendique le prototype et son contour puisqu’elle ignore ce qui est au delà. Peut-être, le paganisme s’appelle-t-il Jâhiliyya en raison de son ignorance concernant l’emplacement de l’homme au sein de ce vaste univers. Elle traduit, par là, l’incapacité de l’homme à la méditation, c’est tout au plus le recours à la matière et au prototype. Ainsi l’homme, dans l’obscurité de ce tunnel, ignore son chemin à moins qu’une lumière divine ne vienne d’en haut le lui éclairer.

Cette lumière est rendue dans le Saint Coran par l’esprit de guide, ce principe directeur qui transperce les substituts les plus profonds de la pensée humaine et qui permet à cette pensée de découvrir, par ses propres moyens, son chemin dans la mémoire de son appartenance au pacte du système universel, né le jour où Dieu a créé Adam. En effet, le Saint Coran ordonne le Prophète, que la prière d’Allah et son salut soient sur lui, de rappeler et d’avertir : «Eh bien, rappelle ! Tu n’es qu’un rappeleur, et tu n’es pas un dominateur sur eux.» (LXXXVIII, 21-22)

Ce saint verset, Dieu sait, propose ici un programme visant à établir une réflexion fondée sur le sentiment profond de la vérité universelle. C’est pourquoi le Prophète, que la prière d’Allah et son salut soient sur lui, a fixé notre attention sur la nature de sa mission qui réside dans l’avertissement d’un message et non pas dans une autorité de domination, d’un message qui exploite, dans la profondeur humaine, les caractéristiques de la nature guidant l’homme à découvrir l’emplacement de son âme au sein de l’univers qui l’environne.

Or l’autorité, en raison de ses critères psychologiques et politiques, anéantit la méditation, tandis que la prédication s’adresse à la nature et la rappelle. Mais le fait de se rappeler est un processus subjectif, indépendant et introspectif. Le signal coranique est donc un signal d’ordre psychologique qui s’adresse, au cours de l’avertissement, au plus profond de l’âme humaine, loin des effets sociaux et périphériques. Cette orientation, somme toute, relève non seulement du Prophète, que la prière d’Allah et son salut soient sur lui, mais aussi des règles de la sagesse et du bon conseil.

A la lumière de ces prémisses, l’Islam refuse au pouvoir spirituel l’hiérarchie qui possède les secrets de la liaison avec Dieu. En témoigne le saint verset : «Et quand Mes serviteurs t’interrogent sur Moi, Je suis tout proche : Je réponds à l’appel de celui qui Me prie quand il Me prie» (II, 186) qui véhicule ce principe. Ainsi, ce glissement direct de l’interlocuteur, en l’occurrence le Prophète, que la prière d’Allah et son salut soient sur lui, aux croyants signifie selon les exégètes que le rapport spirituel du croyant avec son Créateur dépasse la plate-forme du pouvoir. Ce qui souligne la chasteté de la piste monothéiste entamée par Abraham et ressentie à travers le dialogue introspectif que le Saint Coran nous rapporte et qui a eu lieu entre Abraham, la lune et le soleil. En ce sens qu’en Islam la pensée religieuse part de ce qui est manifeste vers une vision abstractive de la foi en Dieu, c’est-à-dire que l’idée de religion nait dès le moment où elle scrute la conception immuable de la procession de la vie, selon Mohammad Iqbal.

Cette image conçue à partir du manifeste et du visible pousse la raison à une définition simpliste de la notion de divinité dont la vérité resplendit autant que son essence est latente. Il s’ensuit que le raisonnement, selon la conception de la nature première, est un raisonnement d’ordre intellectuel et constitue ainsi un système intermédiaire qui se renouvelle sans cesse tout en pivotant autour de la vérité fixe et immuable que la prédication divine véhicule et qui dépasse les limites de l’expérience humaine.

A partir de là, la raison devient une responsabilité, car son aptitude à la méditation capable de scruter l’au-delà de l’océan sert d’intermédiaire pour une compréhension globale qui va toucher tous les aspects de la vie : l’étique, la créativité et sa stabilité psychologique. Et si la raison viole sa foi à l’égard de cette responsabilité, elle sera injuste envers elle-même et risquera de voir basculer avec elle le milieu et la vie à l’alentour à cause du mal commis par les hommes. De même elle sera ignorante, si elle s’abstient de suivre sa vocation qui consiste dans l’absolue conception de sa valeur dans l’édifice de l’univers.

Voilà donc l’aliénation due au fait d’aller vers le paganisme de la Jâhiliyya qui, à notre époque, a donné naissance à la civilisation de consommation.

L’Islam a bel et bien mis l’idée de consommation entre l’extrême de l’avarice et celui du gaspillage, garantissant de la sorte la grâce de la vie et son bonheur par le bonheur de l’humanité. Et c’est alors que se forme la nature où les premières sources de la lumière divine seront imprimées :
« Telle est la nature qu’Allah a originellement donnée aux hommes, pas de changement à la création d’Allah » (XXX, 30)

2- Dans l’aliénation du retour

Pour que l’Islam affronte le défi de la civilisation moderne, force nous est de sonder l’ampleur des textes originels fondateurs de la perspective islamique dans sa dimension universelle et, en même temps, d’observer le degré de leur capacité à résorber les développements et à émettre les actes juridiques adéquats.

Nombreux sont les titres proposés pour la régénération de la pensée islamique, mais à la réalité ils reflètent tous la crise de l’Islam face aux données de l’âge moderne.

Toutefois, l’âge moderne a surpris la structure culturelle et sociale qui s’articulait sur le texte en tant que référence immuable. Il l’a surprise par son programme émanant de la conception de la Révolution française qui met de coté le texte divin et récupère son équilibre païen, à caractère traditionnel gréco- romain, à travers son individualisme qui préconise la référence à l’individu, et non au groupe chargé de corriger le comportement de l’individu. Ce bouleversement fondamental a mis l’Islam dans une nouvelle aliénation dont les symptômes apparaissent à travers les interrogations déjà signalées.

D’ores et déjà, nous sommes invités à poser le problème à l’ombre de notre coexistence avec un cadre dans lequel la pensée islamique est devenue un monde différent, dès son premier contact avec la campagne de Napoléon.

En effet, la campagne de Napoléon a envahi un monde à un moment où la jurisprudence (le Fiqh) et la Tradition islamique étaient les seules instances chargées de trancher les minuties de la vie.

Et où le juriste (le Faquih) a acquis son rang dans la société grâce à l’étroite liaison entre le cycle de la vie et le rôle de la Sharia dans son organisation. De même, l’enseignement à ce stade était lié à la Tradition née de la civilisation islamique, comme en témoigne la Mosquée El-Azhar.

C’est pourquoi la campagne de Napoléon en Egypte, notre premier contact avec l’Europe, se considère comme un accident qui a bouleversé le rythme de la vie sociale. Cette vie où, au fil des siècles, s’enlisaient l’enseignement, l’éducation et les sources cognitives connexes de la civilisation islamiques.

Voilà donc comment l’expansion de l’Occident en Orient a pris son cours au moment où la Tradition culturelle islamique n’était pas encore réhabilitée et assez développée pour une coexistence capable de résorber les innovations dans leur profondeur universelle, et les traduire dans les développements revendiqués par le mouvement de l’Ijtihâd.

C’est ainsi que Paris a capté l’admiration de Tahtawi, saisi par l’énormité de sa production quantitative qui, d’ailleurs, pesait lourd sur la quiétude du passé engendrant plutôt l’esprit de dialectique que la possibilité d’imiter.

L’avènement de l’aube de la Renaissance avait plutôt besoin d’un terrain, à la chaleur duquel auraient pu germer les méthodologies de l’imitation d’une nouvelle expérience concernant la fondation d’une cohabitation capable de produire des développements au sein de l’héritage social. Mais la défaillance en face de l’Occident a envahi le cadre de l’intérieur sans rendez-vous, transformant la créativité de la génération en innovation hétérogène au processus historique d’une société développée, selon Malek Bennabi.

Le bilan d’un siècle écoulé ou même plus est déjà fait, et les premières lueurs de l’aube sincère attendent encore de poindre. Et au lieu que la modernité soit un point de départ vers un horizon nouveau, elle devient une impasse où s’affaisse le regard incapable d’escorter les revirements du siècle. Et les voyageurs arabes qui ont mis le cap sur l’Europe à partir du XIX siècle sont, nous semble-t-il, revenus pour assumer leurs responsabilités nationales avec des innovations qu’ils n’assimilaient pas, étant donné que les sentences qu’ils émettaient surpassaient le criticisme qui confronte la perspective islamique du pouvoir avec les éléments du Contrat Social, point de départ de la doctrine individualiste.

Et la démocratie a emprunté son esprit à ses origines grecques qui ont balisé la voie aux évolutions ultérieures du processus de la mondialisation européenne. De même, le progrès des sciences et la révolution industrielle ont été à la base de la standardisation des normes relatives à la production de la profusion qui met sous sa coupe la perspective sociale orientale coincée dans des moules exigus où elle se met à germer en dehors de sa structure historique.

C’est à ce carrefour de l’histoire que les précurseurs se trompent de destination, de sorte que la locomotive se décroche de ses wagons traditionnels tout en les laissant à la gare de départ, et la pensée moderniste devient une pensée aristocratique en vogue dans les salons au privilège et un mur se dresse, séparant les villes et les urbanités de leurs idéaux sociaux tout en engendrant la schizophrénie et la duplicité de personnalité face aux prémisses de l’âge moderne.

Et à la chute du Califat ottoman, le problème du califat se masque d’une nouvelle conception de l’Etat et adopte de nouvelles règles de lutte, fondées sur le privilège du pouvoir. Je veux dire le privilège de l’intellectuel et du politique, ensuite le privilège de la force et l’abus des masses. Et l’individualisme importé devient une lutte insensible et une puissance de ruines. De même, la recherche scientifique perd beaucoup de ses vérités dès que le « je » prend le pas sur les efforts de la collectivité. Et son rôle productif s’éclipse également et cesse de prendre part à la production en vue de l’édification d’une société musulmane arabe développée.

Sur le plan de la lutte politique, l’idée d’un Etat selon une perspective islamique devient tout au plus une simple variante, parmi les autres orientations, au sein du système politique, et non pas une résorption modérée du climat culturel, conformément aux critères de la justice et de la bonne volonté. Cette justice qui, prise dans sa conception universelle, est à la base des valeurs principales de la civilisation islamique.

Dès lors, la civilisation venue de l’étranger prend l’allure de la puissance fondée sur les critères de force, propres à la doctrine individualiste, et l’esprit de lutte attaque le concept du pouvoir islamique dès que les précurseurs se mettent à émettre des verdicts impératifs sans agencement logique, aliénant ainsi la conscience musulmane des sources de son Ijtihad.

C’est alors que le courant religieux salafiste, conduit par le cheikh Mohammad Abdou, adopte une nouvelle définition du concept de l’Etat national. D’après lui, le gouvernement islamique n’est pas une théocratie selon le point de vue occidental. Car le législateur n’a pas mis en place des formalités sur la manière de contrer les dirigeants. Mais la consultation demeure un devoir imposé par la Sharia, vu que la nation, dans le cadre de la Sharia, est la source du pouvoir et la source de la législation. Ce qui, d’ailleurs, n’est ni du Livre ni de la Tradition.

Car la Sharia propose un cadre et laisse les détails à l’intention de la nation sommée à faire, parmi les possibilités proposées, des options susceptibles de varier en fonction du temps et de l’espace.

Le penseur Tarek El-Bishry voit que l’attitude des réformateurs précurseurs, de Rifa’a al-Tahtawi au Cheikh Mohamad Abdou, était une attitude réformiste à l’époque de l’entité islamique en vigueur avant l’effondrement du Califat musulman.

Seulement, après l’effondrement du Califat, on a confié aux élèves de l’Europe, par le biais du cheikh Ali Abderrazak, élève d’Oxford, de faire une nouvelle révision des postulats de la pensée islamique. Ce fut l’occasion pour lui de nier l’existence de tout lien entre les préceptes coraniques et la conception politique de l’Etat instauré tout juste après le décès du Prophète, que la prière d’Allah et son salut soient sur lui, et il pense, au surplus, que les sciences politiques étaient les plus précaires des sciences connues chez les Faquihs musulmans.

Les répliques, d’ailleurs abondantes, faites à ces propos sont éparpillées dans différentes sources référentielles. Toutefois, la pensée d’Abderrazak demeure axiale pour les adeptes de la modernisation jusqu’à nos jours. Dès le début du XX siècle, ces propositions, à coté des propos tenus par Taha Hussein sur la poésie préislamique, commencent par ébranler l’âme rassembleuse de la nation, sous la barre de la dialectique introduite par les Orientalistes.

A l’ombre de ce chaos épidémique surgit, dans les années trente du siècle dernier, le mouvement des Frères Musulmans en tant que mouvement totalitaire qui, selon monsieur El-Bishry, n’exhortait pas à la reforme du présent, ni à sa censure, ni même à la méditation de l’état alors en vigueur. Mais, au contraire, il déviait vers la facilité en ce qui concerne l’image de l’Islam-Etat, distribuée par les prolégomènes de l’âge moderne qui ont fini par effacer les traces de cette image.

Voilà donc ce qu’est devenu le mouvement des Frères Musulmans, parti de la Mosquée Al Ismaïlia où, en 1936, Hassan Al-Banna se met à prêcher l’Islam et à l’hiérarchiser, à partir d’une tribune centrale qui n’offre sa prédication qu’à ses membres, conformément à l’ordre de parti emprunté au système européen.

Cette orientation, je crois, a fini par impliquer la Dawa dans des critères qui contredisent le modèle de la civilisation islamique. Ainsi, la réforme de ce qui était en vigueur avait plutôt besoin d’une parfaite symbiose avec la profondeur de la vie dans son unité sociale, susceptible de créer une immunité éducative au sein d’un espace social qui, en dépit de sa précarité et ses divisions, doit toujours sa formation à l’essor de la civilisation islamique, amenée à jeter l’ancre à un certain moment de l’histoire.

Par conséquent, c’est la civilisation islamique dans sa procession historique qui est responsable du climat national égyptien, que ce soit dans sa droiture ou dans sa déviation, avec tout ce qu’il embrasse de doctrines, de dogmes, et d’erreurs concernant l’imitation de l’Occident, comme nous venons déjà de l’éclairer.

Et bien que les réformistes de la fin du XIX siècle parlent de la réforme tout en scrutant l’Europe, l’histoire de la civilisation islamique était néanmoins vivante dans leur mémoire. Qu’ils parlent à tort ou à raison, consciemment ou inconsciemment, du renouvellement du climat national fondé sur la Tradition de l’Islam qui, d’ailleurs, ne se limite pas au Califat ottoman, mais s’étend sur un processus de plusieurs siècles, en dehors de l’évolution de la civilisation chrétienne gréco-européenne.

En raison de quoi, les approches de tous ceux-là, malgré la diversité de leurs visions dispersées dans le néant de la culture européenne, visaient en réalité à défendre, à tort ou à raison, une personnalité rassembleuse d’un climat historique civilisateur, où l’idée de renouvellement de la pensée islamique a déjà pris naissance.

Il s’ensuit que l’implication de l’orientation islamique dans des moules qui l’éloignaient du mécanisme de sa Tradition et son climat rassembleur, l’a extirpée de son rôle de levier prophétique dans l’édification de ce climat rassembleur, susceptible de garantir l’unité de la Nation, conformément à ses conceptions, et où les différentes confessions seraient cultivées.

C’est que le nationalisme est une mémoire collective où l’apport humain a interagi à l’ombre d’une culture partiale dont les composantes se sont développées à partir des prémices de la civilisation islamique et donné en héritage son climat culturel.

Ainsi la civilisation appartenant à l’historicité de l’Islam est en fin de compte le produit des générations qui hébergeaient des croyances différentes, et qui partageaient les mêmes efforts et le même caractère rassembleur d’un milieu dont la charnière réside dans le climat spirituel qui apparaît en filigrane dans leur conduite réunissant force et faiblesse dans son cortège historique. De ce fait, l’Islam, ce sera lui le nationalisme lorsque Chrétiens et Musulmans manifestent leur présence dans un cadre social où leur labeur aurait été développé.

Pour cette raison, le mouvement des Frères Musulmans, en adoptant le modèle du système de parti comme mécanisme d’une Dawa qui vise à tourner la page du présent sous le mot d’ordre « le pouvoir est à Dieu » par le biais du pouvoir, a ainsi écarté l’évolution de la pensée islamique des problèmes de l’époque en tant que solution historique aux problèmes de l’évolution de la civilisation dans l’intérêt de l’humanité. Ce mouvement s’est mis ainsi à agir dans l’aliénation des slogans, en dehors de ses problèmes. Et les efforts de tant d’années n’ont fait que précipiter les mouvements islamiques, sciemment ou inconsciemment, sur la marge de l’essor du mondialisme.

Le 12/2/1956, et à propos des slogans lancés par la révolution égyptienne, le penseur algérien Malek Bennabi a noté ceci dans son bloc-notes:

« Le monde musulman traverse une étape révolutionnaire, mais les révolutionnaires musulmans n’ont identifié ni leurs moyens, ni le chemin qu’ils tiennent à prendre. De même, leur objectif ne semble pas suffisamment clair en ce qui concerne, avant toute chose, leur attachement à un idéal ou à un modèle.

C’est que l’objectif révolutionnaire principal exige, non seulement des doctrines dont les révolutionnaires se servent d’axe moteur, mais réside aussi dans les promesses qu’il tient à réaliser par tous les moyens objectifs ».

A la lumière de cette remarque de Bennabi faite depuis un demi -siècle ou plus, le bilan d’un siècle ou plus est déjà fait, et les premières lueurs de l’aube sincère attendent encore de poindre.

Et au lieu que la modernité soit un point de départ vers un horizon de renouvellement et de renouveau, comme dit Bennabi, la voici devenue une impasse tantôt salafiste, tantôt khouaniste et tantôt libérale démocrate, sous le grondement des slogans. Et le regard incapable d’escorter le XXI siècle « leur reviendra ».

Omar Meskawi

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